L'après-Alcan

Économie - Québec dans le monde

Le conseil d'administration d'Alcan doit faire part de sa recommandation à propos de l'offre hostile d'Alcoa au plus tard mardi. Quelle que soit la position retenue, il devient de plus en plus clair que cette offensive devient une bagarre d'actionnaires. Mais il est clair aussi que la question de la propriété étrangère des piliers de l'économie canadienne et québécoise ne peut pas et ne doit pas laisser indifférent.
Bien entendu, le premier réflexe des défenseurs d'un certain protectionnisme consiste à interpeller les gouvernements pour qu'ils imposent des contraintes ou des balises aux investissements étrangers. Au-delà de ces propositions toutes plus contestables les unes que les autres, les cas récents de BCE et d'Alcan nous indiquent que les «autres parties intéressées» -- détenteurs obligataires et État en tête -- développent le réflexe d'être attentifs dans la protection de leurs intérêts.
Les voix s'élèvent pour que la frontière canadienne devienne plus étanche lorsque des mains étrangères convoitent le contrôle des grandes multinationales canadiennes. Parmi les gens d'affaires influents semblant s'ennuyer de l'ancienne Agence de tamisage des investissements étrangers, on cite des noms tels que ceux de Dominic D'Alessandro, de la Financière Manuvie, Gordon Nixon, de la Banque Royale, et Gerald Schwartz, du conglomérat Onex.
Dans les deux premiers cas, ces institutions financières multiplient les acquisitions outre-frontière sans entraves ni complexes, car elles peuvent agir sans être soumises à la réciprocité. Au Canada, tant la propriété que le contrôle étranger de nos institutions financières sont rigoureusement encadrés.
Dans le troisième cas, celui de Gerald Schwartz, faut-il rappeler qu'Onex s'est fait connaître au Québec avec cette saga visant l'acquisition des deux transporteurs aériens au pays, Air Canada et Canadien International? Dans cette bataille corporative qui a pris fin abruptement en décembre 1999, Onex acceptait de jouer le rôle de faire-valoir dans une transaction qui aurait eu pour résultat le transfert du contrôle de facto de toute l'industrie aérienne canadienne entre les mains du géant American Airlines.
Ces précisions étant, l'offre non sollicitée d'Alcoa sur Alcan a alimenté le dépôt de plusieurs recommandations, qui ont le mérite d'alimenter la réflexion, de nourrir le débat et de proposer des pistes de solution. Yvan Allaire, président du conseil de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques, en a soulevé quelques-unes dans une lettre publiée dans La Presse. Il est notamment revenu sur cette idée d'interdire le droit de vote en cas d'offre publique si l'investisseur détient ses actions depuis moins d'un an. Il a également rappelé les mesures anti- offre publique d'achat hostile adoptées dans 31 États américains.
Autant de mesures qui viennent bafouer les règles du jeu d'un marché libre et altérer tant les droits des actionnaires que la liquidité et la fluidité du marché boursier. Au demeurant, des mesures facilement contournables dans le premier cas, discrétionnaires et discriminatoires dans le second, qui se traduiraient par des actions s'échangeant à escompte. Dans le cas qui nous intéresse, on souhaiterait qu'Alcoa soit empêchée de déposer une offre hostile contre Alcan, en soulignant que l'inverse n'est pas possible en vertu des règles de l'État de Pennsylvanie. Par contre, on aimerait bien voir Alcan s'offrir Alcoa. Comme on s'est réjoui dans le passé de la voir se porter acquéreur d'Alusuisse puis de Péchiney. Difficile à défendre!
Pendant que ces questions sont débattues, les «autres parties intéressées» préfèrent se prendre en mains et organiser la réplique en veillant elles-mêmes à la protection de leurs intérêts. Dans le cas de BCE, les créanciers obligataires ont rappelé au conseil d'administration que son rôle de fiduciaire débordait de la simple protection des actionnaires pour englober celle de l'ensemble des parties prenantes. Et le recours à des clauses restrictives s'activant en cas de changement de contrôle devient désormais la norme.
Dans le cas d'Alcan, le gouvernement québécois a pris soin d'associer toute contribution, directe ou sous forme de tarification préférentielle, à des garanties d'emploi, d'investissement et de sauvegarde du siège social en cas de changement de contrôle. Le conseil d'administration d'Alcan devra donc tenir compte des engagements d'Alcoa et du respect de l'entente avec le gouvernement.
Cela fait, la suite des choses appartient aux actionnaires.
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Alcan pourrait réagir en renversant les rôles, c'est-à-dire en tentant d'acheter Alcoa plutôt que d'être achetée par Alcoa, écrivait le quotidien The Gazette, hier, citant deux analystes. Surtout, cette possibilité pourrait être plus facile à faire accepter par les différentes instances réglementaires et les politiciens, peut-on lire dans une dépêche de la Presse canadienne.
Un des analystes cités par le journal, John Tumazos, de Prudential Equity Group, à New York, a écrit que le gouvernement du Québec préférerait sans doute que les droits à long terme en matière d'eau accordés à Alcan demeurent entre les mains d'une compagnie canadienne. De plus, selon lui, si Alcan était l'acheteur, les projets et les contrats dans des pays comme ceux du Moyen-Orient pourraient être menés plus facilement.
De même, l'anti-américanisme pourrait se faire moins sentir en matière de réglementation du côté de l'Europe, a-t-il ajouté.


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