Étant donné que nous sommes peut-être en voie de vivre une énième crise linguistique, il serait peut-être utile de rappeler les motivations principales des artisans de la loi 101, adoptée il y a plus de trois décennies.
Contrairement à ce que le débat actuel pourrait nous porter à croire, le but principal du grand bouleversement social que fut la loi 101 n'était pas d'épargner les oreilles des plus capricieux de nos nationalistes, à qui quelques mots d'anglais donnaient de l'urticaire, mais surtout de donner à la langue que nous parlons -- et dans laquelle nous apprenons depuis toujours à lire, à écrire, à compter, à penser et à rêver -- une véritable valeur sur le marché du travail. Bref, c'était une initiative de redressement socioéconomique à l'intention de la population francophone par le truchement de sa langue.
Avant l'adoption de la loi 101, le fait de connaître le français ne valait pas grand-chose aux yeux de nombreux employeurs québécois. La loi 101 visait à corriger cette aberration et à donner au français la place qui lui revenait dans l'économie québécoise.
Terrain économique
Trente ans plus tard, alors que le réseau scolaire québécois forme 90 % de nos jeunes en français et que nous tâchons d'accueillir davantage d'immigrants francophones, la situation actuelle du français sur le terrain économique donne sérieusement à penser. Tant les observations des citoyens ordinaires dans la vie de tous les jours que les études les plus sérieuses nous indiquent que l'anglais est revenu en force comme langue de travail au Québec et que la tendance va en s'accentuant.
À la lumière de cette évolution apparemment inexorable, il faudrait se demander si, dans notre réseau d'enseignement, nous ne serions pas en train de former en français toute une génération québécoise qui n'aura pas les compétences requises pour occuper plusieurs des meilleurs emplois chez elle ou, à tout le moins, qui sera désavantagée par rapport à n'importe quel nouveau venu arrivant de l'Alberta ou même du Tennessee et parlant l'anglais depuis sa tendre enfance.
Le français à l'école
Il serait peut-être utile de rappeler à certains Québécois la raison d'être d'un réseau d'enseignement public. L'école a pour mission de former la nouvelle génération de citoyens, qui sera entre autres appelée à contribuer au progrès de ladite société en travaillant. C'est pour cette raison qu'à l'école, on apprend impérativement à bien utiliser, sous divers angles, la langue de fonctionnement de la société dans laquelle on vit. À Stockholm, on apprend le suédois pour ensuite travailler en suédois; à Paris, c'est le français, et à Toronto, c'est bien sûr en anglais que ça se passe.
À Montréal, il est tout à fait vrai qu'en 2008, c'est essentiellement en français qu'on enseigne, mais là où le bât blesse, c'est qu'on y enseigne la langue dite «nationale» à beaucoup de jeunes qui, au bout du compte, ne s'en serviront que très peu ou pas du tout dans leur carrière. Ceux-ci se feront peut-être doubler professionnellement par leurs concitoyens qui ont une excellente maîtrise de la langue de Shakespeare (celle qui domine de plus en plus notre économie) grâce à leur fréquentation du réseau scolaire anglo-québécois, surtout si ces derniers possèdent au moins une connaissance approximative du français, ce qui est amplement suffisant quand les documents, les rapports, les courriels et les réunions sont toujours en anglais.
L'allemand chez Chrysler
D'aucuns feront valoir que tout cela n'est que la réalité de la mondialisation en ce début du XXIe siècle et qu'on ne devrait pas se formaliser du fait que de plus en plus de Québécois sont appelés (et seront appelés encore davantage à l'avenir) à travailler dans une langue qui n'est pas la leur et dans laquelle ils sont peut-être moins à l'aise, moins efficaces et donc moins aptes à être promus.
On nous dira aussi que de toute manière, on travaille toujours en anglais chez Volvo en Suède, tout comme chez Nokia en Finlande. Or une vérification sur le terrain n'appuierait pas cette thèse: les grandes multinationales issues de pays non anglophones fonctionnent généralement dans la langue du pays sur leur propre territoire, ne cédant la place à l'anglais que lorsque leurs activités les mènent au-delà de leurs frontières. Même la haute direction purement américaine de Chrysler a dû se mettre à l'allemand lorsque le fabricant automobile a fusionné avec Daimler-Benz, en 1998!
Le bon outil linguistique
Les Suédois et autres peuples cités ci-dessus ont aussi un autre avantage que les Québécois n'ont pas: la langue de leur enfance et de toute leur scolarisation leur servira également s'ils veulent oeuvrer dans toutes les hautes sphères des institutions de leur pays.
On dira que les Québécois ne sont pas moins capables que les autres d'apprendre une autre langue, ce qui n'est pas faux. Par contre, dans un marché du travail ouvert et fortement concurrentiel, il s'agit néanmoins d'une barrière de plus que beaucoup de nos jeunes gens élevés et scolarisés en français peineront à faire tomber ou à surmonter tout au long de leur carrière. (D'autant plus que ce n'est pas donné à tout le monde de pouvoir apprendre une langue seconde au point de pouvoir s'en servir quotidiennement au travail.)
Le Québec produit aujourd'hui une quantité sans cesse croissante de diplômés ayant fait l'acquisition de leurs compétences professionnelles dans la langue de la majorité. L'histoire nous dira si on ne les a pas armés de patins et de bâtons de hockey avant de les envoyer disputer un match de... water-polo!
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Marc Laforest, Gatineau
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