L'information sous influence

Médias et politique

Éditorial - Au Québec, l’information présente tous les signes de son contraire : la désinformation. Tournant autour d’un Québec politiquement privé de toute centralité politique forte, la planète médiatique se mue en machine à désincarner. Le récit dont nous abreuvent les médias confine au babillage insignifiant et à la fabrication du sentiment minoritaire. Le débat public, la délibération collective ne s’y effectuent, au mieux, que sur un mode qui convient à une annexe ou une fraction de quelque chose d’autre. Nos médias sont sous influence. Ils servent de revendeurs aux trafiquants de la dope canadienne.
L’opération est sournoise : elle nous cache derrière l’abondance de ce qu’elle montre de nous. On nous sert les mesures sophistiquées de visibilité médiatique, les statistiques les plus fines pour démontrer qu’il est abondamment question de nous dans le grand bazar. Au point qu’on veut nous convaincre que le Québec est en montée, rempli de vitalité, enivré de l’expression de lui-même tant il a du plaisir à se voir et à se fréquenter dans ses espaces de divertissement. C’est un lieu commun dans les coteries médiatiques, nous avons une for-mi-da-ble vitalité culturelle. On en fait même un matériau d’engagement non partisan contre Stephen Harper pour exiger à grands coups de pages Web que le Canada soutienne la culture. Le piège se referme alors sur une revendication incapable de qualifier cette culture, sinon au moyen des périphrases imposées : « culture francophone », « culture d’ici », « notre culture » ou toute autre mouture censurant la référence au Québec.
De cette « culture d’ici », on parlera d’abondance pour mieux en désamorcer la charge, la couler dans le divertissement inoffensif, cette forme postmoderne de la réduction folklorique. C’est en dansant sur sa musique que le Québec se meurt : il boit de la culture sur sa dépouille étatique. Il gigote dans un grand rave et se sert un bouillon d’entertainment pour mieux pulvériser les œuvres dans le vide de la désincarnation institutionnelle.
La compensation culturelle, voilà à quoi carbure la nébuleuse médiatique, qui utilise ad nauseam acteurs, auteurs, compositeurs, interprètes, comiques, humoristes, animateurs, critiques, vadrouilleurs et autres « gens de la culture » pour mieux couvrir le trou béant du Québec national, habiller l’inculture politique dans le jovialisme culturel bien branché.
Ce bavardage culturel a une finalité politique cachée, de même que l’information politique s’enroule elle aussi sur le non-dit. Le métier de journaliste s’en trouve asphyxié. Une rhétorique de la désincarnation y tient lieu de norme d’objectivité. Le problème de la concentration-convergence des médias n’est pas propre au Québec, mais il a ici une conséquence singulière : l’éclipse du point de vue national.
La propriété concentrée des médias engendre la convergence de la nouvelle. Cette concentration-convergence s’inscrit bien sûr dans les tendances de fond du libéralisme économique, mais son impact sur la démocratie est majeur. Le côté aberrant et antidémocratique de l’affaire est rendu plus patent ici du fait que précisément ces conglomérats de l’information évacuent ou discréditent systématiquement le point de vue du Québec comme peuple, demos, capable d’État (et non comme simple ethnie, ethnos).
Soit les médias travaillent activement contre l’émancipation politique du Québec, soit ils trouvent leur compte à s’inscrire dans les cadres conceptuels dressés par la propagande militante des propriétaires de mèche avec l’État canadian. Le milliardaire Paul Desmarais a mis la main sur La Presse en 1967 et sur les autres journaux du groupe Gesca par la suite dans le but exprès de contrer le séparatisme et d’emboutir le Québécois dans le Franco-Canadien. L’alliance de ce groupe avec Radio-Canada consacre une aberration : c’est un point de vue ultraminoritaire et étranger qui domine le récit médiatique. Les résultats et l’analyse du sondage mené par Marc-François Bernier auprès des journalistes travaillant pour Gesca, Quebecor ou Radio-Canada montrent que ce phénomène n’est pas sans conséquences néfastes sur les journalistes et la pratique normale de leur métier (Les journalistes au pays de la convergence, PUL, 2008).
Les dégâts de cette oblitération du point de vue national ressortent avec force du traitement que subit ici la question inuite, efficace révélateur de l’impuissance à se penser dans le monde. L’ignorance publique crasse du Québec en cette matière est entretenue par les médias qui se taisent sur la question, la traitent dans les petites marges ou la dépolitisent complètement en la coulant dans les catégories de l’anthropologie. Pourtant, la question inuite est éminemment politique. On en a une idée par le livre d’Éric Canobbio, Géopolitique d’une ambition inuite : le Québec face à son destin nordique (Septentrion, 2009) ici recensé par André Binette qui coprésida la Commission du Nunavik de 1999 à 2001.
La liberté d’expression est en train de reculer, comme on le voit encore avec ce qui vient de se passer autour de l’essai de Mario Pelletier sur la Caisse de dépôt et placement (La Caisse dans tous ses états, Carte blanche, 2009). Utilisant le droit comme une arme d’intimidation, la Caisse a judiciairement mis en demeure l’éditeur de cesser la distribution de l’ouvrage, sans doute pour permettre à son ex-PDG, Henri-Paul Rousseau, de témoigner sans trop s’inquiéter devant la commission parlementaire chargée d’étudier sa gestion et la perte de 40 milliards de dollars subie sous sa gouverne. L’essai de Mario Pelletier, qui suit l’« histoire mouvementée » de la Caisse depuis des années, était en mesure d’alimenter parlementaires et commentateurs dont les questions auraient contribué à éclairer les citoyens québécois et les contributeurs de la Caisse. Mais on a voulu museler le débat. Et c’est une manœuvre qui a été orchestrée avec des fonds publics par une institution publique. Décidément, il y a des parvenus qui flambent le bien d’héritage.
Richard Gervais

secrétaire de rédaction
Robert Laplante

directeur


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