Une nouvelle livraison de « Manière de voir »

« Imprenable Afghanistan »

Afghanistan après 2011, un narco-régime

Le dernier Manière de voir (1) offre une plongée passionnante dans le dossier afghan. Le premier article, de Stephen Hugh-Jones, remonte à 1965, époque où le pays, déjà décrit dans ses fractures internes, n’est qu’un Etat-tampon entre l’URSS et les Etats-Unis, mais refuse d’adhérer à des pactes antisoviétiques. Le coup d’Etat républicain du prince Mohammed Daoud (17 juillet 1973), soutenu par les communistes, contre le roi Zaher Chah permet déjà, à travers l’article de Jean-Charles Blanc, de comprendre l’importance des ethnies, des clans et des grandes familles dans un pays qui n’a jamais connu de recensement.
L’histoire s’emballe avec le coup d’Etat (printemps 1978) du Parti démocratique du peuple afghan, communiste, mené sans l’aval de Moscou selon Jean-Alain Rouinsard et Claude Soulard.
A partir de 1979 et de l’invasion de l’armée rouge, l’Afghanistan devient une caricature des rivalités Est-Ouest : parti communiste fantoche, discours opposés sur la liberté, soutien américain aux forces d’opposition (surtout les plus radicales), ingérences pakistanaises, rivalité entre Islamabad et New Delhi... Peu semblent avoir mesuré la forte originalité de ce pays divisé entre ethnies qui assurent elles-mêmes leur sécurité et voient en tout étranger un ennemi (Jean-Christophe Victor). L’armée rouge s’y cassera les dents comme, avant elle, l’armée britannique en 1842.
« Guerre de libération nationale ou guerre sainte ? », s’interroge Olivier Roy, alors que d’autres parlent des moudjahidins comme des « combattants de la liberté ». Le chercheur annonce déjà, à travers l’analyse des structures sociales, les difficultés que rencontreront les armées conventionnelles dans ce pays. Le retrait soviétique de 1989 puis la victoire des moudjahidins en 1992 ouvriront « Le temps du chaos » : les anciens résistants se déchirent sans aucun souci de la population de la capitale, bombardée à l’arme lourde.
Alors que les grandes puissances se désintéressent du pays, le Pakistan appuie l’arrivée au pouvoir des « étudiants en religion », les talibans. Les raisons de leur victoire et leur conception de l’ordre « islamique » sont décrites dans l’article d’Ahmed Rashid et par Stéphane Allix (« Qui sont les “étudiants en religion” ? »).
Les attentats du 11-Septembre auront les effets que l’on sait sur l’Afghanistan, pays toujours aussi mal connu de ceux qui déclencheront l’offensive américaine. Les mêmes thématiques « modernistes » de la période soviétique réapparaissent régulièrement : libération de la femme, réforme démocratique, élections pour justifier l’invasion, équilibres ethniques... Le reclassement des anciens chefs de guerre, devenus alliés des Occidentaux, ne change rien à leur véritable nature (« Ces charniers si discrets... », de Jamie Doran).
La seule constante de toutes les étapes du dossier reste probablement la politique afghane du Pakistan, allié sans scrupule qui manipule aussi bien les Afghans que les Etats-Unis et les Occidentaux en général...
Zone de confins géopolitiques, l’Afghanistan est le pays du temps long. Le dossier en donne la mesure à travers son épaisseur historique et son jeu de cartes. Il devrait être imposé comme lecture préalable à tout décideur qui prétendrait avoir une « politique afghane ».
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Pierre Conesa.

Ancien haut fonctionnaire, auteur, notamment, de l’ouvrage Les Mécaniques du chaos. Bushisme, prolifération et terrorisme, L’Aube, Paris, 2007.
(1) Manière de voir, n° 110, « Imprenable Afghanistan », avril-mai 2010, 7,50 euros, en vente chez votre marchand de journaux.


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