RÉFUGIÉS

L’Europe au bord de la fracture?

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Prélude à l'effondrement de l'UE

La volte-face est spectaculaire. Jeudi, en grande hâte, la chancelière Angela Merkel a délaissé le chic quartier des ministères à Berlin pour visiter un centre d’accueil de réfugiés à Spandau, dans l’ouest de la capitale. Là-bas, elle s’est entretenue avec les employés qui reçoivent des centaines de demandeurs d’asile, qui font la queue durant de longues heures. Puis, elle a visité une classe d’accueil dans le quartier bigarré de Kreuzberg où une douzaine d’enfants, Bulgares, Turcs, Vietnamiens et Syriens, apprennent l’allemand.

Miracle de la politique, en quelques jours, celle que les Allemands surnomment « Mutter Merkel » s’est totalement métamorphosée. Fini la mère Fouettarde qui, pas plus tard qu’en juillet de cette année, s’était entretenue avec une jeune Palestinienne. Elle lui avait expliqué posément que l’Allemagne ne pouvait pas accueillir toute la misère du monde.

« La politique est parfois très dure, avait alors reconnu Merkel. Dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban, il y a des milliers et des milliers de gens. Si nous disons : “Vous pouvez tous venir, vous pouvez tous venir d’Afrique”, nous n’y arriverons pas. » Depuis, la jeune Palestinienne a miraculeusement obtenu une prolongation de son titre de séjour. Quant aux réfugiés syriens, ils franchissent dorénavant la frontière en brandissant des pancartes affichant « Danke Frau Merkel ! » (Merci, Madame Merkel !).

Depuis que l’Allemagne a annoncé qu’elle allait accueillir 800 000 demandeurs d’asile, l’Europe semble métamorphosée. Que cela crée un appel d’air insoutenable à long terme, personne ne semble s’en soucier. En quelques jours, par le miracle de la photo d’un enfant mort échoué sur une plage de Turquie, on est passé de l’Europe forteresse à l’Europe terre d’accueil. Or, c’est exactement ce que redoutait Angela Merkel il y a quelques semaines à peine.

Un changement structurel

Même la France, jusque-là opposée aux quotas de réfugiés proposés par la Commission européenne, s’est ralliée. François Hollande annonçait cette semaine que la France allait accueillir 24 000 réfugiés cette année, selon la répartition proposée par la Commission. « Il n’est pas question qu’il y ait des quotas d’immigrés », avait pourtant affirmé le président en mai dernier. « Ce n’est pas la bonne méthode », tranchait-il. « Le terme de quota n’a pas de sens ! », avait même affirmé son ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. En quelques jours, François Hollande a fait un virage à 180 degrés épousant mot pour mot les propos de la chancelière, qui affirme : « Nous avons besoin de quotas contraignants au sein de l’Union européenne pour nous partager les devoirs, c’est le principe de solidarité. »

Au-delà des chiffres, ces revirements préparent un véritable changement structurel. Mercredi, le président de la Commission Jean-Claude Juncker a proposé la création d’un mécanisme permanent de transfert des demandeurs d’asile. Il s’agit de mettre au rancart les accords de Dublin conformes aux traités internationaux qui exigent impérativement qu’un demandeur d’asile fasse sa demande dans le pays où il arrive.

Jean-Claude Juncker parle de transférer 160 000 demandeurs d’asile, un chiffre insignifiant qui ne représente que 0,11 % de la population européenne, précise-t-il. L’Allemagne (31 443) et la France (24 031) assumeraient la majeure partie de l’effort, suivies par l’Espagne (14 931), la Pologne (9287) et les Pays-Bas (7214).

Mais personne n’est dupe de cette mathématique. Alors que plus de 500 000 migrants ont déjà franchi les frontières de l’Union, on parle déjà de millions de réfugiés. Comme rien ne semble devoir faire débloquer rapidement le conflit syrien, dont les seuls réfugiés se chiffrent déjà à quatre millions, la plupart des analystes reconnaissent que cet exode pourrait durer encore des années. Voire une décennie.

