IMMIGRATION

Immigration: Danemark l’exemple à suivre pour survivre

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Un exemple intéressant...

Immigration : comment le Danemark a retrouvé la maîtrise de son destin.


Soucieux de préserver son modèle social et culturel, le royaume scandinave a opté pour un traitement de choc.


Imaginez un pays où l’assimilation n’est pas un sujet tabou. Imaginez un pays où la lutte contre le séparatisme ne reste pas un vœu pieux. Imaginez un pays où un gouvernement social-démocrate poursuit, en la durcissant, une politique “anti-ghettos” initiée par la droite. Imaginez que ce dispositif, qualifié de « plus grande expérience sociale de ce siècle », par certains médias locaux, recueille un large soutien de la population. Non, vous ne rêvez pas ; ce pays existe, c’est le Danemark. Depuis 2018, cette petite nation d’Europe du Nord fait l’objet de commentaires passionnés dans la presse européenne. En cause, le durcissement de sa politique migratoire dont le plan de lutte contre les “ghettos ethniques” est le volet le plus emblématique.


Direction le siège du Parlement danois, le château de Christiansborg, pour rencontrer l’instigateur de cette politique. D’un abord affable, l’ancien Premier ministre du Danemark Lars Løkke Rasmussen nous reçoit dans son bureau, sans cérémonie. Au mur, une photo encadrée le représentant au côté de Nicolas Sarkozy, Angela Merkel et Barack Obama, lors de la conférence de Copenhague sur le climat, en décembre 2009. Une époque où la question des “ghettos”, déjà présente dans le débat politique, se posait avec moins d’acuité.


Entre-temps, plusieurs problèmes liés à une immigration insuffisamment régulée se sont fait jour. À commencer par une érosion progressive de l’harmonie sociale : « Notre société est fondée sur la confiance. Nous n’avons pas besoin de tout réguler. Hélas, le comportement de quelques-uns nous y contraint », regrette l’ancien chef du gouvernement libéral. Il prend l’exemple du choix de l’école au Danemark. Naguère, les parents pouvaient scolariser leurs enfants indistinctement dans un établissement public ou un établissement privé non contrôlé par l’État. « Nous nous sommes très vite a perçus qu’un nombre important d’immigrés préféraient inscrire leurs enfants dans des écoles coraniques », poursuit-il. Constatant certaines dérives, « l’État a été obligé de réguler le secteur de l’enseignement privé, auparavant très libéral », se désole Lars Løkke Rasmussen. Un exemple parmi tant d’autres de ces petits coups de canif au contrat social qui ont accéléré l’aggiornamento de la politique d’intégration des immigrés, en 2018.


“La charia prend souvent le pas sur la loi”


À partir des années 1970 et jusqu’au début des années 2000, le royaume du Danemark a connu plusieurs vagues d’immigration d’“origine non occidentale” – l’expression consacrée dans le pays -, principalement en provenance de Turquie, du Pakistan, d’Irak, du Liban, de Somalie, d’ex-Yougoslavie, d’Iran ou plus récemment de Syrie. Malgré les efforts déployés par le pays pour accueillir et accompagner les nouveaux arrivants, des problèmes d’intégration ont rapidement affleuré en différents points du territoire. Dès 1994, les pouvoirs publics s’emparent du sujet et adoptent un premier plan de lutte contre les “ghettos” et les “sociétés parallèles” ; à savoir des zones qui concentrent une forte proportion d’immigrés extra-européens et où le niveau de criminalité et le taux de chômage sont plus importants que la moyenne.


Cinq autres programmes de ce type suivront, dont le dernier, celui de 2018, marque un véritable tournant. « Nous avons identifié une liste de ghettos sur la base de critères objectifs », explique Lars Løkke Rasmussen ; sont ainsi visés les quartiers où plus de 50 % des habitants sont d’ascendance non occidentale, plus de 60 % des 39-50 ans ne sont pas allés au-delà du collège, plus de 2,7 % des majeurs ont été condamnés pénalement, le revenu brut des habitants est inférieur de 55 % à la moyenne de la région et la proportion des 18-64 ans sans emploi ni formation est supérieure à 40 %. Des lieux où « la charia prend souvent le pas sur la loi », selon les mots de l’ancien Premier ministre.


