Grève étudiante

L'accessibilité sans la qualité: un très mauvais calcul

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012


Heather Munroe-Blum: «Les Québécois valorisent l’équité et la justice sociale. Or, il n’est pas équitable de puiser à même les impôts de familles à faible revenu pour subventionner la formation des étudiants les plus nantis. Il n’est pas équitable non plus que les étudiants québécois paient aujourd’hui beaucoup moins qu’à la fin des années 1960 pour leur formation universitaire.»
Au Québec, plus que dans toute autre province au Canada, la question des droits de scolarité est un enjeu de taille. Au cours de la Révolution tranquille, la modernisation du système universitaire a facilité l'accès à l'enseignement supérieur. Les faibles droits de scolarité dont nous avons hérité font maintenant partie intégrante de l'identité nationale québécoise. Pour bien des gens, des droits peu élevés sont synonymes d'accessibilité. Nous aimerions qu'il en soit ainsi; malheureusement, la situation est autrement plus complexe.
Il n'y a pas de lien entre droits de scolarité et accès à l'université. Pour s'en convaincre, il suffit d'examiner le taux de diplomation, soit le pourcentage de personnes qui obtiennent un diplôme universitaire au cours d'une année donnée. Nous serions portés à croire que de faibles droits de scolarité se traduisent par des taux de diplomation plus élevés, mais ce n'est pas le cas.
Ainsi, les droits de scolarité perçus par les universités québécoises sont les plus faibles au Canada, mais six provinces ont un taux de diplomation supérieur à celui du Québec (30,5 %). En fait, deux des provinces où les droits de scolarité sont les plus élevés — la Nouvelle-Écosse et l'Ontario — affichent des taux de diplomation supérieurs à la moyenne canadienne, soit 48,9 % et 41,0 %, respectivement.
Les facteurs financiers, dont les droits de scolarité, n'influencent pas de façon marquée la décision d'entreprendre des études universitaires. Une étude de Marc Frenette réalisée pour le compte de Statistique Canada en 2007 a révélé que les contraintes financières n'expliquent que 12 % de l'écart observé au chapitre du taux d'inscription à l'université entre les étudiants les moins et les mieux nantis. Les droits de scolarité ne représentent en outre qu'une petite partie du coût global de la formation universitaire, qui comprend aussi le loyer, les frais de déplacement, le prix des fournitures scolaires et les pertes de revenus.
La part des coûts assumée par les étudiants est plus faible aujourd'hui qu'en 1968. Lorsque la hausse des droits de scolarité prévue dans le budget de l'année dernière aura été appliquée, et si l'on tient compte de l'inflation, les droits de scolarité imposés aux étudiants en 2016-2017 seront équivalents à ceux de 1968. Et les Québécois se sont enrichis au cours de cette période. En effet, en 1968, les droits de scolarité représentaient plus de 20 % du revenu par habitant, comparativement à moins de 10 % en 2017.
Le programme d'aide financière, déjà généreux, sera bonifié. D'ici 2017-2018, l'aide financière offerte aux étudiants québécois par les universités et le programme de prêts et bourses du Québec atteindra plus de 1,114 milliard de dollars par année. Le gouvernement s'est engagé à investir directement 35 % des revenus provenant de la hausse des droits de scolarité dans son programme d'aide financière aux études. Les étudiants les moins nantis recevront une aide additionnelle qui permettra de compenser pleinement la hausse des droits de scolarité. [...]
Solution inéquitable
Les Québécois valorisent l'équité et la justice sociale. Or, il n'est pas équitable de puiser à même les impôts de familles à faible revenu pour subventionner la formation des étudiants les plus nantis. Il n'est pas équitable non plus que les étudiants québécois paient aujourd'hui beaucoup moins qu'à la fin des années 1960 pour leur formation universitaire. Enfin, le gouvernement ne peut assumer à lui seul l'ensemble du fardeau financier: par rapport à celle des pays de l'OCDE, la dette du Québec, par habitant, occupait le cinquième rang en 2010.
S'il est vrai que nous pouvons être fiers du modèle québécois, nous devons néanmoins chercher à l'améliorer en fonction des résultats d'études et de recherches de qualité. Notre modèle québécois ne repose ni sur la gratuité de l'enseignement supérieur ni sur des droits de scolarité aussi élevés qu'aux États-Unis. Il repose sur une solution médiane et équilibrée qui préserve l'accessibilité, tout en permettant le financement d'un enseignement de grande qualité.
Des liens avec les étudiants
Comme l'expliquait la semaine dernière la ministre de l'Éducation, madame Line Beauchamp, la hausse des droits de scolarité «c'est pour un meilleur financement des universités, pour que le diplôme qu'on va chercher dans une université québécoise garde sa valeur, qu'on ait les meilleurs enseignants, les meilleurs équipements, les meilleurs équipements de recherche».
Voulons-nous vraiment favoriser l'accès à l'université et augmenter le taux de diplomation des étudiants moins nantis? Pour ce faire, nous devons créer des liens plus étroits avec ces étudiants, plus tôt (dès l'école primaire), et optimiser les programmes qui leur sont offerts en ce qui a trait à l'aide financière et au remboursement de leurs prêts. Plutôt que de geler les droits de scolarité, voilà ce que nous devons faire pour favoriser la réussite universitaire des étudiants à faible revenu.
Des droits de scolarité peu élevés ne sont pas synonymes d'accessibilité. Et même si c'était le cas, miser sur l'accessibilité sans tenir compte de la qualité serait un très mauvais calcul.
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Heather Munroe-Blum - Principale et vice-chancelière de l'Université McGill


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