DE VOLKSWAGEN AUX MIGRANTS

L’Allemagne égratignée

Citée en modèle depuis des années, l’Allemagne est-elle sur le point de devenir le mauvais élève de l’Europe ?

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Sic transit gloria mundi






L’Allemagne, ce paradis enfin descendu sur terre ! L’image est à peine exagérée. Voilà une bonne décennie que l’Allemagne est citée en exemple un peu partout dans le monde et particulièrement en Europe. En France notamment, le gros voisin de l’est est régulièrement donné en exemple pour sa vigueur économique, sa rigueur fiscale, son système d’éducation efficace, sa formation professionnelle idyllique, son marché du travail flexible et même, depuis peu, sa généreuse politique d’accueil des migrants. Pas une déclaration du président français qui ne soit dûment coordonnée avec Berlin. Le couple franco-allemand semble tellement intouchable que même Nicolas Sarkozy sitôt revenu à la tête de la droite française a eu comme premier réflexe de se rendre à Berlin dès le lendemain de son investiture.


 

En moins de deux semaines, l’image de l’Allemagne vient pourtant d’être égratignée comme elle l’avait rarement été. Coup sur coup, le scandale Volkswagen et la fermeture abrupte des frontières aux migrants, en infraction totale des règles de Schengen — sans parler de la Grèce —, ont donné une tout autre image de l’Allemagne. Celle d’un géant sans convictions, mais peut-être aussi aux pieds d’argile. Alors qu’Angela Merkel commémore cet automne ses dix ans de pouvoir, dix ans de croissance économique préparés par ses prédécesseurs, les vraies difficultés ne font peut-être que commencer.


 

La « Deutsche Qualität »


 

Dans un pays où l’industrie de l’automobile représente un emploi sur sept, on ne saisit pas encore toutes les répercussions que pourrait avoir le scandale Volkswagen. Selon les analystes de la société Axa Investment Managers, l’affaire pourrait coûter à l’Allemagne jusqu’à un point de PIB.


 

En trafiquant les logiciels de 11 millions de voitures pour échapper aux contrôles antipollution, la multinationale de Basse-Saxe « a égratigné et cabossé » toute l’industrie allemande, écrivait cette semaine le grand quotidien conservateur Die Welt. Et il n’y a pas que les Américains qui menacent de poursuivre la société pour quelques dizaines de milliards de dollars. Tous les pays qui, comme la France, offrent des avantages économiques aux acheteurs de voitures « propres » ont été bernés et pourraient demander réparation.


 

L’affaire est vite devenue un scandale d’État. En effet, les liens entre l’État allemand et l’inventeur du slogan « Das Auto » sont complexes et multiples. Non seulement le lander de Basse-Saxe détient-il 20 % du capital de la multinationale, mais se sont succédé sur son conseil d’administration des personnalités politiques aussi importantes que l’actuel ministre de l’Économie et de l’Énergie, Sigmar Gabriel, et l’ancien chancelier Gerhard Schroeder.


 

D’autant que l’on se demande si le gouvernement allemand, et avec lui Angela Merkel, était au courant de la fraude. C’est ce qu’affirment les députés verts du Bundestag citant un document dans lequel le gouvernement allemand s’engage à accentuer les efforts visant à limiter « les dispositifs » permettant de couper les moteurs lors de tests d’émission de gaz. Cela afin de « réduire les émissions réelles des véhicules ». On sait que Merkel a constamment défendu les intérêts de son industrie automobile contre les limites d’émissions polluantes fixées par l’Union européenne.


 

Certains analystes vont même jusqu’à laisser entendre que l’Union européenne savait que certains constructeurs faisaient tout pour contourner les tests d’émissions.


 

Ce scandale est emblématique lorsqu’on sait que, depuis la création de l’euro, l’Allemagne s’est assuré une position hégémonique en Europe essentiellement grâce à ses exportations, notamment automobiles. On sait que les grandes réformes de Gerhard Schroeder, l’agenda 2010, que l’on considère comme les mesures qui ont favorisé l’actuel succès économique allemand, furent mises en oeuvre par nul autre que Peter Hartz, l’ancien directeur des ressources humaines de Volkswagen.


 

Cette affaire est « tout sauf une broutille dans un pays volontiers moralisateur, imprégné d’éthique protestante, écrit Thibaut Madelin dans le quotidien économique Les Échos. […] À l’heure où l’Allemagne revendique le leadership moral de l’Europe dans la crise des réfugiés, les pratiques de Volkswagen apportent une lumière plus crue sur la réalité ».



Cafouillage humanitaire


 

Le scandale Volkswagen n’écorcherait pas autant le leadership allemand en Europe s’il ne survenait pas à la suite des cafouillages de la chancelière Angela Merkel face à l’afflux massif de réfugiés en Europe. Le président François Hollande a beau afficher son sourire impérissable, les responsables français ne cessent de se perdre en conjectures sur la politique réelle de l’Allemagne en la matière.


 

Malgré les discours officiels sur l’unité indéfectible du « couple franco-allemand », en France, on n’a rien compris aux volte-face de la chancelière. D’abord, en août, celle-ci explique, tout comme la France, que si l’Europe a un devoir humanitaire, elle ne peut pas ouvrir toutes grandes sesfrontières. L’Europe qui en faisait d’ailleurs déjà beaucoup plus que tous les autres pays occidentaux en la matière.


 

Et voilà que, par la magie d’une photo, la chancelière décide soudain d’ouvrir toutes grandes les frontières en expliquant qu’elle accueillera pas moins de 800 000 réfugiés cette année. Il n’aura suffi que de quelques jours pour que, pliant sous l’appel d’air ainsi provoqué, l’Allemagne ferme brutalement ses frontières, faisant ainsi voler en éclats les mythiques accords de Schengen qui garantissent la libre circulation en Europe.


 

Certes, Schengen prévoit la possibilité de rétablir dans des cas exceptionnels les contrôles aux frontières. Mais ces cas ne concernent que la sécurité publique dans des situations de violence (terrorisme, émeute, etc.). Dans tous les autres cas, il faut impérativement demander une autorisation préalable à l’Union européenne. Ce que n’a jamais fait l’Allemagne. Depuis, en France, même l’ancien ministre de l’Intérieur et de la Défense de François Mitterrand Pierre Joxe qualifie Schengen de « folie » et d’« aveuglement collectif ». Or cet ancien ministre socialiste qui a siégé au Conseil constitutionnel est loin, très loin d’être un partisan du Front national.


 

Tactique sans stratégie


 

En Europe, cette volte-face sur les migrants a fait penser à cette autre volte-face de la chancelière qui, en 2012, décida abruptement de sortir l’Allemagne du nucléaire. Du coup, c’en était fini de toute politique énergétique commune entre la France et l’Allemagne.


 

Tout en reconnaissant l’exceptionnelle intelligence politique d’Angela Merkel, dans le magazine Le Point, le philosophe allemand Peter Sloterdijk tentait une explication. Il qualifiait la chancelière de « létargocrate ». Selon lui, cette fille de pasteur protestant a un don exceptionnel pour comprendre les sentiments de ses compatriotes, que ce soit sur la Grèce, le nucléaire ou les réfugiés. Mais, dit-il, « c’est une tactique sans stratégie. Il n’y a pas de projet à long terme ». Selon lui, le gouvernement de Merkel est surtout « marqué par la sagesse de ne rien faire. […] Je pense que la caractéristique profonde de l’ère Merkel est cette transformation de la politique en une activité palliative, une sorte de dépannage ». Il se pourrait que cette absence de vision à plus long terme ait atteint ses limites…








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