Dès lundi, les propositions de la Commission seront déposées sur le bureau des ministres de l’Intérieur réunis d’urgence en conseil extraordinaire. Mais le débat s’annonce houleux. En mai dernier, le Conseil européen n’avait-il pas rejeté une proposition semblable proposant alors de ne répartir que 40 000 demandeurs d’asile ?

Rébellion à l’Est

La plupart des pays de l’ancienne Europe de l’Est rejettent toute idée de répartition. Lors d’un sommet tenu le 4 septembre, le groupe de Visegrád (République tchèque, Slovaquie, Hongrie et Pologne) a repoussé catégoriquement l’idée de quotas obligatoires. Le président roumain Klaus Iohannis, qui a déjà fort à faire avec les populations roms, a réaffirmé son opposition totale à ce principe. Selon la proposition de la Commission, Bucarest devrait en effet accueillir 6500 réfugiés sur deux ans alors que la capacité des six centres d’accueil du pays ne dépasse pas 1500 places.

Le premier ministre slovaque, Robert Fico, est aussi catégorique. « Lorsque l’Allemagne ou la France disent quelque chose, nous ne devons pas nous prosterner et répéter la même chose », dit-il. En Pologne, on rappelle que le pays a déjà accueilli 5000 réfugiés ukrainiens. Quant à la Hongrie, envahie par un flot de migrants venus de Serbie, elle a déployé l’armée et devrait bloquer sa frontière dès le 15 septembre grâce à une double clôture de barbelés.

Vendredi, le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, a été dépêché à Prague pour tenter de calmer le jeu. Déjà, le président du Conseil européen, Donald Tusk, annonce qu’il convoquera un sommet extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement d’ici la fin du mois si les ministres de l’Intérieur ne parviennent pas à s’entendre.

Or, ces désaccords ne concernent pas que l’Est de l’Europe. Même à l’Ouest, les tensions sont perceptibles. À l’aube d’un référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne, David Cameron marche sur des oeufs. Sa décision d’accueillir 20 000 réfugiés (qu’il ira chercher sur place et non parmi ceux qui ont franchi les frontières européennes !) le met dans une position de faiblesse par rapport au parti de Nigel Farage (UKIP), partisan d’un retrait de l’Union. Avec 22 % de chômage, le oui espagnol aux quotas est aussi pour le moins fragile. Mercredi, la frontière espagnole avec le Maroc a d’ailleurs été fermée après un assaut de réfugiés syriens.

En France, tous les partis d’opposition ont manifesté leur désaccord. Les républicains de Nicolas Sarkozy réclament une révision des accords de Schengen garantissant la libre circulation et la création d’un nouveau statut de « réfugiés de guerre ». Celui-ci inciterait les réfugiés à rentrer chez eux une fois le conflit terminé.

Fragilité européenne

Au Nord, le Danemark est pratiquement en rébellion ouverte. Il a fermé ses frontières et refuse d’acheminer les réfugiés vers la Suède, qui a la réputation d’être le pays le plus accueillant d’Europe. Le gouvernement a indiqué qu’il refuserait de participer au système de répartition souhaité par Bruxelles. Même si ce refus ne remet pas en cause l’accord des 28, puisque le Danemark bénéficie comme le Royaume-Uni de mesures d’exception en ces matières, il illustre la fragilité de la solidarité européenne.

À gauche comme à droite, les voix sont nombreuses qui s’élèvent contre une politique d’accueil certes généreuse, mais sans perspectives à long terme et qui risque de créer un gigantesque appel d’air. Une politique qui, d’ailleurs, ne s’adresserait qu’aux réfugiés les plus fortunés qui ont les moyens de se rendre en Europe alors que l’immense majorité croupit dans des camps en Turquie, en Irak, en Jordanie et au Liban. Comme le disait Frank-Walter Steinmeier, cette crise est « peut-être le plus grand défi de l’histoire de l’Union européenne ».


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