Le premier ministre Jean Charest l'a reconnu sans détour, il n'y avait pas la moindre ambiguïté dans les propos qu'a tenus le président Nicolas Sarkozy cette semaine. À la Citadelle de Québec, l'automne dernier, ses proches avait tenté de finasser en laissant croire que l'«unité» dont parlait le président n'était pas celle du Canada. Cette fois, il n'y a pas le moindre doute. Par cette intervention, Nicolas Sarkozy a voulu marquer son rejet de la traditionnelle neutralité française dans le débat canadien.
Lundi, à l'Élysée, le président a prétendu que s'il abandonnait définitivement la politique traditionnelle de «non-ingérence et de non-indifférence», ce n'était évidemment pas pour pratiquer l'ingérence. L'ennui, c'est que quelques phrases plus tard, il s'y livrait à coeur joie. Cette position a peut-être l'avantage de la clarté, mais elle n'en demeure pas moins une intrusion flagrante et «inacceptable» dans les affaires politiques québécoises, pour reprendre le mot prononcé par Lester B. Pearson en 1967 face à de Gaulle.
Ces déclarations sont non seulement sans précédent de la part d'un président français, mais aussi d'un chef d'État d'un pays étranger. Rappelons-nous les propos de Bill Clinton à Mont-Tremblant avant le référendum de 1995. À la demande de Jean Chrétien, le président avait livré un plaidoyer pour l'unité canadienne. Mais il n'avait pas poussé la hargne jusqu'à insulter les souverainistes en les traitant d'imbéciles et en les accusant de pratiquer le «sectarisme», l'«enfermement sur soi» et la «détestation» de l'autre. Nous étions entre gens du monde.
Contrairement à ce qu'affirmait mercredi à Paris le maire de Québec, Régis Labeaume, jamais depuis le «vive le Québec libre» du général de Gaulle un président français ne s'était ingéré de la sorte dans les affaires politiques canadiennes. Bien des hommes politiques avaient exprimé leur opinion, mais pas le président, qui parle pour la France. Or, si de Gaulle avait l'excuse de vouloir aider un peuple que l'Histoire avait trop longtemps relégué dans l'ombre, Nicolas Sarkozy est loin d'être inspiré par des motifs aussi nobles.
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Comment expliquer des propos aussi outrageants? Rappelons d'abord que l'homme n'a jamais ménagé ses mots envers personne. Nicolas Sarkozy est à la politique ce que Jeff Fillon est à la radio. Dans son domaine, on ne peut le comparer qu'à Silvio Berlusconi. Quand on traite les jeunes des banlieues défavorisées de «racaille» et qu'on répond «casse-toi pauvre con» à un simple citoyen, on peut bien qualifier les souverainistes d'imbéciles. Récemment, Nicolas Sarkozy recevait à l'Élysée un groupe d'ouvriers de l'aciérie de Gandgrange, à qui il avait promis de protéger les emplois quoiqu'il arrive. Le président a brusquement mis fin à l'entretien en claquant la porte et en lançant aux ouvriers que s'ils n'étaient pas contents, ils n'avaient qu'à se trouver un autre président.
Mais il serait navrant d'en rester là. Ce repositionnement français tient aussi à des raisons plus stratégiques dont il faudra mesurer les conséquences dans l'avenir. Le Québec est en fait la victime collatérale du rapprochement que poursuit la France avec les États-Unis et le Canada. Dans deux mois, celle-ci réintégrera le commandement intégré de l'OTAN. Dans la stratégie plus globale de Nicolas Sarkozy, l'abandon de la neutralité française sur la question nationale québécoise n'est au fond qu'un détail dans la rupture entreprise avec l'héritage gaulliste.
Ajoutons-y l'anglophilie débordante du président, son goût pour Disneyland et la musique pop anglo-saxonne qu'on entendait dans toutes ses rencontres de campagne. Lundi, lors de la remise de la Légion d'honneur à Jean Charest, il fallait le voir vanter, avec un petit air d'envie et sans même percevoir le ridicule de la situation, combien Jean Charest parlait «parfaitement anglais». Plus colonisé, tu meurs!
Convenons qu'il y a quelque chose de surréaliste à voir les souverainistes accusés de manquer d'ouverture par un président qui a flirté avec les voix du Front national, qui fait tout pour freiner le regroupement familial des immigrants pourtant légalement admis en France, et qui expulse chaque jour des immigrants illégaux qui y vivent et qui y travaillent depuis de longues années.
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On comprend Jean Charest de ne pas vouloir se brouiller avec la France, seul pays avec lequel le Québec entretient des relations politiques directes. Mais, il aurait à tout le moins pu trouver une façon subtile de refléter le véritable tollé que provoquent ces propos au Québec. Avalant la couleuvre jusqu'au bout, notre premier ministre va même jusqu'à dire qu'il ne se sent «pas froissé» le moins du monde! Le 22 janvier 2007, n'avait-il pas joint sa voix à celle de Stephen Harper lorsque la candidate socialiste Ségolène Royal avait confusément évoqué la «souveraineté» et la «liberté du Québec»?
«On ne demande pas à nos amis Français d'être indifférents à la situation québécoise, avait alors déclaré le premier ministre. Mais là où il y a une limite qu'il ne faut pas traverser, c'est de tenter d'influencer les Québécois.»
Cette phrase, Jean Charest aurait pu la répéter mot pour mot cette semaine...
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crioux@ledevoir.com
"Nicolas Sarkozy est à la politique ce que Jeff Fillon est à la radio. "
Ingérence
Ajoutons-y l'anglophilie débordante du président (...) il fallait le voir vanter, avec un petit air d'envie et sans même percevoir le ridicule de la situation, combien Jean Charest parlait «parfaitement anglais». Plus colonisé, tu meurs!
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