La Caisse de dépôt au service du gaz de schiste

CDPQ — qui tire les ficelles ?


IRÉC - L’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) lance aujourd’hui une deuxième note de recherche sur la politique d’investissement de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDP). Après avoir débusqué l’engagement de la Caisse dans les sables bitumineux, les chercheurs analysent son implication dans les gaz de schiste.
« Mal-gré l’opposition de la société québécoise, le « bas de laine » des Québécois et des Québécoises est au coeur d’un virage important de la stratégie énergétique du Québec, qui a cours depuis 1996. Se traduisant par le développement des sources d’hydrocarbures « non conventionnels » , c’est-à-dire dégagés par fracturation hydraulique, ce virage est contraire aux engagements du Québec en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et supprime le principe de la souveraineté énergétique », ont déclaré François L’Italien, Maxime Lefrançois et Éric Pineault chargés de projet à l’IRÉC et auteurs de cette note de recherche.
Le soutien de la Caisse à la filière gazière se manifeste d’abord par une prise de position dans le capital d’entreprises spécialisées dans l’exploration et l’extraction de gaz de schiste. La plus importante d’entre elles est la transnationale Talisman Energy. C’est ainsi par exemple qu’en date de décembre 2011, la Caisse détenait 27 001 437 actions de Talisman, soit 2,62 % des actions en circulation.
Le rôle que joue la Caisse dans la structuration de la filière gazière au Québec se constate encore plus clairement dans le domaine de la distribution et du trans-port. Contrôlant la société Gaz Métro, qui détient le plus important réseau de distribution de gaz naturel au Québec, la Caisse a noué un important partenariat d’affaires avec Enbridge, qui se spécialise dans le transport d’hydrocarbures issus des sables bitumineux de l’Ouest canadien. Ce partenariat d’affaires se matérialise par des participations importantes d’En-bridge dans Gaz Métro, via la société Noverco, dont elle détenait près de de 39 % des parts en février 2011.
La Caisse base ses stratégies de placement sur la demande du marché nord-américain de l’énergie afin de bonifier son « portefeuille » d’actifs énergétiques. « La baisse des coûts d’ex-ploitation et les courbes de demande pour des produits gazier et pétrolier expliquent l’intérêt des investisseurs pour cette filière sale. En l’absence de normes sévères et pénalisantes sur l’usage de formes d’énergies fossiles, et tant que la « pétrodépendance » de nos économies sera renforcée, l’investissement dans ce modèle de développement énergétique s’avérera très payant à court terme », ont expliqué les trois chercheurs de l’IRÉC.
Garantir l’offre des courtiers nord-américains
Mais ce faisant, la Caisse prend une direction contraire à sa mission originelle. « De la même manière que la CDP défendait ses positions dans le complexe des sables bitumineux, elle escamote le fait qu’elle mène en sous-main une politique de développement économique basé sur l’extraction et la distribution d’énergies fossiles, ce qui est contraire aux engagements du Québec en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
De plus, la pour-suite du « rendement », aussi bien dans le complexe des sables bitumineux que dans la filière gazière, est un argument fallacieux s’il n’est pas resitué dans le cadre plus large des stratégies de développement poursuivies par la Caisse.
L’objectif poursuivi n’est plus d’assurer la souve-raineté énergétique et économique du Québec, mais bien de garantir la sécurité de l’offre des courtiers nord-américains en flux d’énergie. Malgré la résistance populaire à la filière gazière, cet objectif demeure le même », ont rappelé les chargés de projet de l’IRÉC.
Le Québec est confronté à ses propres élites
Ces derniers ont conclu en constatant que le Québec se retrouve dans une situation histori-que contradictoire où une part importante de la société tient encore à prolonger, et éventuel-lement enrichir, l’ambition d’un développement économique maîtrisé et finalisé de l’intérieur même de la société.
« Ce Québec est cependant confronté, ont-ils dit, à ses propres élites, qui se réfèrent maintenant au cadre normatif de l’espace économique et financier nord-américain. Alors qu’elle avait porté le projet d’une voie économique, culturelle et politique spécifique pour le Québec, cette élite cherche actuellement à aplanir la « différence » québécoise, qu’elle juge globalement comme une anomalie dans le contexte de la globalisation.
C’est de cette manière que l’on peut comprendre l’important hiatus qui s’est creusé, au cours des dernières années, entre la société québécoise et les promoteurs de la « révolution du gaz de schiste ». Ces derniers, qui se sentent dans leur droit d’imposer des projets à la société québécoise en préten-dant qu’ils « généreront de la richesse », oblitèrent le fait qu’ils servent maintenant une autre communauté politique que le Québec. Les forces vives de la société québécoise doivent en tenir compte et comprendre dès maintenant l’ampleur de la contradiction pour y faire face ».
Pour connaître les résultats des travaux de l’IRÉC, voir www.irec.net


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