Jeux et enjeux politiques

Tribune libre

Qu’on le veuille ou non, que l’on partage son idéologie, ses orientations, ses valeurs ou pas, le Parti libéral du Québec est une formation politique solidement implantée dans toutes les régions du Québec et dotée de surcroît d’une redoutable machine électorale. D’autant plus redoutable que ce parti est la vitrine politique des gens du commerce, de l’industrie et de la finance, des acteurs clés et influents de l’idéologie capitaliste et néolibérale dominante et triomphante en Amérique du Nord.
Les commentateurs politiques parleront encore longtemps de l’éclatante victoire libérale du 7 avril 2014, en oubliant comme toujours de mentionner que l’opposition aux libéraux cumule 58,48 % des votes exprimés, mais n’obtient que 44 % de la députation. Ce biais de notre système électoral est connu et discuté depuis belle lurette, mais demeure obstinément inchangé. Tous les partis politiques soucieux de la santé démocratique de nos institutions devraient faire de la réforme électorale leur priorité absolue. N`est-il pas permis de rêver ?
Même si la dernière élection provinciale ne portait pas nommément sur la place du Québec au sein du Canada, le fait est que le statut constitutionnel du Québec n’est toujours pas normalisé. Si le Québec ne peut pas être simultanément une province canadienne et un pays, il ne devrait pas être confiné éternellement dans les limbes constitutionnelles : ni une province canadienne et ni un pays. Quel est son statut en réalité ? En envoyant à Ottawa une députation et en payant là-bas des impôts, des taxes, on peut présumer que le Québec demeure un membre à part entière de la Fédération canadienne.
Au cas où la normalisation du statut constitutionnel du Québec intéresserait encore quelqu’un, je suggère la lecture de la « Déclaration de Sherbrooke » adoptée par le Congrès fédéral du Nouveau Parti démocratique le 9 septembre 2006. Le lecteur y trouvera des thèmes aussi intéressants et constructifs que « la reconnaissance du caractère national du Québec », « le fédéralisme asymétrique et coopératif », «le droit du Québec à l’autodétermination ». À ma connaissance, le Nouveau Parti démocratique est le seul parti fédéral à proposer une telle ouverture envers le Québec.
Par ailleurs, nous y revoilà encore une fois. Aux dires des libéraux, les finances publiques ont été laissées dans un état pitoyable par les dix-huit mois de gouvernance péquiste ! Que dire des neuf ans (2003-2012) de gouvernance libérale ? Un modèle d’efficacité et d’intégrité ? Il faudrait en finir avec ces enfantillages. Bien sûr, le gouvernement est pris avec un déficit qu’il doit résorber en augmentant ses revenus (impôts, taxes et tarifs) et/ou en réduisant ses dépenses. Pour ce faire, les principaux ministres à vocation économique du gouvernement libéral devraient jeter un œil attentif sur les 58 programmes d’aide aux entreprises, une bagatelle de 4 milliards $, dont l’efficacité et la pertinence sont sérieusement remises en question par monsieur Robert Gagné, directeur du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal. Voici son commentaire tel que publié dans le journal Le Soleil du 5 avril 2014 : « À mon avis, il y a beaucoup trop d’argent que l’on met pour aider les entreprises. On en met plus que la plupart de nos voisins autour de nous, et les résultats sont assez médiocres. » Que rajouter de plus, sinon que couper la moitié de ces aides inutiles suffirait presque à résorber le déficit budgétaire de la province.
La déroute péquiste
Pendant la dernière campagne électorale, si la seule évocation d’un troisième référendum sur la souveraineté du Québec a eu un tel effet répulsif sur l’électorat, comment peut-on encore raisonnablement parler d’indépendance et rêver de faire du Québec un pays…? J`ai plutôt l’impression que « Le beau risque », « Les conditions gagnantes » et autres « Mises en veilleuse ou facéties arbitraires » ont eu raison de la patience et de l’intérêt de l’électorat pour la chose. Le disque tourne depuis plus de 45 ans et deux référendums n’ont rien donné. Alors? Selon notre Premier ministre, « Une idée ne meurt jamais » certes, mais elle peut devenir obsolète.
De progressiste, le Parti québécois est devenu au fil des ans un parti de droite réactionnaire, une droite pourtant déjà bien occupée par le Parti libéral et la Coalition avenir Québec, une sorte d’Union nationale revampée. Un exemple de cette assertion? Le 29 juillet 2013, le gouvernement péquiste reconduisait jusqu’en 2025 le programme de « Crédit d’impôt pour le développement des affaires électroniques » doté d’une enveloppe de 230 Millions $. Qui sont les principaux bénéficiaires de ce programme ? International Business Machine (IBM), une boutique de 300 000 employés qui génère des revenus annuels de 100 milliards $ et le groupe Conseillers en gestion et informatique (CGI), une autre « binerie » de 70 000 employés qui comptabilise des revenus de 10 milliards $ par année.

À peu près en même temps, le 1er juin 2013, entrait en vigueur des coupures de 50 millions $ à l’aide sociale pour les prestataires de 55 à 58 ans, les familles avec enfants de moins de 5 ans et les bénéficiaire des services en toxicomanie. Comme toujours, le saint objectif de ces coupes était évidemment de retourner sur le marché du travail tous ces fainéants. Le problème est que les crédits budgétaires 2013-2014 coupaient aussi 55 millions $ à l’aide à l’emploi. Comment sortir de la dépendance des gens jugés aptes au travail en coupant simultanément les programmes d’employabilité ? Ce genre de sadisme institutionnel à l’encontre des plus vulnérables de notre société m’a toujours horripilé.

À vouloir représenter en même temps la droite, surtout, et la gauche, un peu, le Parti québécois en a perdu ses repères. Alors que l’islamophobie déferlait sur le Québec dans le cadre des discussions entourant la charte de la laïcité, deux compagnies québécoises, Bombardier et SNC Lavalin, négociaient et obtenaient des contrats lucratifs avec l’un des régimes islamiques considérés des plus conservateurs, l’Arabie Saoudite. Dans le cas de Bombardier aéronautique, il s’agissait d’une commande essentielle de 2 milliards $ pour la réalisation de son avion CSeries. Cette contradiction semble avoir échappé aux idéologues du Parti québécois, une contradiction en « droite » ligne avec l’organisation américaine « Stop the Islamisation », alors que l’Arabie Saoudite est pourtant un allié indéfectible des États-Unis. Il faudrait nous expliquer cela un jour.
Enfin, toutes les dérives ont eu cours dans les discussions entourant la charte de la laïcité, notamment celle qui laisse entendre que la cohabitation avec l’Islam menacerait le principe d’égalité entre les hommes et les femmes. Sur ce point précis, la lecture du texte de Michelle Boivin, docteure et professeure de droit à l’université d’Ottawa, intitulé « L’évolution des droits de la femme au Canada » s’avère judicieuse. Son analyse tend à démontrer que l’article 28 de la Charte des droits et libertés du Canada protège absolument le principe d’égalité homme-femme avant toutes autres considérations ou droits, y compris les droits religieux : « Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes ». Au vu de cette interprétation, agiter l’épouvantail de la répression des femmes par une islamisation forcée est tout à fait inapproprié dans le contexte canadien.

Programme pour la gauche.
Québec solidaire ne peut se limiter à être la réincarnation du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) de Pierre Bourgault, sous peine de connaître à terme le même sort : se marginaliser, plafonner dans les intentions de vote et disparaître. Son programme politique devrait se décliner autrement. Pour la gauche véritable, que la frontière ouest du Québec longe la Rivière Outaouais ou la côte du Pacifique n’a strictement aucune importance. Il est clair ou il devrait être clair que le Québec seul, que ce soit dans ses frontières actuelles ou dans de nouvelles frontières, ne pourra changer les règles du jeu au royaume du capitalisme nord-américain.

En 2008, le produit intérieur brut (PIB) du Québec s'élevait à 248,4 milliards $, alors que celui de l’agglomération de New-York atteignait 578 milliards $. À cette époque, Il n'y avait que 14 pays dans le monde à avoir une économie plus importante que celle de la seule ville de New York. À cette échelle, le Québec est un nain. Déjà à la fin des années 80, le nationalisme économique à la québécoise s’est fait « varloppé » sous les coups de butoir de la mondialisation et les accords de libre-échange. Avec quelques décennies de retard sur d’autres juridictions, l’ordre du jour de la droite québécoise consiste maintenant à arraisonner le mouvement syndical, privatiser le plus possible les services publiques et sabrer tant que faire se peut dans les programmes sociaux, en neutralisant les résistances susceptibles de lui nuire.

Il faut une réponse forte et adaptée à cette évolution. La question des frontières nationales est plus que marginale. Les États-nations d’Europe, jalouses hier encore de leurs prérogatives, évoluent lentement mais sûrement vers un partage de souveraineté en se dotant ou en renforçant leurs institutions communes. Bien sûr, cette évolution n’a pas pour but de remettre en question les fondements du système économique capitaliste, mais pour le policer, le réguler. Pour des considérations environnementales, sociales, politiques et économiques urgentes et incontournables, il faut aller plus loin.
Ce serait assez déroutant que la gauche ne le comprenne pas et refuse son rôle d’éveilleur de conscience et de promoteur de mesures sociales, économique et politiques progressistes. Même le pape François le comprend. Dans son exhortation évangélique intitulée « La joie de l’évangile », il consacre tout le chapitre deux de son ouvrage à critiquer sévèrement le néolibéralisme débridé qui a cours actuellement. Voici quelques titres évocateurs : « Non à une économie de l’exclusion », « Non à la nouvelle idolâtrie de l’argent », « Non à l’argent qui gouverne au lieu de servir », « Non à la disparité sociale qui engendre la violence »…
Je termine par cet extrait de son exhortation à méditer absolument : «…certains défendent encore les théories de la « rechute favorable », qui supposent que chaque croissance économique, favorisée par le libre marché, réussit à produire en soi une plus grande équité et inclusion sociale dans le monde. Cette opinion, qui n’a jamais été confirmée par les faits, exprime une confiance grossière et naïve dans la bonté de ceux qui détiennent le pouvoir économique et dans les mécanismes sacralisé du système économique dominant ».
Le lecteur aura compris que ce message s’adresse avant tout à la gauche…chrétienne !!!
Yvonnick Roy
Québec

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2 commentaires

  • Jean-Louis Pérez-Martel Répondre

    2 mai 2014

    Bonjour Monsieur Roy,
    Combien de cardinaux (les princes de l'Église, représentants du Vatican dans le monde, devenu depuis Saint-Pierre de Rome la première multinationale de l’Histoire) font partie des réunions de Bilderberg ? Quand le Pape François s’attaquera aux privilèges éhontés du Cardinal Bertone et éliminera la mafia qui contrôle la banque du Vatican, l’Institut pour les Œuvres de Religion (IOR), les exhortations que vous citez auront certainement une portée humaniste et chrétienne.
    Pour connaître le rôle que joue cette banque et le revirement de l’actuel responsable du Saint-Siège sur cette institution financière, consulter Banque du Vatican : le pape François renonce à abolir l’IOR
    http://www.lesechos.fr/economie-politique/monde/actu/0203426269601-le-pape-francois-se-prononce-pour-le-maintien-de-la-banque-du-vatican-662799.php
    Cordialement,
    JLPM

  • Suzanne Bousquet Répondre

    2 mai 2014

    Principe d'égalité homme-femme coulé dans le béton au Québec? Pas si sûr...
    Monsieur Roy, il n'est pas étonnant que la seule grande manifestation publique d'appui au projet de Charte réunissait surtout des femmes. Pourtant, nous avons des Arabies intérieures, et vivons au sein d'un État renonçant à protéger et à défendre la liberté de conscience des femmes et des enfants naissant sur son territoire. Posez-vous la question à la lecture des 28 règlements de la communauté des 3000 juifs hassidim de Boisbriand. Lisez:
    1.No book, newspaper, or magazine is permitted in the buildings of the community, unless their content is in conformity to Orthodox Judaism.
    2.All members of the community must attend religious services, three times per day, at the synagogue.
    3.No radio, television, record, or cassette is allowed in the buildings of the community.
    4.No members of the community may attend the cinema or be present at any theatrical performance under the penalty of immediate expulsion.
    5.All women residing in the community must dress in accordance with the Orthodox laws of modesty, as follows:
    6.All dresses must be at least four inches below the knees, no trousers or panty-hose may be worn by young girls 3 years of age or older.
    7.Married women's hair must be completely covered 24 hours a day, by a kerchief or by a wig which is no longer than the nape of the neck.
    8.It is forbidden for men and women to walk together in the street.
    9.Men and women must be separated by a wall (at least 7 feet high), when attending any gathering of a social or religious nature.
    10.All food consumed in the buildings of the community must conform to the dietary laws of the Code of Laws and be approved by the chief Rabbi or his second in command.
    11.No car may be driven by a woman or by an unmarried man.
    12.The members must submit any interpersonal conflict to the arbitration of the court established by the chief Rabbi
    13.The Sabbath day must be observed in strict conformity to Jewish law.
    14.Members must study the Torah and other religious texts for at least two hours a day.
    Teachers of secular subjects who come into the community must follow guidelines of their own:
    1.All textbooks and literature to be used by the students in class or at home... must first be approved by the principal.
    2.No stencil or photo-copy of any other book may be used without approval.
    3.Students are not permitted to go to the library nor is the teacher permitted to bring into the school, for the students, any such books.
    4.No newspaper or magazine may be read in school or hung up. Students are not permitted to read the above at home either.
    5.No records or tape may be used in the classroom without approval.
    6.No extra subjects, books, magazine supplement or other information which is not on the required curriculum of the school may be taught.
    7.For extra credit work or for class projects, students should not be told to write away for such material. The teacher should supply them with the material with approval.
    8.No discussion on boyfriends.
    9. No discussions of reproduction.
    10.No discussion about radio, television or movies.
    11.No discussion about personal life.
    12.No discussion on religion
    13.No discussion about Women's Liberation
    14.No homework on Thursdays.

    (Source: wikipedia, article Kyrias Tosh)