Ce plan se décline en une batterie de mesures touchant au logement, à l’éducation et à la répression pénale. Parmi les plus emblématiques, l’obligation faite aux habitants des “ghettos” d’origine non occidentale d’inscrire leurs enfants dans des crèches, à raison de 25 heures par semaine, afin qu’ils y apprennent la langue, la culture et les valeurs du peuple danois. À défaut, les parents concernés voient leurs allocations familiales coupées. De même, la proportion d’élèves d’origine immigrée ne peut dépasser 30 % dans les établissements du second degré. Mesure sans doute la plus controversée, le doublement des peines pour les crimes et délits commis dans les quartiers figurant sur la liste.


Un plan de lutte contre la ghettoïsation


Sur le volet logement, le “paquet ghetto” prévoit de procéder à la destruction des grands ensembles, mais également de réduire à 40 % d’ici à 2030 la part des logements sociaux dans les quartiers concernés. Ce qui passe par des expulsions massives puis la reconversion de certains logements sociaux en habitations privées. « Il ne s’agit pas de stigmatiser la population de ces quartiers, mais de permettre à tout un chacun de s’intégrer, indépendamment de sa couleur de peau ou de sa foi. Ce qui passe au Danemark par une culture commune et des valeurs partagées », résume l’ex-chef de gouvernement.


Exeunt les dorures et les plafonds ouvragés de Christiansborg. Place à un décor moins grandiose : la cité de Mjølnerparken, au nord-ouest de Copenhague, dans le quartier de Nørrebro. C’est ici qu’il y a quatre ans, Lars Løkke Rasmussen a dévoilé son plan de lutte contre la ghettoïsation. Avec ses 2 500 habitants, cette cité, composée de plusieurs blocs d’immeubles de quatre étages en briques rouges et donnant sur des squares arborés, est devenue le symbole de cette politique. Autant le dire tout de suite, Mjølnerparken ne correspond pas à l’idée qu’on se fait communément d’un ghetto. Ici, nul immeuble lépreux, nul mur couvert de graffitis, nul zonard ou guetteur à l’affût. Au vrai, avec ses balcons de bois blanc enguirlandés de glycine, ses allées bordées de charmille et ses cours intérieures soigneusement entretenues, cet ensemble d’habitations n’est pas dénué de charme.


Difficile de croire qu’il y a quelques années encore, ce lieu était le théâtre d’une guerre sanglante entre la bande locale, les Brothas, et un clan rival de Nørrebro, Loyal to Familia. Si « tout cela est de l’histoire ancienne », comme l’affirme Muhammad Aslam, le président de l’association des résidents, le Danemark conserve un souvenir douloureux de cette période. Les 14 et 15 février 2015, un membre des Brothas, Omar Abdel Hamid el-Hussein, 22 ans, d’origine palestinienne, a fait deux morts et cinq blessés lors de deux fusillades perpétrées au nom de l’islam.


C’est ici, à Mjølnerparken, qu’a grandi el-Hussein. Dans « ce quartier où on n’a plus vraiment l’impression d’être au Danemark », nous confiait plus tôt Rasmussen. La réalité, celle de 2022 à tout le moins, est un peu plus nuancée. Si la cité demeure sur la liste des “ghettos durs”, l’insécurité ne peut constituer l’explication principale. De l’avis de toutes les personnes rencontrées sur place, la situation s’est considérablement apaisée ces dernières années. « Certes, des problèmes demeurent, mais c’est marginal », assure Muhammad Aslam, qui habite le quartier depuis 1987. Mickaël, un saxophoniste retraité de 65 ans, partage l’avis de son voisin : « Voyez autour de vous, il y a des gens de tous horizons qui cohabitent en parfaite harmonie. »


En cette fin d’après-midi de juin, de fait, le square du bloc 48 a de faux airs de caravansérail. Parmi la cinquantaine d’habitants réunis en l’honneur des jeunes lycéens diplômés du quartier, une majorité de personnes issues de l’immigration, principalement des musulmans, comme l’attestent de nombreux visages d’hommes mangés par une barbe buissonneuse et les chevelures de femmes et de fillettes dissimulées sous un voile. À leurs côtés, des “Danois de souche” – selon l’expression consacrée – aux styles les plus divers, allant du bobo à sandales en cuir tressé à l’institutrice engagée en passant par des gens simples attachés à leur cité.


