L'indifférence à soi : pourquoi l'indépendance va mal

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Le retour des identités collectives

Les jeunes et l’indépendance: le thème revient en boucle. Longtemps, il donnait confiance aux indépendantistes. On croyait les jeunes massivement indépendantistes. On croyait aussi qu’ils le demeureraient rendus à l’âge adulte. Comme le disait avec un air savant et satisfait Bernard Landry, le simple renouvellement des générations conduirait à la souveraineté. La souveraineté était une question de démographie. Puis la réalité a commencé à basculer.
On a commencé à voir les jeunes s’éloigner du PQ. On dit la jeunesse rêveuse: le PQ était devenu un parti pragmatique, usé par ses nombreuses défaites, habitué à l’exercice du pouvoir et à ses compromis. Les péquistes savent bien aujourd’hui qu’on peut changer le monde, mais que le monde ne se laisse pas changer aussi facilement qu’on ne le croit. Et cela se sent. Je devine que l’idéalisme des jeunes années ne trouve pas cela très attirant.
On a même vu la jeunesse dédaigner peu à peu la souveraineté. Elle se sent québécoise, certainement. Son pays d’identification, c’est le Québec – du moins chez les jeunes issus de la majorité francophone, car chez les jeunes issus de l’immigration, Montréal apparait souvent comme un cadre d’appartenance préférable au Québec. Mais les jeunes Québécois francophones n’en tirent pas vraiment de conséquences politiques. C’est comme si le Québec avait atteint une forme d’indépendance psychologique comme société, et croyait pouvoir se passer de l’indépendance politique comme nation.
Cela cadre avec l’esprit de la mondialisation, qui préfère les sociétés aux peuples. C’est l’esprit de l’époque. Nous vivons dans un monde qui travaille à la liquidation active des identités substantielles et inscrites dans l’histoire. On désire l’interchangeabilité des sexes, des cultures, des peuples, des civilisations. On diabolise les frontières, culturelles ou politiques, parce qu’elles empêcheraient le genre humain de se réunir, de s’unifier, de transcender ses différences. La frontière devait normalement permettre de tracer un périmètre à l’intérieur duquel une nation s’autodétermine. Mais qu’arrive-t-il lorsqu’on ne croit plus vraiment à l’existence des nations?
La jeune génération vit à l’heure de la culture globale. Les jeunes esprits qui veulent réussir ne comprennent pas pourquoi ils devraient inscrire leurs ambitions à l’échelle québécoise – ne s’agit-il pas d’un cadre trop étroit lorsqu’on s’imagine qu’on doit conquérir le monde? Ne leur a-t-on pas dit et répété que le monde leur appartenait?
Pour le conquérir, ils doivent toutefois en accepter les codes. Parmi ceux-là, ils doivent relativiser l’importance de leur identité nationale – cela, s’ils la ressentent encore. Leur identité jouera encore un rôle dans leur vie individuelle : ils renoncent à en faire un principe politique.
Par exemple, s’ils veulent chanter, ils chanteront en anglais. Et expliqueront rationnellement que le monde parle anglais et que s’ils veulent rejoindre tous les marchés, ils doivent parler la langue qui les traverse tous. Car le monde, avant d’être un ensemble de patries, est désormais un marché – on embellira la chose en disant qu’il s’agit surtout d’une culture globale où chaque identité se laisse féconder par toutes les autres. Un peuple mondial en naîtrait. On se demandera toutefois si, de belles exceptions mises à part, on peut vraiment créer de belles choses en croyant automatiquement devoir se séparer de sa culture pour grandir?
On ajoutera quand même une nuance importante: l’époque est cosmopolite et parle anglais, mais le Québec lui-même, depuis 20 ans, maintenant, a travaillé à s’y fondre exagérément. Il a confondu l’amour de l’autre avec le dédain de soin. Il a négligé de transmettre son histoire – pire encore, il a invité les jeunes générations à la mépriser silencieusement, en la disant au mieux insignifiante, et au pire cruelle et négative. À l’école, il a disqualifié la nation comme cadre naturel de la démocratie. Comment s’identifier à un peuple auquel on ne se sent pas lié par la mémoire?
Les jeunes ne ressentent-ils pas aussi, sans nécessairement le savoir consciemment, les effets psychologiques et identitaires de l’échec de la souveraineté en 1980 et en 1995? Un peuple n’échoue pas son indépendance sans en payer le prix, sans ressentir cette défaite comme une blessure intime. Et peu à peu, le pays dont on voulait se séparer parvient à imposer des repères, sa vision du monde. Le Canada a peut-être gagné : chacun se sent Québécois, mais personne ne sent nécessaire d’assurer les droits nationaux du Québec. L’identité québécoise s’est dépolitisée.
Certains diront: tout est foutu pour les souverainistes. Ils devraient accepter leur mauvais sort et faire le deuil du beau grand rêve qu’ils cherchent à concrétiser. On nuancera quand même ce pessimisme. Non pas parce que les souverainistes devraient chercher à dissoudre leur projet dans la triste époque qui est la nôtre, en espérant ainsi le rendre séduisant pour nos apprentis nomades aux sentiments nationaux attiédis.
Mais parce que si les souverainistes font un grand exercice de lucidité, ils comprendront que derrière le récit enchanté de la mondialisation cosmopolite, on assiste à un déracinement violent des peuples qui les conduira, tôt ou tard, à ressentir le besoin de ce qu’ils ont trop rapidement abandonné: je parle des ancrages, des institutions, du politique, de la mémoire. Un jour, l’homme a besoin de se fixer, de s’inscrire dans un cadre, il a besoin de s’inscrire dans la durée. Il a besoin d’un pays. Et le pays des Québécois, c’est le Québec. L’indépendance serait un retour au réel. Le XXIe siècle pourrait bien être celui du retour des nations, des identités collectives.
Et les identités ont la vie dure. Elles semblent se dissiper mais elles peuvent se réveiller. En fait, elles peuvent renaître. Non pas à la manière d’une copie conforme de ce que nous avons connu quelques décennies plus tôt. Mais non plus à la manière d’une identité sans lien aucun avec le passé. Avant et après 1960, c’est le même peuple qu’on trouve au Québec, même si son identité a évolué, s’est transformé. L’identité québécoise pourrait renaître et l’intérêt suscité par la question identitaire ces dernières années témoigne d’un désir de réenracinement au Québec. Naturellement, toute identité s'ouvre vers l'universel. Mais encore doit-on s'ancrer quelque part pour s'élancer vers le monde.
Il s’agit dès lors, pour les souverainistes, de ne pas capituler, de ne pas se laisser abattre. Non pas pour livrer un baroud d’honneur, une ultime bataille à la manière de perdants magnifiques, mais simplement parce que leur cause répond à certaines aspirations fondamentales de l’être humain. Ces aspirations peuvent recevoir ou non l’approbation de l’idéologie dominante du jour mais reviendront toujours de l’avant, d’une manière ou de l’autre. À moins que le peuple québécois ne consente à disparaître. On peut le craindre. Mais on ne saurait s’y résoudre.


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