À en juger par les déclarations des dirigeants à la dernière réunion du G-7, la mise en vigueur de sanctions étasuniennes contre l’Europe et le mépris envers les intérêts européens du Président Trump, à la manière dont Washington fait fi des intérêts de tout pays à part Israël, n’a pas incité les Européens à se désolidariser de l’hostilité de Washington envers la Russie.
Selon le Premier ministre britannique, le G-7 « était d’accord pour prendre d’autres mesures restrictives contre la Russie si nécessaire. » La marionnette française des États-Unis, Macron, a faussement accusé la Russie de violer l’accord de Minsk, bien que ce soit le seul pays qui tente de le faire appliquer. Le président français a aussi trompeusement accusé la Russie d’envahir l’Ukraine et d’annexer la Crimée, en dépit du fait que les forces russes sont présentes en Crimée depuis des lustres, un bail de 50 ans stipulant que cette péninsule est une base navale russe. Comme le président français le sait sûrement, toute la Russie a accepté le vote unanime des Criméens pour la réunification avec la Russie. La Crimée faisait partie de la Russie depuis trois siècles, plus longtemps que n’existent les États-Unis, avant d’être illégitimement donnée à l’Ukraine.
Les politicards du G-7 ont accusé Poutine de « comportement déstabilisant, » de « saper les systèmes démocratiques » [système signifie combine, NdT] et de « soutenir la Syrie. »
L’Europe reste inféodée à Washington malgré l’acharnement de Trump à humilier les vassaux européens de Washington.
La réponse de Poutine à ce qu’il a qualifié de « babillage inventif » [ou jacasserie combinarde, NdT], a été que l’Europe devrait avec la Russie travailler à se mettre d’accord sur leurs intérêts communs.
Il existe des intérêts communs, et Poutine les voit, mais, comme c’est clairement ressorti du G-7, les membres du G-7 ne voient dans la Russie qu’un ennemi.
Du point de vue occidental, Poutine est une épine dans le pied parce qu’il tient à la souveraineté russe. En accusant la Russie de « comportement déstabilisateur, » l’Occident veut dire que l’indépendance de la Russie déstabilise l’ordre mondial de Washington. Parce que Poutine refuse l’hégémonie de Washington, la Russie est considérée déstabilisatrice. Faisant des concessions et ayant un comportement raisonnable, Poutine ne peut pas se défaire de cette conduite par égard pour la Russie. Croire que les mots gentils ont la capacité de détourner la colère provoquée par le rejet de l’hégémonie, pourrait être une illusion mortelle pour la Russie.
Pour démontrer aux européens que la Russie n’est pas une menace, Poutine accepte les insultes, les provocations, les morts dans la partie russe de l’Ukraine et les attaques israéliennes contre la Syrie, où il a dépensé des ressources pour libérer des « rebelles » de Washington. À en juger par les déclarations au G-7 ou au G-6, les politicards européens se fichent comme d’une guigne que la menace vienne de Washington, pas de Russie. Washington a remis à l’Europe un script à suivre contre la Russie, et l’Europe paraît s’y conformer sans tenir compte du comportement de la Russie et de la façon dont Washington traite l’Europe. Le fait que les espoirs antérieurs, suscités par la résistance des Européens à Trump voulant abroger l’accord sur le nucléaire iranien, amènerait l’indépendance de l’Europe, sont foutus à cause de l’hostilité unanime contre la Russie affichée à la dernière réunion du G-7.
La stratégie de Poutine pourrait ne pas marcher pour deux raisons. D’abord, l’Europe n’a pas eu d’existence indépendante depuis 75 ans. Les pays européens ne savent pas ce qu’est être souverain. Ensuite, sans Washington, les politicards européens se sentent perdus, aussi y a-t-il de fortes chances qu’ils restent fidèles à Washington.
