1534-2009: 475 ans plus tard...

L'héritage de Jacques Cartier

L’âme des peuples se trouve dans leur histoire

Jacques Cartier n'est certainement pas le «découvreur du Canada», tel que décrit dans les anciens manuels scolaires d'histoire. Sans vouloir réduire son rôle, certains faits doivent être remis en perspective en ce 475e anniversaire de son passage en Gaspésie.
Jacques Cartier naît en 1491 à Saint-Malo, en Bretagne, pour décéder au même endroit en 1557, à l'âge de 66 ans. Même si nous ignorons tout de lui avant 1532, nous pouvons présumer certaines choses. Tout d'abord, Cartier est de toute évidence un homme de son temps, dans le sens où il a vécu la majeure partie de sa vie au XVIe siècle, siècle qui coïncide avec le mouvement des grandes explorations et des découvertes. À cette époque, les quatre puissances dominantes qui rêvent de voir leur métropole s'agrandir et s'enrichir par la conquête de colonies outre-Atlantique sont l'Espagne, le Portugal, la France et l'Angleterre.
Or le contexte de l'époque ne peut qu'influencer Cartier à prendre la mer, surtout lorsqu'on naît à Saint-Malo, où il est probablement très mal vu d'avoir le mal de mer! Au XVIe siècle, Saint-Malo est une ville maritime dotée d'un port de mer fort important. C'est pourquoi on y aperçoit de futurs hommes de mer, tels des armateurs, des corsaires, des navigateurs, des explorateurs et, bien sûr, des commerçants qui espèrent tirer profit de la découverte des Amériques et du développement des échanges commerciaux. Pour ce qui est de la Bretagne, disons qu'elle se démarque. D'origine celte, les Bretons créent un royaume au IXe siècle qui devient ensuite un duché. Plus tard, soit en 1532, la Bretagne devient une «province réputée étrangère» unie à la France jusqu'à sa dissolution administrative en 1790. C'est pour l'une de ces raisons que Cartier nous est inconnu avant 1532, année où la Bretagne intègre le giron de la France et où le recrutement de navigateurs expérimentés devient chose possible pour la monarchie française.
Explorateur plutôt que découvreur
Explorateur plutôt que découvreur, ce Jacques Cartier? C'est mon avis. Du moins lors de son premier voyage. Lorsqu'il débarque en Gaspésie à l'été 1534, la péninsule est peuplée depuis au moins 8000 ans par des hommes et des femmes qui implanteront, au fil des siècles, des sociétés structurées. Ces Amérindiens ont apprivoisé le territoire; ils fréquentent, habitent et nomment les lieux de cette vaste péninsule, de ce bout du monde appelé «Gespeg» dans leur langue. Cartier rencontre des centaines de Micmacs et d'Iroquois dans la baie des Chaleurs et dans la baie de Gaspé. Ces derniers semblent beaucoup moins effrayés que lui. Normal, puisque ces premiers Gaspésiens côtoient depuis un certain temps déjà des pêcheurs européens d'origines basque, bretonne et normande. Contrairement à Cartier, ces pêcheurs ne sont pas «commandités» pour remplir une mission. Ils naviguent discrètement dans nos eaux pour y prélever une ressource de plus en plus convoitée: la morue. Quant à Cartier, il a reçu un mandat officiel du roi de France, celui de «découvrir certaines îles et pays où l'on dit qu'il se doit trouver une grande quantité d'or et d'autres riches choses». Rien à voir avec la fondation d'une colonie française. C'est plutôt l'économie d'abord! Le Malouin suit donc la route des pêcheurs, espérant trouver les richesses de l'Asie. Comment ne pas avoir en tête les «exploits» de l'Espagne qui, plus au sud, à la même époque, s'enrichit en exploitant et en exterminant des sociétés qui reposent sur l'or.
Explorateur plutôt que découvreur, ce Jacques Cartier? C'est mon avis. Du moins lors de son premier voyage. Lorsqu'il débarque en Gaspésie à l'été 1534, la péninsule est peuplée depuis au moins 8000 ans par des hommes et des femmes qui implanteront, au fil des siècles, des sociétés structurées. Ces Amérindiens ont apprivoisé le territoire; ils fréquentent, habitent et nomment les lieux de cette vaste péninsule, de ce bout du monde appelé «Gespeg» dans leur langue. Cartier rencontre des centaines de Micmacs et d'Iroquois dans la baie des Chaleurs et dans la baie de Gaspé. Ces derniers semblent beaucoup moins effrayés que lui. Normal, puisque ces premiers Gaspésiens côtoient depuis un certain temps déjà des pêcheurs européens d'origines basque, bretonne et normande. Contrairement à Cartier, ces pêcheurs ne sont pas «commandités» pour remplir une mission. Ils naviguent discrètement dans nos eaux pour y prélever une ressource de plus en plus convoitée: la morue. Quant à Cartier, il a reçu un mandat officiel du roi de France, celui de «découvrir certaines îles et pays où l'on dit qu'il se doit trouver une grande quantité d'or et d'autres riches choses». Rien à voir avec la fondation d'une colonie française. C'est plutôt l'économie d'abord! Le Malouin suit donc la route des pêcheurs, espérant trouver les richesses de l'Asie. Comment ne pas avoir en tête les «exploits» de l'Espagne qui, plus au sud, à la même époque, s'enrichit en exploitant et en exterminant des sociétés qui reposent sur l'or.
