Pour conforter le sentiment d'appartenance des immigrants, il faut d'abord leur offrir du travail, soutient le sociologue Gérard Bouchard. Et, puisque les emplois ne sont pas au rendez-vous, Québec doit avoir le courage politique d'imposer des quotas. Entrevue avec le professeur émérite de l'Université du Québec à Chicoutimi.
Que faut-il faire pour voir grandir le sentiment d'appartenance des immigrants à l'égard du Québec?
Il faut réussir leur intégration économique et sociale. Quelqu'un d'exclu et victime de discrimination ne développera jamais de sentiment d'appartenance. Pour sensibiliser quelqu'un et pour le faire vibrer à nos valeurs, il faut d'abord lui donner un travail. Et là-dessus, on a vraiment mal joué nos cartes. Le sous-emploi chez les immigrants bouge peu parce qu'on ne fait pas ce qu'il faut. Le gouvernement pourrait mettre en oeuvre des programmes. Une espèce d'affirmative action, comme ils ont fait aux États-Unis pour créer une classe moyenne afro-américaine. Ça prendrait quelque chose de massif, de déterminé. Qui serait soutenu par la population. Qui serait enveloppé dans un discours. Mais nous, on ne le fait pas.
Pourquoi on ne le fait pas?
Il n'y a pas de volonté politique pour ça. Quand il y a eu la tuerie dans la mosquée de Québec en janvier dernier, le premier ministre Couillard a dit : «Il y a eu un avant et il y aura un après.» Ça laissait entendre que cet événement avait été d'une horreur telle que plus rien n'allait se passer de la même manière. Qu'on allait changer les choses en profondeur. Mais il n'y a rien eu. Ce n'est pas la loi 62 (respect de la neutralité religieuse de l'État) qui va régler les problèmes. Et la Consultation sur la discrimination systémique et le racisme n'a pas levé. Ça s'est transformé en Forum sur la valorisation de la diversité et la lutte contre la discrimination qui a lui-même commencé à branler.
Quel type de politique d'intégration faut-il mettre en oeuvre pour offrir des emplois aux immigrants?
Il faut créer des conditions favorables pour réparer le retard social qu'ils ont accusé. Alors, ça va prendre un discours politique qui a beaucoup d'autorité pour faire accepter ça à la population. Parce que plusieurs pourraient dire : «Non, non, l'égalité, ce sont les mêmes conditions pour tout le monde.» Mais il va falloir faire plus que ça, parce que là, c'est quelque chose de structurel.
Que proposez-vous?
Il faut instituer des quotas. Un peu comme on l'a fait pour l'égalité hommes-femmes. Ça, ce sont des choses très concrètes. On fixe la barre. Par exemple, il faut qu'il y ait la moitié des femmes dans les conseils d'administration. Et il y a des organismes de surveillance pour voir comment ça se passe. Pour les travailleurs immigrants, on pourrait soumettre les entreprises à certaines règles pour l'embauche. Bref, il y a plein de mesures qui pourraient être appliquées. Mais il faudrait que ce soit enveloppé dans un discours politique qui rend la chose acceptable à l'ensemble de la population. Autrement, ça va passer pour une injustice, pour des privilèges aux immigrants. Et ce discours-là est déjà présent.
Pourquoi les travailleurs immigrants sont-ils moins recherchés?
D'abord, il y a une forme de corporatisme quand vient le temps de reconnaître les diplômes obtenus à l'étranger. De plus, il y a, étrangement, certaines résistances syndicales à l'embauche d'immigrants dans la fonction publique. Ensuite, du côté des PME, on se tourne souvent vers des connaissances, des parents (appelons ça «le facteur cousin»), quand vient le temps d'engager. Ce facteur est beaucoup moins présent dans les multinationales.
Quels sont les impacts de ce type de discrimination?
Je me suis souvent fait dire par des immigrants, ou par des membres des minorités, qui étaient sans emploi : «M. Bouchard, votre modèle d'interculturalisme, ça a du bon sens, mais pourquoi ce serait très important pour nous... on n'a pas d'emplois. Nos enfants nous regardent et nous demandent pourquoi on ne travaille pas.»
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