Une politique toujours plus restrictive


Dans quelques mois, pourtant, cette configuration sociale pourrait être à jamais modifiée. Conformément à la loi ghetto, le bailleur social du quartier prévoit de céder deux blocs d’immeubles, dont le 48, afin de répondre à l’obligation de réduire la proportion de logements sociaux à 40 % au maximum. Menacés d’expulsion à la rentrée, les habitants concernés, parmi lesquels Muhammad Aslam et Mickaël, dénoncent une « décision inique et discriminatoire » en ce qu’elle désavantage prioritairement les minorités ethniques. Emmené par Aslam, un groupe de douze locataires a attaqué en justice le ministère des Transports et du Logement, chargé de faire appliquer la loi.


Pour Janni Milsted, une locataire de 82 ans, « le coup est d’autant plus dur qu’il nous est porté par la gauche, enfin, la soi-disant gauche ». En effet, depuis la démission de Lars Løkke Rasmussen, en juin 2019, le nouveau gouvernement social-démocrate, emmené par la Première ministre Mette Frederiksen, a opéré un nouveau tour de vis en la matière.


Outre un durcissement de l’accès à la naturalisation, la majorité de gauche a multiplié les propositions chocs, comme l’externalisation des demandes d’asile à Kigali, au Rwanda. Alors, autant dire que le volet logement du “paquet ghetto” ne lui pose pas de cas de conscience. Porte-parole du gouvernement sur les questions d’immigration et d’intégration, le député social-démocrate Kasper Sand Kjær n’y voit pas de contradiction : « Parce que nous sommes attachés aux valeurs d’égalité et de liberté, nous ne pouvons tolérer la constitution d’enclaves à forte concentration d’immigrés non occidentaux. Le cas échéant, l’intégration en souffre et le risque de développement de sociétés parallèles augmente. »


Des explications qui ne convainquent pas les requérants de Mjølnerparken. Reste que cette politique bénéficie d’un large soutien dans l’opinion. Pour Pierre Collignon, journaliste au quotidien de centre droit Berlingske, les Danois ne voient pas dans cette politique une quelconque forme de discrimination mais, au contraire, « un modèle où l’on tente de mélanger la population afin d’assurer une meilleure intégration ».


Au pied des immeubles de Lundtoftegade, une cité autrefois sensible de Nørrebro, on se félicite globalement de cette politique. En 2019, ces quatre barres d’habitations ont été enlevées de la liste des ghettos. « Certaines personnes ont été expulsées en raison des délits commis par leurs enfants, d’autres parce qu’elles ne cherchaient pas d’emploi. Certes, c’est très strict, mais au moins, tout est calme aujourd’hui », affirme Oumar, un habitant du quartier. Sa seule crainte, du reste, partagée par ses voisins, est que l’on se contente de déplacer le problème.


« Il est encore trop tôt pour juger de l’efficacité de ce programme », estime la députée conservatrice Katarina Ammitzbøll, membre de la majorité qui a voté cette loi en son temps. Aujourd’hui dans l’opposition, elle demeure convaincue que cette politique « va dans le bon sens ».


Il en est un pour qui elle ne va pas assez loin, Rasmus Paludan, un avocat suédo-danois qui s’est fait une spécialité de brûler le Coran dans des quartiers à forte concentration de population musulmane. Ce qui lui vaut de vivre sous protection policière.


Une heure avant de le rencontrer dans un appartement à Nørrebro, nous avons d’ailleurs reçu la visite préventive de deux membres des services de renseignements danois. À son arrivée, le fondateur du parti d’extrême droite Ligne dure est escorté par des policiers en civil. Ils resteront dans la pièce tout au long de l’entretien. La thèse de Paludan est simple : « Au Danemark, la liberté d’expression est un principe fondamental qui ne souffre aucune exception. Le fait que de nombreux musulmans s’opposent aux autodafés de Coran et qu’ils se livrent à des actes de violence en représailles prouve qu’ils n’aiment pas la liberté d’expression. »


Ne pas finir comme le voisin suédois


Malgré tous ses efforts pour provoquer l’embrasement de certains quartiers, allant jusqu’à glisser une tranche de bacon dans un Coran avant de le brûler en public, Paludan a le plus souvent récolté l’indifférence en retour – hormis peut-être lors de ses deux “performances” à Mjølnerparken, en 2018 et 2019. « Il est un peu considéré comme le fou du village. On a appris à l’ignorer. D’une certaine manière, il a rendu un service précieux à la liberté d’expression. En effet, on s’est aperçu que même la plus extrême forme de blasphème doit être acceptée », explique Pierre Collignon.


