Jacob Tierney: «Les anglos et les immigrants sont ignorés»

Jacob-le-cosmopolite, le prétentieux-ouvert-sur-le-monde, pose comme Richler-l'ancien (j'ai oublié son prénom) - Un trait culturel?


Nicolas Bérubé (collaboration spéciale) - Le réalisateur montréalais Jacob Tierney était de passage à Los Angeles vendredi dernier pour présenter son film The Trotsky. Notre correspondant a rencontré le jeune cinéaste, qui en a profité pour dénoncer vertement l’absence des réalités anglophone et immigrante dans la culture et le cinéma québécois.

Son film The Trotsky était présenté pour la première fois à Hollywood, mais Jacob Tierney n’était pas nerveux. «Moi, je fais les films que j’aime. Je ne cherche pas à plaire à un public en particulier. Si les Américains embarquent, tant mieux!»
M. Tierney connaît bien Los Angeles. Il y a habité à la fin de l’adolescence. Il a aimé son expérience d’acteur, mais tout ça est derrière lui: aujourd’hui, Tierney fait des films à Montréal, la ville de sa naissance, la ville où il a grandi. Mais une ville qui ne veut pas de lui, dit-il.
«La société québécoise est extrêmement tournée sur elle-même, dit Tierney. Notre art et notre culture ne présentent que des Blancs francophones. Les anglophones et les immigrants sont ignorés. Ils n’ont aucune place dans le rêve québécois. C’est honteux.»
Aux États-Unis et ailleurs au Canada, dit-il, les immigrants sont bien représentés dans l’univers culturel. Au Québec, les immigrants et les anglophones ne sont pas seulement marginalisés: ils sont invisibles, dit Tierney.
«Je suis né au Québec, je parle français, mais pour les gens, ça ne change rien: je serai toujours perçu comme l’Autre. Des gens me disent que je peux toujours déménager à Toronto, mais je ne veux pas aller à Toronto! C’est chez moi, Montréal!»
Tierney dit être fier du chemin qu’ont parcouru les Québécois depuis la Révolution tranquille et de l’adoption de la loi 101. Selon lui, le gouvernement du Québec est sensible au sort de la minorité anglophone.
Les artistes de la province, déplore-t-il, sont encore en train de «se regarder le nombril» alors que le monde autour d’eux a changé depuis les années 60.
«Le cinéma québécois, c’est blanc, blanc, blanc. C’est homogène! C’est gênant. Regarde les films qu’on fait au Québec: 1981, C.R.A.Z.Y., Polytechnique... Ce sont de bons films, mais ce sont des films tournés vers le passé. C’est la glorification de la nostalgie. Tout était donc plus intéressant avant. Il y a quelque chose de malsain là-dedans.»
Les Jutra
Les prix Jutra, qui récompensent le cinéma québécois, sont l’incarnation de cette réalité, dit-il.
«Regarde la soirée des Jutra. C’est blanc! C’est francophone! C’est ça le Québec? Si tu es un jeune Haïtien de Montréal, est-ce que tu vois une place pour toi là-dedans? C’est qui nos vedettes? Luc Picard? Penses-tu que les jeunes Haïtiens de Montréal se reconnaissent dans Luc Picard? Pas du tout. Ça ne fait pas partie de leur monde, de leur univers. Ils ne sont pas représentés.»
En tournant Trotsky, un film où un jeune Montréalais anglophone prétend être la réincarnation du révolutionnaire bolchevique, Tierney ne voulait pas faire l’apologie du communisme, mais plutôt célébrer les individus qui osent penser autrement. Le film est présenté à Los Angeles, en collaboration avec le gouvernement du Québec, qui a tenu une petite réception en l’honneur de M. Tierney, vendredi soir.
Tierney aimerait voir le cinéma québécois montrer la réalité de centaines de milliers de Québécois anglophones ou immigrants. Il donne en exemple Un prophète, le film de Jacques Audiard, sur la vie d’un jeune Arabe dans une prison française.
«Personne ne fait des films comme Un prophète au Québec. Personne! Je ne dis pas qu’il y a une barrière consciente ou un sentiment de racisme conscient. Techniquement, rien ne nous empêche de faire des films comme ça. Mais la réalité, c’est que ça n’intéresse pas. Ça ne fait pas partie des préoccupations. Ça n’existe pas.»


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