«L'Ecole fantôme» : 10 symptômes de l'école qui va mal

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La problématique est identique au Québec, et ce diagnostique vaut aussi pour nous



Dans son essai "L'Ecole fantôme", le philosophe Robert Redeker évoque une crise inédite de l'école et met le doigt sur ses symptômes. Extraits avant la sortie le 1er septembre.

Son ouvrage sort le jour de la rentrée scolaire et ce n'est pas un hasard. Que sait-on de la vie des écoles ou de l'état de l'Ecole avec un grand "E" quand on n'y a pas mis les pieds depuis le bac ? Dans "L'Ecole fantôme" (ed. Desclée de Brouwer), un essai révolté et qui fait réfléchir, le philosophe Robert Redeker s'alarme de l'évolution d'une école à bout de souffle. Celui qui scrute la vieille dame depuis des décennies ne la reconnaît plus et fustige les dérives de l'école du XXIe siècle, de celles qui prennent leur source dans une crise de la société et dans la volonté des "promoteurs du pédagogisme", de l'élève au centre de tout : un français "déchiqueté" jusqu'au plus haut sommet de l'Etat, une parodie du vivre-ensemble ou encore, plus concrètement, des professeurs-animateurs dans une école bric-à-brac saturée d'activités. Au-delà de l'actu brûlante de la réforme des collèges 2016, voici 10 extraits chocs de son livre où il décrit les symptômes de la crise de l'école :

Les symptômes

Une "école gélatineuse"

Pour l'auteur de "L'Ecole fantôme", la victoire de la communication transforme l'école en une sorte de méduse gélatineuse :

"Plus les techniques évoluent, plus l'emprise de la communication s'accroît. Or, la communication évide la réalité. Elle énuclée le monde. (…) Sa victoire s'accompagne de la naissance puis de la croissance d'une simili École délivrant de simili enseignements en fonction de simili diplômes. (…) Ce qui jadis était le contenu de l'enseignement – le réel, la vie, la vérité, le monde, le savoir – est, comme si la communication était une sorcière dotée d'une maléfique baguette magique, médusé, changé en méduse. L'emprise de la communication est au cœur de l'échec de l'École. (…) L'institution qui porte encore le nom d'École (...) se refuse à accomplir les fonctions traditionnelles de l'École. Elle dilue les disciplines [...], elle disperse l'attention des élèves."


Des professeurs-animateurs

L'agrégé de philosophie épingle aussi la transformation du rôle de professeur, son reclassement en communicant et animateur "socio-culturel" :

"Pour détruire l'École, il importait que les professeurs se banalisassent, qu'ils s'exprimassent avec le même laisser-aller que la majorité de leurs concitoyens, qu'ils adoptassent le parler-cool et le parler-jeune (…). Ceux qui continuent à être ce qu'ils étaient, ce qu'ils furent, ceux qui persistent à vivre dans leur identité de professeur, sont traités par toute la société en témoins gênants. La société veut des enseignants, elle ne veut plus des professeurs! (…) En trente ans à peine, sans verser une goutte de sang, une épuration s'est accomplie : les professeurs ont été transformés en Français comme les autres. (…) Tout montre que la société contemporaine (…) veut des moniteurs multi-tâches."

L'égalité à toutes les sauces

Autre théorie développée par Robert Redeker, une mise à toutes les sauces des inégalités qui paralyse encore plus le système scolaire :

"La substitution de l'impératif social à l'impératif intellectuel s'empara de l'École, parvenant au moyen d'une puissante propagande à conquérir l'esprit de la plupart des enseignants ! Dans les salles des professeurs, dans la bouche du personnel éducatif, s'est installée comme une évidence l'idée suivante : la lutte contre l'inégalité et les discriminations est la raison d'être de l'École. Faut-il rappeler que toute inégalité n'est pas par essence injuste ? Qu'inégalité et justice ne sont pas incompatibles ? Faut-il redire, également, que tout ne se vaut pas ? Qu'un roman de gare ne vaut pas Le Rouge le Noir ? Qu'un propos de café du commerce ne vaut pas une page de Platon ? Que Guillaume Musso ne vaut ni Stendhal ni Balzac."

Une école rabaissante

Le "pédagogisme", aux méthodes d'enseignement basées sur l'épanouissement de l'élève plus que sur la transmission du savoir, est comparé à une "arme du crime" contre l'école par l'auteur ; une pédagogie pervertie, vidée de son savoir :

"L'Ecole contemporaine (...) bride les plus doués, érigeant en norme les plus faibles. Un projet anthropologique inconscient l'anime : fabriquer (...) un nouveau type d'homme (...) un zombie (...). "(…)loin de chercher à élever, l'École cherche maintenant à abaisser (…). La transmission fut l'idéal de l'École. (...) Sous l'emprise de ces pédagogistes, l'École est bien devenue, selon la sagace formule de Jean-Claude Michéa*, l'institution de 'l'enseignement de l'ignorance'".

*Jean-Claude Michéa est philosophe

Le règne de la culture "commune"

Dans son ouvrage, l'auteur sensibilise aussi le lecteur à l'irruption d'une "culture commune" envahissante dans les écoles :

"L'École doit-elle devenir le lieu de la "culture commune" ? Les zélateurs* des réformes inspirées du pédagogisme le revendiquent, en particulier pour le lycée. Cette formule pourrait passer pour péjorative, "commun" signifiant également ordinaire, banal, conforme. TF1, sinistre chaîne de télévision, diffuse une "culture commune". La Roue de la Fortune y participe, de même que Téléfoot. En revanche, ni Sophocle, ni Spinoza, ni non plus Nietzsche n'y prennent part. Aucun opéra n'a jamais été proposé par TF1 en prime time. (...) L'évolution de l'École se déroule (...) comme s'il avait été décidé d'abandonner la culture intellectuelle d'élite, la culture générale (l'opposé de la culture commune) à l'élite sociale ! Non, le lycée n'est pas le lieu de la "culture commune", il est l'espace où l'on apprend à s'en détacher."

