On aura beau dire et écrire dans les heures et les jours qui viennent, la fiction d’un Israël monolithique, imperméable à toutes les fractures, insensible à tous les questionnements, cette fiction répétée à satiété en France dans les cercles qui prétendent aimer le mieux l’Etat hébreu – et qui le connaissent peut-être le moins dans sa fantastique hétérogénéité- ce fantasme donc a volé en éclats. Malgré la victoire du Likoud, il y a deux Israël, sans en oublier un troisième qui est arabe. On y avait cru, au retournement des urnes en faveur du centre-gauche : mais les ultimes manœuvres du Premier ministre ont précipité vers les urnes les derniers indécis du camp de la droite. Manœuvres, sales manœuvres vraiment : tout y est passé, de la dénonciation du « parti de l’étranger », un classique des leaders autoritaires, fussent-ils juifs, au refus martelé d’un Etat palestinien. Fallait-il tout de même que l’espoir soit grand de l’autre côté, chez les partisans de l’Union sioniste! Ce serait donc un comble que les cris de victoire entonnés par les partisans du Likoud, en Israël comme ici en France, fassent oublier cette levée en masse des électeurs centristes, de droite et de gauche, venus clamer la nécessité d’un Israël qui n’a pas grand chose à voir avec celui de leurs adversaires.
Pour l’alliée du travailliste Yitzhak Herzog, la centriste Tzipi Livni- que Marianne avait rencontrée en février dernier à Tel-Aviv- le choix était clair : « Les Israéliens doivent choisir entre le sionisme et l’extrémisme ». Ce n’est pas qu’une phrase et beaucoup plus qu’un programme : c’est une histoire nationale. Le centre-gauche est ancré dans les valeurs d’un Israël prêt à faire à nouveau le pari de l’ouverture aux Palestiniens, le pari de la justice sociale. Prêt à refuser l’ultra-libéralisme cynique et la politique de rejet des arabes israéliens, 20% d’Israël dont la plupart n’ont strictement aucune envie d’abandonner leur citoyenneté actuelle pour une citoyenneté palestinienne future. Un Israël qui considère comme une folie la rupture avec le président américain assumée par Benyamin Netanyahu venu défier le 3 mars devant le Congrès la politique d’Obama sur l’Iran. Un Israël épuisé d’être aussi seul dans un environnement terrible- celui de Daech, du Hamas et du Hezbollah- où il devrait au contraire compter sur le soutien des nations.
Deux visions de l'avenir juif
L’autre Israël est à peu de choses près l’héritier de celui qui, voici 20 ans, en novembre 1995, accusait de traitrise Yitzhak Rabin au motif qu’il voulait rendre un peu de terre contre un peu de paix. Pour avoir vécu ces heures déjà lointaines, les semaines et les heures qui ont précédé l’assassinat de Rabin, j’ai perçu d’étranges réminiscences dans les clips hallucinés diffusés à la veille du scrutin par les partisans de Netanyahu reprenant les accusations d’antisémitisme et de haine de la patrie contre l’Union sioniste. L’autre Israël n’a pas renoncé à ce discours d’exclusion qui ne vise pas seulement l’Arabe israélien mais aussi le juif accusé de ne pas en être un vrai, un pur, un dur. Aveuglement...Toutes les blessures d’une jeunesse israélienne lasse de se retrouver dans les cimetières militaires peuvent saigner, tous les experts et anciens chefs du Mossad- ils ont apporté leur soutien à Herzog et Livni- peuvent marteler que les choix géostratégiques de Netanyahou n’assurent pas la sécurité d’Israël, l’autre Israël n’entend que le « non » qui tient lieu de politique à l’actuel chef du Likoud.
Il y a, enfin, cet Israël arabe qui s’est regroupé, de bric et de broc, parce qu’il a peur. Pour se présenter comme une force unie face au dangereux extrémisme de ceux qui, tel Avigdor Lieberman, le catastrophique ministre des affaires étrangères, veulent le « décapiter ». Des propos que ne peut supporter le propre président de l’Etat, Reuven Rivlin, membre du Likoud dont je me demande s’il a vraiment voté Likoud tant il passe de temps à tenter de réparer les blessures infligées par les amis de « Bibi » à la société israélo-arabe.
Deux visions de l’avenir juif, deux visions concurrentes depuis l’aube de l’Etat, se partagent donc les urnes, les âmes, les armes. J’en ai exploré les racines historiques et religieuses dans un récent ouvrage (*). Ces deux visions ne peuvent pas cohabiter et c’est la raison pour laquelle Netanyahu a fait éclater sa coalition et déclenché des élections anticipées. On croyait l’une des deux, celle de la justice, moribonde : elle s’est au contraire relevée. Le centre-gauche n’a pas grand chose à voir, désormais, avec les aberrations anti-israéliennes du pseudo « post-sionisme », ce gauchisme qui refuse en bloc l’histoire et la construction d’un Etat douloureux. Le nouveau bloc s’inscrit au contraire dans la saga née des espérances du début du 20ème siècle. L’Union sioniste ne renie rien, elle revendique l’héritage de David Ben Gourion et c’est ce qui l’a portée, malgré tout, face à un Likoud dévoré par les pulsions de solitude et d’auto-enfermement. On espère donc que les commentaires, si généralement prompts à caricaturer la réalité de ce pays en guerre, n’étoufferont pas une fois de plus sous le globalisant label « extrémisme » la diversité des Israéliens, l’énergie qu’ont mis près de la moitié d’entre eux à tenter de sortir de l’ère Netanyahu.
* « Israël contre Israël ». L’Archipel, 2012.
Article modifié le 18/03 à 10h15
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé