«L’incendie du Parlement» ou l’art de la controverse

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Le feu est pris

Ce vendredi, Le Soleil rapportait l’acquisition par l’Assemblée nationale d’une œuvre aussi audacieuse que révélatrice de notre époque (1).
Intitulé «L’incendie du Parlement», «l’immense tableau de Martin Bureau montre le parlement ravagé par les flammes et illustre la précarité de la démocratie québécoise. Il aura une place de choix dans les bureaux de l’Assemblée nationale dès mercredi.» «C’est un constat assez cynique sur l’état de la démocratie, une vision au futur antérieur», déclarait M. Bureau l’an dernier.
Or, l’article du Soleil cite également l’ex-député libéral et avocat, Marc Bellemare. Connu pour ses propos cinglants sur l’ère Charest, on y apprenait que le tableau avait en fait été acquis par Me Bellemare, puis cédé à l’Assemblée nationale.
Il y est cité en ces termes:
«Je trouve que c’est une belle métaphore et qu’il n’y a pas assez d’oeuvres politiques au Québec. Nos artistes sont trop tranquilles, alors qu’il y aurait plein de sujets intéressants avec toute la corruption et la collusion qu’il y a (…) Ça répondait aussi à mon parcours [politique]. À tout ce qui s’est produit dans la commission Bastarache, une farce monumentale.»
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Et là, l’histoire se corse.
Martin Bureau y est également cité. Selon le quotidien, sa première intention de l’artiste aurait été d’offrir lui-même son tableau au parlement tout en étant convaincu de voir son œuvre refusée : «Je voulais narguer, mais dans ma tête, c’était sûr qu’ils allaient refuser. Ça faisait même partie du plan».
Citons un autre extrait de l’article :

«À l’automne 2013, Marc Bellemare accepte d’aider Martin Bureau dans ses démarches et contacte Jacques Chagnon, le président de l’Assemblée nationale, pour lui suggérer de prendre le tableau. «Je ne lui ai pas dit que je l’avais acheté», précise toutefois M. Bellemare. «Je trouvais ça bien de faire entrer un jeune artiste en arts actuels au parlement. Le fait que je suis le donateur, je trouvais ça technique, je ne trouvais pas ça important.»

Martin Bureau a toutefois attendu que le contrat de donation soit rédigé, plusieurs mois plus tard, pour changer son nom pour celui de Bellemare sur les papiers officiels.
«Si ça revirait de bord à ce moment-là, ça aurait été pour des raisons politiques, et on aurait toutes les preuves pour prouver que ce n’est pas à cause du tableau», indique Bellemare. «Moi, je trouvais ça encore plus porteur qu’un ancien parlementaire, ex-ministre de la Justice, qui a déclenché la commission Bastarache, donne ce tableau», souligne Bureau.»

Or, contrairement à ses attentes, l’Assemblée nationale avait accepté le tableau et planifie même de l’exposer sur un de ses murs.
Citons maintenant un autre extrait de l’article. Martin Bureau y est cité comme suit:
«On est tombés sur une équipe qui avait de la tête et qui était audacieuse. Ils côtoient le mensonge, les rhétoriques douteuses et sont dans la même bâtisse que les élus. S’ils peuvent eux-mêmes participer à mettre de l’autocritique dans la bâtisse, je crois que ça va leur faire du bien. Ce qui était une intention de narguer s’est transformé en quelque chose de très positif.»

À l’Assemblée nationale, on notait en effet que «l’oeuvre se veut un hommage, mais aussi une réflexion sur la démocratie et sa précarité, ce qui s’inscrit directement dans la mission de l’Assemblée nationale», mais également, qu’elle «souligne l’importance de soutenir les jeunes artistes contemporains québécois».
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Résultat : dévoilement annulé
Puis, coup de théâtre. Ou disons plutôt, dénouement prévisible.
En fin d’après-midi, l’Assemblée nationale émet une «mise au point» sous forme de communiqué de presse en réaction à l’article du Soleil. Pas heureuse, mais pas du tout, des déclarations de messieurs Bellemare et Bureau, ses autorités ne se gênent pas pour le dire.
On y explique d’abord que «l’Assemblée nationale a accepté l’œuvre à la lumière du libellé de sa vignette, rédigée par l’artiste lui-même, et qui se lit comme suit : «Montrant l’intérêt de l’artiste envers la critique des systèmes établis, le tableau L’incendie du Parlement exprime le souhait d’une démocratie durable, par l’évocation de sa précarité.»»
Puis, on y précise que:
«l’Assemblée a également accepté l’œuvre, partant du fait qu’elle se voulait une réflexion sur la démocratie, sa précarité et la nécessaire vigilance que doit lui porter notre société, tel que l’évoque l’artiste dans sa vignette, ce qui s’inscrit directement dans la mission de l’institution. Le tableau présente la fragilité des institutions démocratiques et met en relief la nécessité de les préserver et d’en prendre soin. L’Assemblée nationale souhaitait par ailleurs souligner l’importance de soutenir les jeunes artistes contemporains québécois.
Toutefois, le message qui est véhiculé à propos de cette acquisition, par le donateur et l’artiste, n’est pas celui sur la base duquel l’Assemblée a consenti à acquérir l’œuvre. Cette dernière se dissocie de tout message associant aussi bien l’œuvre en soi que la démarche d’acquisition à un événement politique précis. La preuve en est que l’Assemblée avait déjà consenti à acquérir l’œuvre, avant même d’apprendre que le donateur était l’ancien député Marc Bellemare.
L’Assemblée se désole du fait que cette acquisition, qui met en valeur l’art contemporain et qui interpelle la collectivité en proposant une réflexion sur l’état de notre démocratie, soit l’objet d’une récupération politique et d’un dénigrement du travail des députés. Par souci de respect pour notre institution et tous les parlementaires, et afin d’éviter que la situation se transforme en tribune politique, c’est à regret que l’Assemblée nationale se voit dans l’obligation d’annuler le dévoilement de la toile de l’artiste Martin Bureau. L’Assemblée honorera toutefois son engagement d’acquérir l’œuvre.»

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Ouf…
L’art de se court-circuiter soi-même avec des propos qui, de manière tout à fait prévisible, ne pouvaient qu’être rejetés par les autorités, nécessairement non partisanes, de l’Assemblée nationale.
C’est vraiment dommage. Autant l’œuvre que la réflexion qu’elle suscite sont puissantes et tombent à point nommé. Quoique la réaction de l’Assemblée nationale aux propos tenus soit en même temps tout à fait compréhensible.
Rejointe en fin de journée, la signataire du communiqué de presse confirmait heureusement que le tableau serait néanmoins exposé au public.
Il en vaudra sûrement le déplacement.
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Et vous, qu’en pensez-vous?
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(1) http://www.lapresse.ca/le-soleil/arts-et-spectacles/expositions/201407/03/01-4780910-un-tableau-du-parlement-en-flammes-au-parlement.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_en-vedette_91290_section_ECRAN1POS1


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