*ardents défenseurs

Une école bric-à-brac

Pour le rédacteur de "L'Ecole fantôme", les réformes accumulées en 30 ans rendent les enseignements de plus en plus hétéroclites : 

"La diversité kaléidoscopique des intervenants extérieurs dans l'École, de tout le personnel d'animation qui s'y infiltre, des demandes parentales ainsi que des ressources municipales, impliquent la disparition des programmes nationaux rigoureux, et la substitution à ceux-ci des 'apprentissages fondamentaux' minimaux. À la place du corpus intellectuel commun à tous les citoyens, assurant une formation de l'esprit, rendant possible un bien commun intellectuel partageable par tous les Français, (...) nous aurons à côté des apprentissages minimalistes de déchiffrage (lire, écrire, compter), qui seuls seront véritablement nationaux, autant d'enseignements différents que d'établissements d'enseignement".

Une école saturée d'activités

Dans cet extrait, l'auteur reproche à la nouvelle école de remplacer le loisir (instructif) par des loisirs (destructeurs) :

"Le modèle nouveau de l'École (...) est celui d'une École où l'on s'active beaucoup, (...) où il n'y a pas de temps vide, (...) plus de vacance de l'activité. Le loisir, cette source vive de l'École, (...) ce temps vide qui a laissé à l'École son nom, est pourtant l'exact opposé du temps plein, saturé par les activités. Bref, le projet destructeur de notre époque est de bâtir une École des loisirs sur les ruines de l'École du loisir (la fameuse skholè). La mort du chanteur de variétés kitsch Claude François proposé comme sujet d'études dans un cadre interdisciplinaire (celui des EPI) par un manuel de physique-chimie à l'usage des classes de Troisième*, illustre tristement cette volonté officielle d'une emprise des loisirs sur l'École."

*Information présente sur la page Facebook du SNES-FSU

La "déscolarisation" de l'école

Robert Redeker entrevoit déjà les symptômes annonciateurs d'une "déscolarisation" de l'école à court terme :

"Qui dira aux adolescents que les interminables heures d'ennui de l'étude sont aussi des interminables heures d'un bonheur singulier ? Est-ce le droit à cette expérience que l'on veut retirer à la jeunesse ? Pourquoi ne nous vante-t-on pas l'ascèse intellectuelle, la rudesse de l'étude, la lenteur, le silence, (...) ascèse qui seule rend l'esprit apte à ces victoires sur lui-même qui ouvrent l'horizon infini des œuvres ? (...) Le rôle de l'adulte : exiger de l'adolescent qu'il s'affronte au plus difficile. (...) Avec le triomphe de l'activité est supprimé le [vrai] loisir [école vient de skholè, 'loisir'], vol dont les victimes sont aussi bien les élèves que les maîtres (...). L'École nouvelle, l'École voulue par les pédagogistes et les ministres, est l'École déscolarisée."

La tyrannie du "vivre-ensemble"

Là où la fraternité affirme ce que nous sommes, le vivre-ensemble le renie, estime le philosophe 

"L'expression "le vivre-ensemble" s'avère d'invention et de mise-en-circulation récente. Il prend place dans la panoplie des éléments de langage que ceux qui se sont accaparés le droit permanent à la parole (...) essayent d'imposer à l'ensemble des Français. (…) Bref : voici le vivre-ensemble posé en source de toutes les valeurs, à la place de Dieu, ou à la place du Bien. (…) Toutes les valeurs sont dès lors sommées de se mettre au garde-à-vous sous son commandement. (...) Tout doit renoncer à son identité. Et c'est cette [...] négation, que les pouvoirs d'aujourd'hui travestissent en horizon de l'École ! Comment mieux dire que nous sommes en pleine ère du vide ?"

>> En savoir plus sur les remèdes proposés par Robert Redeker

Quels remèdes ?

Les symptômes ont leurs remèdes, alors quels sont ceux proposés par l'auteur de "L'Ecole fantôme" ? Ce dernier met l'accent sur l'importance de retrouver, à l'école, un vrai contact avec la culture à travers l'attention portée à la maîtrise de la langue et l'étude du passé : "La langue forme le socle de l'être, et seule l'étude méticuleuse des œuvres du passé développe [la capacité à juger le présent]."

Ensuite, Robert Redeker le rappelle, l'école doit arracher un temps l'élève aux banalités de son temps, "au présent, à l'actualité du présent, pour le tirer vers un autre temps. Lire Bossuet s'adressant aux puissances de son époque (...) procure à l'élève de collège ou de lycée une aptitude à évaluer le monde qu'il ne pourrait voir grandir en lui par d'autres voies. (...) L'élève est à deux pas du roi, il le harangue dans la plus belle langue jamais écrite. Devenu adulte, devenu citoyen, de retour dans son temps, dans la caverne des soucis de son époque, il pourra juger ses gouvernants aussi bien que ses supérieurs hiérarchiques d'un geste qu'il aura appris en lisant Bossuet."

Le philosophe dégage, enfin, deux autres ingrédients de la "vraie mission de l'Ecole" : instruire, et de façon approfondie, en remettant le savoir et la "haute culture" [celle des grands auteurs, par exemple] au centre ; forger une âme collective à l'élève, "l'âme de la nation".


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