Autre problème de Poutine, il s’imagine que la Russie doit intégrer l’Europe. Les Étasuniens confortent cette idée depuis les années Eltsine. Les économistes russes et la banque centrale russe croient réellement que la Russie ne peut se développer sans intégrer l’Occident. Cela rend la Russie vulnérable à la déstabilisation de l’empire financier occidental. La participation étrangère donne à Washington les moyens de manipuler le rouble et de drainer le surplus économique russe dans le service de la dette. Pour faire progresser le mondialisme, Washington travaille à discréditer les politiciens russes qui favorisent l’approche économique nationaliste. Michael Hudson et moi-même avons décrit comment, dans les faits, les économistes russes néolibéralisés sont la cinquième colonne étasunienne en Russie.
Les pays qui s’ouvrent au mondialisme occidental perdent la maîtrise de leur politique économique. La valeur d’échange de leur devise et les prix de leurs obligations et marchandises peuvent être tirés vers le bas par les ventes à découvert sur les marchés à terme. Rappelez-vous, un seul homme – George Soros – a été capable de faire s’effondrer la livre sterling. De nos jours, Washington peut monter une attaque concertée contre les devises en coordonnant la Réserve fédérale, la Banque centrale européenne, la Banque d’Angleterre et la banque centrale japonaise. Même les grands pays tels que la Chine et la Russie ne peuvent résister à ce genre d’attaque. Il est incroyable que ces pays, qui souhaitent mettre en œuvre des politiques indépendantes, fassent confiance aux mécanismes monétaires et de compensation occidentaux, en se soumettant ainsi à l’emprise de leurs ennemis.
Il y a du vrai dans la citation « Donnez-moi le contrôle de l’argent d’une nation, et je ne me soucierai plus de qui écrit ses lois, » attribuée à Mayer Amschel Rothschild. Un professeur d’Oxford m’a envoyé la copie d’une lettre qu’il a obtenue de la bibliothèque présidentielle de Franklin D. Roosevelt. Dans cette lettre datant du 21 novembre 1933, voici ce qu’écrit le président Roosevelt au colonel House :
La vraie vérité de la question est, comme vous et moi le savons, qu’un élément financier dans les grands centres est propriétaire du gouvernement depuis l’époque d’Andrew Jackson – et je n’exclus pas complètement l’Administration de la guerre mondiale. Le pays endure la répétition du combat de Jackson contre la Banque des États-Unis – mais à une échelle beaucoup plus vaste.
Vladimir Poutine étant quelqu’un de raisonnable et d’humain, il se polarise sur la prévention des conflits. Il faut que Poutine soit patient pour ignorer les menaces insultantes de pays aussi insignifiants militairement que le Royaume-Uni. Poutine est doué de vertu de patience.
Mais la patience peut aussi bien favoriser que défavoriser la paix. Par sa patience, Poutine fait savoir aux européens que poursuivre les accusations et les actes hostiles contre la Russie ne coûte rien et encourage les néocons à recourir à des provocations et à des actes plus agressifs. En étant trop patiente, la Russie peut se retrouver le dos au mur.
Le danger pour les Russes, c’est que le désir de s’intégrer à l’Occident les poussent à faire des concessions qui encouragent toujours plus de provocations, et que leur engagement dans le mondialisme mine la souveraineté économique russe.
En espérant s’unir à l’Occident dans la guerre contre le terrorisme, les Russes oublient que le terrorisme est l’arme dont se sert l’Occident pour déstabiliser les pays indépendants qui ne veulent pas d’un monde unipolaire.
Peut-être que la guerre menacerait moins si la Russie se désengageait simplement de l’Occident et se polarisait sur son intégration à l’Est. Tôt ou tard, l’Europe viendrait la courtiser.
Ancien Secrétaire Adjoint au Trésor pour la politique économique, Paul Craig Roberts a tenu de nombreux postes universitaires, a été rédacteur en chef adjoint du Wall Street Journal, chroniqueur chez Business Week, Scripps Howard News Service et Creators Syndicate, et il a écrit aussi de nombreux ouvrages, dont l’un, L’Amérique perdue : Du 11 septembre à la fin de l’illusion Obama, a été traduit en français.
Original : www.paulcraigroberts.org/2018/06/12/europe-brainwashed-normalize-relations-russia/
Traduction Petrus Lombard