Les Danois croient d’autant plus à la pertinence de leur modèle qu’ils ont un élément de comparaison, la Suède, ce proche voisin « auquel ils ne veulent surtout pas ressembler », poursuit le journaliste. Entre les deux pays, le pont de l’Øresund, une merveille d’ingénierie de 16 kilomètres suspendue au-dessus de la mer Baltique qui relie Copenhague et Malmö, la troisième ville de Suède. Durant le week-end pascal de 2022, cette commune de 344 000 habitants a été le théâtre de violentes confrontations entre les forces de l’ordre et des émeutiers après la venue de Rasmus Paludan. Quelques jours plus tôt, deux villes au sud-ouest de Stockholm s’étaient également embrasées au passage de l’activiste suédo-danois.


Pourtant, ici comme au Danemark, la liberté d’expression bénéficie en théorie d’une forte protection. En pratique, ce principe achoppe sur la question de l’immigration et des minorités. « La Suède est prisonnière du politiquement correct », estime le chercheur irano-suédois Tino Sanandaji. Il l’explique par la prégnance de la culture du consensus dans la société suédoise : « La plupart des gens essaient d’épouser le point de vue correct, tandis que ceux qui s’en écartent sont marginalisés », développe l’économiste. « C’est encore plus vrai lorsqu’il est question d’immigration, de race ou de genre. En la matière, le degré de censure et d’autocensure est incomparablement plus élevé que dans les autres sociétés occidentales », poursuit-il.


Un autre élément d’explication est donné par Pierre Collignon. Selon lui, là où le Danemark cultive un « nationalisme pacifique », la Suède se veut « une grande puissance humanitaire ». D’où son refus d’avoir un débat sur la politique migratoire pendant des années, ou, pis encore, son aveuglement coupable face à certains problèmes afférents.


Ainsi de l’antisémitisme musulman, à Malmö notamment, dont la virulence a été telle que de nombreux juifs ont préféré quitter la ville. « En vingt ans, notre communauté est passée de 2 500 à 500 membres », explique le chef de la sécurité de la synagogue, Roni (le prénom a été modifié). Et de dresser l’inventaire des violences commises à l’endroit des juifs de Malmö depuis le début des années 2000 : profanations de sépultures, explosifs déposés devant le centre communautaire et la synagogue, incendie de la chapelle du cimetière juif, tentative de kidnapping du rabbin en pleine rue, ou encore les nombreuses agressions de fidèles. « Dire que ces attaques sont souvent le fait de musulmans a longtemps été tabou dans les médias et la classe politique. Le récit officiel préférait les attribuer aux néonazis », souligne Tino Sanandaji. Pour Roni, les yeux de l’intelligentsia ne se sont toujours pas dessillés : « Ici, en Suède, le politiquement correct demeure étouffant. Au nom de la tolérance, on ref use de condamner l’intolérance. »


Immigration massive et intégration faible


De ce point de vue, les propos de la Première ministre suédoise, Magdalena Andersson, après les violentes émeutes d’avril marquent peut-être un tournant : « La société suédoise est désormais compartimentée en sociétés parallèles » ; « L’intégration a été trop faible tandis que nous avons connu dans le même temps une immigration massive », a-t-elle notamment déclaré. En 2015, au plus fort de la crise migratoire, la Suède a enregistré 163 000 demandes d’asile. « Ça a littéralement cassé leur système. Ils n’ont pas eu les moyens de leurs grands idéaux », constate Pierre Collignon.


Au Danemark, où l’on privilégie le pragmatisme aux ambitions morales incertaines, le malheur suédois conforte l’idée qu’une politique migratoire stricte est nécessaire. « Nous, Danois, avons choisi d’attaquer le problème à la racine avant qu’il ne s’étende comme en Suède ou comme chez vous, en France », résume Lars Løkke Rasmussen. Comme on les comprend.


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