La beauté du débat sur la Charte

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« Le politique intéresse la population quand il s'empare de questions substantielles »

Il y a une immense vertu au débat actuel sur la Charte des valeurs. Malgré ses excès, que je ne nie pas, et dont je me désole aussi (et notons bien que ces excès, d’aucune manière, n’ont conduit à quelque violence, même si des abrutis, ici et là, peuvent s’invectiver), il reconnecte les citoyens à la chose commune, au débat public. Les gens se rencontrent et s’en parlent spontanément. Tous ont un avis sur la Charte comme tous avaient un avis sur la constitution ou la souveraineté il y a vingt-cinq ans. Tous les acteurs sociaux se positionnent par rapport à elle car ils voient bien que des grandes conceptions de la société se rencontrent et se confrontent.
La Charte permet un débat, pas toujours serein, mais certainement nécessaire, sur les grandes orientations de notre société, sur les principes et les valeurs à partir desquelles nous voulons construire la communauté politique. Nous ne cherchons plus seulement à gérer la société à partir de principes arrêtés une fois pour toutes, ceux fixés dans la constitution de 1982, qui nous oblige à une lecture multiculturaliste des droits de la personne. Nous redécouvrons qu’il est possible de débattre de ces principes, et nous redécouvrons aussi qu’il y a plus d’une interprétation possible des droits et libertés, tout simplement parce qu’il y a plusieurs manières de penser la société qui les encadre, de penser la communauté politique dans laquelle ils s’inscrivent.
Il y en a qui voient là-dedans une petite noirceur, manière aussi rapide que sommaire de disqualifier ce débat, comme s’il n’avait aucune légitimité. C’est une méthode usée : dans un débat difficile, assimilez votre adversaire à Duplessis, il sera toujours pris à expliquer que c’est faux, et pendant ce temps, il sera sur la défensive. Laissez comprendre que votre adversaire, peut-être estimable en personne, est soutenu par des gens pas très recommandables, multipliez les comparaisons avec les situations étrangères qui ont pour fonction de faire naître un sentiment de honte. Ainsi, vous espérez reprendre la maîtrise du débat. En plus, vous avez à ce moment l’immense privilège de vous sentir immensément vertueux. Ce n’est pas rien.
Pour ceux-là, il ne devrait tout simplement pas y avoir de débat. Comme si la question identitaire, comme si la question des fondements historiques et culturels de la citoyenneté démocratique, ne devait jamais être débattue. Ou alors, ils veulent en débattre, mais en fixant les règles du débat, en décidant quels arguments sont autorisés et lesquels ne le sont pas, en ayant aussi le pouvoir immense de distinguer entre les sentiments qui peuvent légitimement s’exprimer dans l’espace public, et ceux qu’il faudrait refouler à sa périphérie. Et bien évidemment, ce sont eux qui nomment les sentiments. Ils se donnent aussi le pouvoir de dépister les mauvais sentiments que cacheraient les arguments auxquels ils n’ont tout simplement pas envie de répondre.
Mais on peut voir tout cela autrement. J’y vois quant à moi une renaissance de l’esprit démocratique au Québec. J’y vois la redécouverte de l’idée de nation, de l’idée de société, de l’idée de culture. J’y vois une tentative de sortie du fameux «tout se vaut dans la mesure où chacun est sincère», dans lequel on cherche souvent à enfermer la réflexion sur les valeurs, la réflexion sur l’identité, la réflexion sur la politique. Nous redécouvrons une chose : le politique existe, il ne saurait se dissoudre exclusivement dans le droit, dans la mesure où ce dernier n’est pas le fruit d’une révélation divine mais à bien des égards, d’une délibération collective. Nous redécouvrons finalement que le politique intéresse la population quand il s’empare de questions substantielles. C’est une bonne nouvelle.


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