L'erreur médicale

Grève des médecins spécialistes - 2006


Le gouvernement Charest et son ministre de la Santé, Philippe Couillard, ont commis une très sérieuse erreur dans la négociation avec les médecins spécialistes. L'erreur, c'est d'avoir choisi la méthode forte, ce qui a abouti, en juin dernier, à une loi spéciale, la loi 37, qui imposait des conditions de travail aux spécialistes, et leur fixait des règles de conduite très sévères.
Cette loi étonnait, parce que le gouvernement a sorti la matraque au début des négociations face à un groupe qui n'avait pas recouru à des moyens de pression, sauf la diffusion de publicités très démagogiques qui avaient irrité le ministre. Mais le mauvais goût n'est pas un crime. Le choix de la méthode forte a semblé répondre au calcul politique d'un gouvernement et d'un ministre soucieux d'améliorer leur image et qui ont jugé qu'il était rentable de taper sur les médecins.
Cette approche punitive explique largement les dérapages des dernières semaines. Elle ne justifie certainement pas les moyens de pression inacceptables choisis par les spécialistes qui ont paralysé le système de formation des jeunes médecins. Mais le gouvernement a inutilement provoqué une crise qui rend la recherche d'une solution plus difficile.
Le gouvernement a tiré trop fort sur l'élastique. On sous-estime la profondeur de la colère provoquée par la loi 37. Le coût peut être considérable, notamment par la démobilisation de ce corps professionnel essentiel, mais aussi par les départs, qui seront certainement nombreux, surtout chez les plus jeunes, infiniment plus mobiles que leurs aînés, en contexte de pénuries.
La méthode forte était inappropriée parce que, sur le fond, la cause des spécialistes était valide. Les spécialistes québécois sont effectivement bien moins payés qu'ailleurs au Canada. L'écart, énorme, de 44%, est bien documenté par des analyses indépendantes. Le gouvernement précédent avait d'ailleurs reconnu le problème et accepté le principe d'un rattrapage. Si le gouvernement Charest, sans marge de manoeuvre, estimait être incapable d'honorer cette entente, la moindre des choses aurait été qu'il le fasse avec tact et respect. Ce fut tout le contraire.
Il n'est évidemment pas question d'accorder aux spécialistes la parité avec leurs collègues du reste du Canada, ce que les principaux intéressés eux-mêmes ne réclament pas, parce qu'il faut tenir compte de l'écart de richesse entre le Québec et certaines provinces, et de la pression anormale exercée par la rémunération des médecins américains sur celle de leurs collègues canadiens. Mais comment expliquer que nos médecins soient nettement moins bien traités que ceux du Nouveau-Brunswick ou de Terre-Neuve?
Le Québec fait davantage de coupes en santé parce que sa situation financière était plus précaire, tant et si bien que les dépenses de santé sont de 2,7 milliards inférieures à la moyenne canadienne. Le quart de cette somme s'explique par la rémunération moindre des médecins. Cette approche était explicable, mais elle n'est pas viable.
Le système de santé est "labour intensive", il repose sur des êtres humains, surtout des professionnels, infirmières, techniciens, omnipraticiens, spécialistes. Au Québec, il doit pouvoir compter plus qu'ailleurs sur le dévouement et la bonne volonté de ces artisans, parce qu'ils sont moins payés et travaillent dans des conditions plus difficiles. Dans le cas des spécialistes s'ajoute une autre dimension, le fait qu'ils sont difficilement remplaçables et que leur rôle est stratégique dans une médecine de pointe qui repose sur les changements technologiques et l'innovation.
Mon collègue du Devoir, Michel David, écrivait hier que les médecins incarnaient le dernier bastion de l'élitisme d'autrefois. Je crois que c'est plutôt le contraire. Le déboulonnage des élites médicales est plus prononcé au Québec qu'ailleurs en Amérique, ce qui se reflète par la rémunération, l'hostilité de la bureaucratie de la santé à l'égard des médecins, le comportement du gouvernement qui impose en fait à ces professionnels une logique syndicale de nivellement pas le bas.
La présidente du Conseil du Trésor, Monique Jérôme-Forget, a par exemple affirmé qu'on payait les spécialistes avec "de l'argent des contribuables qui gagnent en moyenne 35000 par année". C'est un discours populiste que l'on n'utilise pas ailleurs. Le Québec accepte que le talent se paye et qu'il faille tenir compte des conditions du marché, même dans le domaine public, pour les chercheurs universitaires, les financiers de la Caisse de dépôt, les professionnels, les consultants et les spécialistes qui font affaire avec le gouvernement.
La société québécoise valorise le savoir, mise sur le développement de l'éducation supérieure, veut augmenter le nombre de diplômés de second et troisième cycles, accepte le fait que, dans un monde de concurrence, il faut se battre pour conserver et attirer le talent. Cette logique semble encore exclure la profession médicale.


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