L'onde de choc de la révolution égyptienne

L'immense clameur qui s'est emparée de la place Tahrir s'est transmise au monde entier.

Géopolitique — Proche-Orient


Par Christian Makarian - L'immense clameur qui s'est emparée de la place Tahrir s'est transmise au monde entier.


La révolution qui a renversé le président Moubarak aura des conséquences sur le reste du monde arabe. Et pas seulement. L'analyse de Christian Makarian, directeur délégué de la rédaction de L'Express.

L'immense clameur qui s'est emparée de la place Tahrir, s'est transmise au monde entier. Une joie planétaire gagne les peuples célébrant l'un de leurs aînés qui, dans un élan de souveraineté, a mis bas son satrape. Faut-il que les Egyptiens aient souffert du régime Moubarak pour faire montre d'une telle détermination face à toutes les démonstrations de force dont a usé le pouvoir. La grande morale de la journée historique du 11 février 2011 est une leçon d'humanité: malgré plus de 300 morts, le peuple d'Egypte a cru en la puissance de la liberté, sans violence, sans outrance, sans idéologie non plus. Il n'y a pas eu de leader, pas de parti dominant, pas de manipulation intérieure ni extérieure pour agiter ces masses qui, par leur seule volonté, ont retourné l'Histoire.
On en retiendra que l'hyperpuissance, les superpuissances, les grandes puissances entament le XXIe siècle dénudées, presque ridiculisées par des grappes d'hommes et de femmes qui n'ont pas eu recours une seule fois aux armes, ni à l'argent ni à la fureur qui caractérise habituellement les masses déchainées. Ce ne fut pas un déchainement et pourtant on a brisé sous nos yeux ébahis les chaines d'un système si tristement banal. On a parlé de "coup d'Etat" de l'armée contre son chef suprême, c'est en réalité l'inverse qui s'est produit puisque c'est en tant qu'exécutant de la volonté du peuple que le système militaire s'est comporté, en relais des masses, en interprète des foules finissant par peser sur le sommet de l'Etat pour l'emporter vers l'exil. L'onde de choc gagne maintenant trois cercles concentriques.
Le premier concerne le monde arabe, où le prestige et le poids de l'Egypte ne peut pas rester sans effet sur le reste des pays de culture islamique. On pense évidemment à l'Algérie où l'armée détient toutes les clés de l'Etat. Mais la "révolution arabe" n'agit pas par imitation. Chaque forteresse découvre ses propres assaillants et, au jeu des prophéties, il y a tout à perdre. En Tunisie, l'armée ne disposait pas de la base populaire qu'elle a traditionnellement en Egypte; le clan Ben Ali était un cercle restreint, identifié, profiteur et avide. Ce qui explique que les foules aient procédé à des pillages au cours du renversement. En Egypte, il n'a rien eu de tel car le pays disposait d'une administration autrement plus présente; on ne pouvait pas parler d'une "clique". En Algérie, le contexte est encore différent et demandera peut-être une phase de maturation. Sous quelle forme? Il faut rester attentif aux faits bien plus qu'aux analyses. Marcel Pagnol racontait dans un de ses romans: "Tout le monde savait que c'était impossible, sauf un qui ne le savait pas - et il l'a fait". L'Algérie, certes, mais pourquoi pas l'Iran, dont le contexte sociologique évoque par bien des côtés celui de l'Egypte?

Le djihad global est complètement déconnecté des mouvements sociaux et des luttes nationales


Concernant les pays arabes, la question qui vient à l'esprit est évidemment celle de l'islam. Mais force est de constater que les dictatures ont grossi l'importance des islamistes, elles les ont en fait favorisés en les érigeant en opposants primordiaux. Les régimes autoritaires n'ont pas combattu l'islamisation des sociétés, ils l'ont encouragée en cédant mille signes à leurs adversaires. Maintenant que les différents mouvements islamistes tunisiens ou égyptiens ne sont pas à l'origine du soulèvment des peuples, on découvre, selon la constation de l'islamologue Olivier Roy, que "le djihad global est complètement déconnecté des mouvements sociaux et des luttes nationales". Les islamistes vont prendre part à la nouvelle donne, cela ne fait aucun doute, mais auront-ils la même aura que celle qu'on leur prête? C'est la prochaine question brûlante.
Le deuxième cercle englobe l'Occident, largement absent de ces bouleversements qui ne seront évidemment pas sans conséquences sur le Nord. Si les révolutions se poursuivent, l'ensemble de nos rapports avec le sud de la Méditerranée va devoir être profondément repensé. Car les aspirations démocratiques, si elles prennent appui sur les nouvelles technologies et la mondialisation médiatique, n'expriment en rien une volonté de ressembler aux pays européens ou nord-américains: la démocratie parlementaire et les élections libres en Egypte n'e traduisent pas un désir d'imitation vis-à-vis des Etats-Unis ou de l'Europe (même si, indiscutablement, les sociétés arabes ont été gagnées par l'individualisation). Il s'agit bel et bien d'une volonté de conserver son modèle, de cesser de rester à l'écart de l'histoire et, précisément, de ne plus s'inscrire dans la vassalité corruptrice qui fut celle des dictateurs déchus. Ce qui lance un défi gigantesque aux Etats-Unis dans leur dimension unilatérale au Moyen-Orient. On comprend l'inquiétude d'Israël car, par un cruel paradoxe, la paix de Camp David était liée à la dictature de Moubarak. La démocratie égyptienne, que l'on souhaite mais qui n'est pas advenue, signifiera-t-elle le contraire? Ce sera à Barack Obama de déployer tous ses talents pour éviter toute remise en cause de la "paix froide" des 30 dernières années.
Le troisième cercle vise toutes les dictatures et régimes autoritaires qui connaissent des situations démographiques semblables. Il est impossible que le basculement de l'Egypte reste sans aucun effet via les pays de culture musulmanes d'Asie centrale. La Chine a pris les devants en renforçant le contrôle de l'information afin de ne pas montrer la liesse du peuple égyptien. Même si le cas chinois est fondamentalement différent, c'est la preuve d'une préoccupation certaine du pouvoir central. Eriger des murs et des forteresses, alors même que l'on pratique des échanges économiques intenses, va paraître de plus en plus difficile.


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