La prise de possession du territoire
Avant de retourner chez lui, Cartier fait planter au moins deux croix, mais celle de Gaspé revêt un caractère particulier. Comportant l'effigie du roi de France, elle symbolise la prise de possession d'un territoire habité depuis des milliers d'années, ce qui n'est pas sans déranger les Amérindiens. Pour les Iroquois qui se trouvent sur place et qui assistent à la cérémonie, un mélange de naïveté et d'incertitude se lit sur leur visage. Chez les Amérindiens, les notions de territoire, de frontière ou de propriété privée n'existent pas. Pour eux, la nourriture doit être partagée entre ceux qui en ont besoin. La mer et la terre sont des biens collectifs leur permettant de survivre. D'où leur étonnement et leur mécontentement.
Ne trouvant ni or ni épice, Cartier échoue dans sa mission, ce qui laisse la France perplexe. Le retour des commandites ne s'effectuera que quelque 70 ans plus tard avec Samuel de Champlain, qui reprend l'héritage laissé par son prédécesseur en fondant Québec en 1608.
L'héritage de Cartier
Ainsi, 475 années sont passées depuis le passage de Jacques Cartier. La contribution notable du navigateur consiste à décrire les lieux visités avec minutie et à nommer des lieux qui, à sa connaissance, ne l'ont pas encore été. J'habite dans ce merveilleux pays qu'est la Gaspésie. Ma voisine, c'est la mer, cette «baye de Chaleurs» nommée par Cartier lui-même lorsqu'il s'arrêta à Tracadièche, dit Carleton, le 9 juillet 1534.
Quant à cette croix -- peu appréciée des Amérindiens qui sont témoins de l'enlèvement de deux des leurs par Cartier --, symbole mythique de la découverte du Canada, que représente-t-elle 475 ans plus tard? Par cette croix, la France possédera l'argument pour revendiquer un immense territoire qu'elle perdra aux mains des Britanniques par la Conquête de 1760. Revient donc à Cartier l'action d'avoir posé les bases de la colonisation et du peuplement de la Nouvelle-France et, par le fait même, de la culture française en terre d'Amérique, culture toujours dominante dans cette partie du Canada où il s'est aventuré il y a 475 ans. Dans ses relations, Cartier nous a également légué une description fort intéressante des Premières Nations. Leur vie nous était inconnue jusqu'alors étant donné, entre autres, leur méconnaissance de l'écriture.
Si Cartier ressuscitait pour quelques jours, le choc serait brutal. Il apprendrait que le pays qu'il a exploré s'est considérablement développé grâce à Champlain, qui a pris la relève en fondant une colonie, aujourd'hui peuplée de 7,7 millions d'habitants. Il réaliserait qu'un peu plus de deux siècles après son passage, les Britanniques ont vaincu les Français en Amérique, mais que, malgré la défaite, les descendants des colons français, qui sont devenus des Canadiens, des Canadiens français, puis des Québécois, ont su éviter les nombreuses tentatives d'assimilation. Cartier serait étonné de constater que le Canada qu'il a découvert lors de ses trois voyages n'a plus rien à voir avec le Canada actuel. Le Canada a considérablement évolué dans ses dimensions géographiques au fil des siècles. Transformé en 1763 en province de Québec, ce Canada est devenu le Bas-Canada en 1791, pour s'unir avec le Haut-Canada (l'Ontario) en 1840 -- à la suite de la parution du rapport Durham --, pour enfin prendre de l'expansion d'est en ouest par l'entremise du pacte confédératif de 1867. Le Canada est actuellement le plus grand pays de la planète après la Russie.
Enfin, si Cartier revenait nous visiter, une chose le ferait mourir à coup sûr. Le fait qu'une partie de sa Nouvelle-France, soit le Québec actuel, ait réussi un exploit peu commun: celui de refuser à deux reprises le privilège de choisir, par référendum, l'indépendance nationale comme voie d'avenir. Allez, Cartier, bon vent!
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Pascal Alain, Historien - Carleton-sur-Mer


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