L’Empire étasunien n’a existé que sept ans, dixit Pierre-Yves Rougeyron

Fb6e1e48c7c7ee231d20e9acfc7c699c

La difficulté pour un empire de se maintenir

Il est loin le temps où les Européens s’étaient moqués des 14 points de Wilson. En effet, de quel droit M. Wilson devait-il « reconstruire » l’Europe jusqu’à lui indiquer la façon dont ses frontières seraient déplacées ? Le Bon Dieu n’en avait que dix [de points] avait alors riposté Clémenceau ! Il a fallu attendre la fin de la II Guerre Mondiale pour que les USA soit admirés par certains et haïs par d’autres, puis l’éclatement de l’URSS pour qu’ils soient surtout craints. Depuis, l’assujettissement de l’Europe occidentale à un Empire éreinté par sa course gazo-pétrolière et les crédits fabriqués par sa planche à billet ne semble plus avoir aucun fondement rationnel.
Si l’UE traverse aujourd’hui une crise de credo sans précédent, c’est qu’une certaine partie des ses élites politiques commence à problématiser ce manque de fondement en se demandant s’il n’est pas impératif de retisser des alliances très mal conclues. C’est le cas, en France, du Front National, d’une certaine partie de l’UMP et d’autres partis bien moins influents – en tout cas à l’heure actuelle – tels que l’UPR ou Debout la République. S’agirait-il d’une tempête dans un verre d’eau ou d’une lame de fond qui va finir par démolir le château de sable unioniste ?
Nous avons eu le plaisir d’aborder ces thèmes avec Pierre-Yves Rougeyron qui est, entre autres, le fondateur du Cercle Aristote.
La VdlR. Pourriez-vous vous présenter SVP ?
Pierre-Yves Rougeyron. Je suis spécialiste en intelligence économique. Je dirige un cercle de réflexion qui s’appelle le Cercle Aristote et je dirige la revue Perspectives Libres.
La VdlR. Dans l’une de vos interventions, vous aviez avancé la thèse suivante : « L’Empire américain n’a duré que sept ans ». Pourriez-vous clarifier cette réflexion qui contredit cette impression tenace qu’à la plupart d’entre nous, voyant à quel point les USA, dans l’impunité la plus totale, continuent à orchestrer ce qu’ils appellent le Chaos Constructordans leurs zones d’intérêt, cela depuis la fin de la IIème GM.
Pierre-Yves Rougeyron. Tout à fait. Cependant, la différence que je fais entre les deux périodes, c’est la différence entre la politique de montée en puissance et la politique de plein exercice. Y-a-t-il eu une construction de l’impérialisme américain sur une période qui ne va même pas de la II GM remontant à deux siècles ? Certainement. Quand on voit l’utilisation d’attaques sous faux drapeaux pour arracher les Philippines et Cuba à l’Espagne – j’entends l’attentat perpétré contre le cuirassé Maine, à la fin du XIXème siècle – quand on voit la politique du big strick appliquée contre l’Amérique Latine, oui, on peut parler de la construction d’un certain type d’impérialisme. Au milieu de la II GM, les Anglais revendiquent l’aide américaine. Les Américains leur imposent le libre-échange dans leur empire colonial ce qui signa l’acte de mort de l’empire britannique. Après la chute de l’URSS, l’Amérique se transforme en Imperium Mundi. Elle règne sur l’ensemble du monde. La Guerre Froide a obligé l’Amérique à être en face à face avec un pays qui par son existence – avec tous les égarements qu’on peut reprocher à l’URSS – maintenait un certain équilibre dans le monde. Mieux vaut qu’il y ait deux Empires plutôt qu’un. Entre la chute du mur de Berlin et les réformes d’Evgueni Primakov qui annoncent d’un certain côté Vladimir Poutine, le début du retour sur la scène internationale de la Russie et, en 2001, l’entrée de la Chine dans l’OMC qui acte sa puissance économique dans la mesure où elle est entrée dans l’OMC à ses propres conditions, nous avions autant de dates symboliques – entre 98 et 01 – qui marquent une période où l’hyperpuissance exclusive de l’Empire américain décline. D’où les sept ans que j’ai mentionnés, entre la chute du mur de Berlin et l’arrivée de Primakov.
La VdlR. Vous êtes gaulliste. Pensez-vous que le projet emblématique du général de Gaulle d’un axe s’étendant de Paris à Moscou en passant par Berlin soit envisageable vu la politique plus qu’ambigüe menée en ce moment par Merkel et, d’une manière plus générale, le bruxellocentrisme de l’UE ?
Pierre-Yves Rougeyron. Nous interrogeons beaucoup d’intellectuels russes pour Perspectives Libres parce que c’est une revue sur la multipolarité. Nous avons fait deux dossiers sur Paris-Berlin-Moscou avec des intellectuels russes et on s’est rendu compte de deux choses. Premièrement, dans l’état actuel de la construction européenne, il n’y aura jamais d’alliance durable avec la Russie. Deuxièmement, dans Paris-Berlin-Moscou, il y a certainement un membre en trop. A mon sens, c’est Berlin, parce que l’Allemagne est le réceptacle de l’influence américaine en Europe. Les Américains ont laissé l’Allemagne dominer la construction européenne, construction dont ils sont historiquement, je vous le rappelle, les maîtres d’œuvre. Je crois donc davantage à l’alliance de certains Etats européens, particulièrement des Etats latins et peut-être d’une certaine partie des pays de l’Europe de l’Est quand ils seront revenus, pour certains d’entre eux, de leur américanisme délirant et de leur russophobie rabique. Je pense que la Russie a compris qu’en l’état actuel, ce n’était pas son plus grand projet géopolitique vu que, si j’ai bien compris, c’est surtout l’organisation de l’espace eurasiatique qui préoccupe le Kremlin, sur quoi il a raison. Il y aura, je l’espère et je l’appelle de mes vœux, une amitié franco-russe, une amitié latino-russe dans la mesure où la Russie a beaucoup d’alliés en Italie et que la Russie a besoin de pôles de stabilité et d’alliés sur son front Ouest pour déjà avoir les mains un peu plus libres à l’Est. Mais voilà que l’Allemagne a repris sa politique « Barbaren ans dem Osten » et elle se heurtera à la Russie. Beaucoup de Russes qui font confiance à l’Allemagne pour faire des affaires devraient à mon avis y regarder à deux fois qui ils ont en face d’eux.
La VdlR. Pour ce qui est de la France, comment voyez-vous son avenir dans les prochaines années ? Pensez-vous que le FN puisse être une solution à la crise et contribuer à rendre à la France la souveraineté qu’elle a perdue ?
Pierre-Yves Rougeyron. Faisons très simple. La France, comme la plupart des pays de l’Europe de l’Ouest, va aller, en vertu de deux réalités économiques – l’euro et le libre-échange – vers un trou noir. Ces deux réalités vont également finir par tuer l’Allemagne, quoi qu’elle en pense, ses clients étant les pays européens et particulièrement la France. Quand nous serons ruinés, elle perdra ses principaux clients. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la France perd aujourd’hui entre 600 et 700 emplois industriels par jour ouvrable. C’est un rythme intenable. François Hollande, vu sa côte de popularité sans précédent sous la Vème République, pose un problème de sécurité publique. Ce serait Nicolas Sarkozy au même taux, ce serait la même chose. Nous entrons dans une crise de régime de longue durée. Je pense que si l’UMP prenait la place maintenant, en trois mois, il en serait au même niveau de détestation populaire. Il faut donc un nouveau paradigme. Le FN a un nouveau paradigme qui est critiquable mais qui, sur certains points, combat efficacement – je pense notamment aux interventions de Florian Philippot – le paradigme Europe-libre-échange-immigration de masse parce que ce sont les maillons d’une seule et même chaîne. Le FN, est-il prêt sur le plan structurel ? C’est à lui d’y répondre. Mais s’il ne peut pas y répondre, je ne vois pas une force se structurer rapidement. Si c’est le cas, nous allons vers une zone de turbulence dont les conséquences sont totalement imprévisibles et qui dépassent de loin l’organisation constitutionnelle et légale des pouvoirs et qui se fera, malheureusement, en dehors du jeu électoral. Sans être plus frontiste que cela, je dirais que le parti a de bonnes idées. J’espère qu’il a des hommes pour les mettre en pratique ».


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé