L'Iran, une menace pour le monde? Un non sens!

De simplement répéter la vision Bush de la situation au Proche-Orient ne la rend pas plus compréhensible.

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Géopolitique — nucléaire iranien


Photothèque Le Soleil


Dans une [analyse parue le 15 janvier sur ce site, Alain-Michel Ayache->11177] a tenté de démontrer pourquoi «L'Iran représente un véritable danger» pour le monde. Mais cette analyse consistait en réalité à répéter que l'Iran est un danger parce que les Américains le disent, et repose sur trois points plus que discutables :
Premièrement, M. Ayache jette la seule responsabilité pour le bras de fer entre les États-Unis et l'Iran dans le Golfe sur le dernier. Il omet de mentionner que l'Iran a peut-être raison de se méfier de la présence américaine devant ses portes, ayant déjà subi une longue guerre menée par l'Irak pour le compte de l'Occident et ayant vu les Américains abattre ses avions civils et attaquer ses navires.
Un prétexte
L'incident récent aurait pu fournir un autre beau prétexte pour déclarer la guerre, jusqu'à ce que Téhéran publie l'enregistrement de l'échange radiophonique tout à fait correct entre les capitaines américain et iranien. Même le journal de la U.S. Navy a avoué que les menaces de «faire exploser» ses navires (!) ne venaient probablement pas du côté des Iraniens. La seule chose que l'incident prouve est que de hauts responsables militaires américains savaient parfaitement qu'aucune menace n'avait eu lieu, mais que la Maison Blanche était néanmoins prêt à l'exploiter dans les médias pour mettre à point l'image de l'Iran comme danger. Qui est le vrai menace dans la région?
Nucléarisation du Proche-Orient : l'Iran ou Israël?
Deuxièmement, M. Ayache rend responsable l'Iran pour la nucléarisation du Proche-Orient. A-t-il déjà entendu parler d'Israël? Dont la fameuse capacité nucléaire «Samson» (d'ailleurs également assurée avec l'aide technique de la France !) est réellement celle perçue par les pays arabes comme un danger militaire imminent, et pour cause ?
Ou du Pakistan, qui fut vivement critiqué par les États-Unis quand il se dota de la bombe, il y a quelques années, mais qui est maintenant bien sûr son allié clé dans la région. Difficile à comprendre comment le Pakistan servira donc dans une politique «d'endiguement», — un concept emprunté d'ailleurs à la Guerre Froide (George Kennan) qui n'a pas de véritable application dans le Proche-Orient contemporain. De toute façon, de rappeler que c'est le président Ahmedinejad qui a le «doigt sur le bouton» (de quoi exactement, des missiles intercontinentaux?) sert seulement à le dépeindre l'Iran comme plus irrationnel que ses ennemis, et donc à brouiller plutôt qu'à expliquer ses actions.
L'axe chiite?
Troisièmement, M. Ayache sort le vieux canular de «l'axe chiite» entre l'Iran et la Syrie (et le Hezbollah libanais). Difficile de savoir pourquoi cet axe serait «en gestation», puisque leur alliance remonte au début des années 1980 ; le terme fut forgé par le chercheur Michel Seurat lors de la guerre civile libanaise. Mais de chercher a comprendre les actes politiques de musulmans par le seul fait qu'ils sont chiites ou sunnites, un essentialisme culturel qui rappelle étrangement celui de l'orientalisme classique, tend encore à brouiller la compréhension de cette alliance paradoxe entre un régime islamiste révolutionnaire et un régime rigoureusement séculaire.
Si on le réduit à des questions de religion, la secte alaouite dite être «au pouvoir» en Syrie a d'ailleurs toujours été vue comme hérétique par les chiites duodécimains, tandis que les Alaouites se sont largement défendus contre l'assimilation dans l'islam chiite. Ce qui explique leur alliance stratégique et plutôt la crainte commune de l'Irak, autrefois sous Saddam et maintenant sous les Américains, et leur désir d'appuyer ces factions qui résistent contre les desseins politiques des Etats-Unis, la France et Israël au Liban.
(La guerre entre les chiites libanais du Hezbollah et du AMAL en 1985 mena en fait à des vives tensions entre leurs commanditaires iraniens et syriens.) Mais de l'avouer serait encore de refouler une partie de la responsabilité pour le chaos au Proche-Orient sur nos propres choix politiques plutôt que sur des mentalités immuables.
Non, il n'est pas nécessaire d'être sur le payroll des services secrets américains pour critiquer Ahmedinejad. Des millions d'Iraniens le font d'ailleurs quotidiennement, surtout pour la crise économique qui frappe actuellement le pays, pour le manque de véritables réformes sociales et politiques, et pour plein d'autres raisons qui échappent à nos médias. Le journaliste britannique Robert Fisk l'a décrit le mieux, comme «quelqu'un qui parle beaucoup plus qu'il ne réfléchit».
Mais que l'Iran constitue un menace «pour le monde» pour les raisons évoquées est un non-sens. De simplement répéter la vision Bush de la situation au Proche-Orient ne la rend pas plus compréhensible.
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Stefan Winter
Professeur, Histoire du Proche-Orient et du Maghreb

Université du Québec à Montréal

[www.proche-orient.uqam.ca->www.proche-orient.uqam.ca]
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