Crise au PLQ : deux partis dans un ?

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Selon l'approche de Couillard, le Québec ne sera démocratique qu’en se pliant de bon cœur à un ordre constitutionnel dont il a été exclu et qui repose à bien des égards sur sa négation.

La dissidence affichée de Fatima Houda-Pépin a révélé certaines tensions au sein du caucus libéral. Plusieurs députés sont mal à l’aise avec la condamnation radicale de la Charte des valeurs. Ils ne veulent pas se couper complètement des sentiments identitaires du Québec francophone. D’autres s’y retrouvent et endossent le radicalisme idéologique de Philippe Couillard, pour qui la Charte représenterait une agression insensée contre les droits individuels. Du moins, c’est ce qu’il croyait jusqu’à ce qu’on apprenne que sa position officielle pourrait «évoluer». Reste à voir comment il rétropédalera.
Mais il serait erroné d’y voir un clivage opposant les urbains aux ruraux, comme le suggèrent certains. Ainsi présenté, ce clivage distingue implicitement entre les modernistes éclairés et les traditionalistes rétrogrades, entre l’ombre et la lumière, si on préfère. Les premiers connaitraient la diversité, et l’embrasseraient. Les seconds n’en connaitraient rien, et en auraient peur. On aurait avantage, plutôt, à y voir la concurrence entre deux traditions politiques au sein d’un même parti. Pour le dire de manière imagée, il y a deux partis dans un au sein du PLQ.
Il y a d’abord, étrangement, le PLQ. Je parle ici du PLQ historique. C’est un parti fédéraliste, évidemment, mais qui a historiquement cherché à assumer la «société distincte québécoise» et à l’institutionnaliser politiquement. À partir de la Révolution tranquille, il a cherché à conjuguer le lien fédéral avec défense de l’identité québécoise, longtemps en plaidant pour un nouvel ordre constitutionnel reconnaissant le statut particulier du Québec, et lui accordant des pouvoirs spécifiques. Suite au coup de force de 1982, le PLQ a cherché à corriger le nouvel ordre constitutionnel, dont le Québec était exclu, avec l’accord du Lac Meech. Après l’échec de Meech, il a même flirté avec la souveraineté.
Mais fondamentalement, l’échec de Meech annonçait le déclin inéluctable de cette vision politique. La ratification de Meech représentait la condition minimale à laquelle le Canada devait se plier, sans quoi la participation du Québec à la fédération serait déshonorante. On devinait qu’en restant dans le Canada de 1982, le Québec perdrait peu à peu sa singularité. En décidant de conserver le lien fédéral malgré tout, le PLQ renonçait à tout seuil de rupture avec le Canada. À partir de là, il devenait moins important de préserver la différence québécoise dans le Canada que de défendre le fédéralisme à n’importe quel prix. Le PLQ devenait un inconditionnel du fédéralisme.
Plusieurs de ceux pour qui le fédéralisme n’était pas un absolu quittèrent pour l’ADQ. C’était l’aventure politique de Mario Dumont et des jeunes libéraux de son époque. Mais il y avait encore, répétait-on de temps en temps, un vieux fond nationaliste au sein du PLQ, qui pouvait se réanimer. Ne serait-ce que parce que le PLQ espère conserver certaines assises dans le Québec francophone, il était obligé, de temps en temps, de jouer plus ou moins discrètement une carte nationaliste. Benoit Pelletier en fut un temps le représentant. Et il semble bien que certains députés du PLQ, surtout ceux qui se font élire dans les comtés francophones, croient nécessaire de se réconcilier avec les préoccupations identitaires de la majorité francophone, à travers la question de la Charte.
L’autre parti au sein du PLQ, c’est le PLC. Il porte une vision du fédéralisme fondée sur une adhésion sans réserve non seulement au Canada, mais au Canada de 1982, qui a liquidé la question nationale, qui a remplacé définitivement le biculturalisme par le multiculturalisme, et qui fait de la Charte des droits l’horizon absolument indépassable de l’action politique. Philippe Couillard incarne bien ce nouveau visage du fédéralisme au Québec. On notera qu’avec Philippe Couillard, c’est la première fois qu’elle prend officiellement la tête du PLQ, et qu’elle se substitue très clairement à la tradition libérale de la Révolution tranquille.
Avec Philippe Couillard, le PLC a colonisé idéologiquement le PLQ. J’entends par là que nous sommes passés d’une vision québécoise du Canada à une vision canadienne du Québec. Idéologiquement, Philippe Couillard a une plus grande proximité avec Pierre Trudeau qu’avec Robert Bourassa. D’ailleurs, lui-même a déjà soutenu que le Parti libéral devait cesser d’évoluer sur le terrain du nationalisme, qui selon lui, jouerait toujours à l’avantage des souverainistes. Il s’agit d’ailleurs d’un des propositions fortes des nouveaux penseurs fédéralistes depuis la fin des années 1990.
C’est dans cette perspective que Philippe Couillard a déjà soutenu que le principal problème identitaire, au Québec, était que l’identité québécoise était exagérément définie, et peut-être même confisquée, par la majorité francophone. Autrement dit, la tâche la plus importante consistait à ouvrir le Québec au multiculturalisme, pour témoigner de son ouverture à la «diversité». On peut y voir une forme de clientélisme communautariste, le PLQ connaissant bien sa base électorale. Mais on peut aussi y voir un antinationalisme de principe.
Sans surprise, Philippe Couillard assimile l’expression de la souveraineté populaire à la tyrannie de la majorité. Sa condamnation du projet de Charte des valeurs est parfaitement intelligible de ce point de vue. Elle est la conséquence inévitable d’un fédéralisme pur et dur, délivré du souci de la «société distincte québécoise». Avec lui, le Québec cesserait officiellement de critiquer d’une manière ou d’une autre le régime de 1982. Plus encore, il entendrait se redéfinir dans les paramètres idéologiques qu’il prescrit. Le Québec ne sera démocratique, de ce point de vue, qu’en se pliant de bon cœur à un ordre constitutionnel dont il a été exclu et qui repose à bien des égards sur sa négation.
Il s’agit donc de ceux traditions politiques qui se confrontent en ce moment au sein du PLQ. Évidemment, il n’éclatera pas. Mais c’est la première fois depuis longtemps qu’on entend quelques grincements idéologiques dans la belle mécanique libérale, qui fonctionne normalement à l’unanimisme obligatoire, à la communion affichée avec la pensée du chef. Peut-être que les libéraux du style PLQ, aussi résignés soient-ils au Canada de 1982, n’entendent pas se convertir dans la joie à l’orthodoxie idéologique prescrite par Philippe Couillard.
À travers la querelle portant sur la Charte, ce sont deux manières de penser le Québec et son rapport au Canada qui s’expriment. Les libéraux du style PLQ se portent à la défense d’une conception résiduelle du principe de la société distincte, même s’ils savent probablement qu’ils entreront en conflit avec le régime de 1982. Les libéraux de style PLQ poursuivent la croisade trudeauiste contre le nationalisme québécois, qu’ils s’entêtent à réduire à une manifestation d’intolérance.
Ce en quoi la question nationale parvient toujours à resurgir. On découvre actuellement le visage de sa recomposition. Ce processus pourrait, à moyen terme, nous réserver bien des surprises.


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