Accommodements raisonnables

«Il n'y a rien de réglé», dit une juriste

Laïcité — débat québécois

La ministre de la Justice, Kathleen Weil, a présenté le projet de loi 94 à l'Assemblée nationale, hier.

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Marc Allard - (Québec) Le projet de loi déposé mercredi par la ministre de la Justice, Kathleen Weil, reflète bien la jurisprudence en matière d'accommodements raisonnables, mais est encore loin de trancher la question de la laïcité, croit la juriste Eugénie Brouillet, de la faculté de droit de l'Université Laval. Entrevue.
Q Quelles sont vos premières impressions sur le projet de loi de la ministre Weil?
R C'est essentiellement une codification des décisions qui ont été rendues par les tribunaux en matière d'accommodements raisonnables jusqu'à présent. [...] On sait qu'on va pouvoir refuser d'accommoder si l'accommodement est déraisonnable. Par exemple, des accommodements demandés qui portent atteinte aux droits des autres personnes. [...] Même chose lorsqu'une demande d'accommodement en matière religieuse porte atteinte au droit à l'égalité entre les hommes et les femmes. Ça, c'est déjà de la jurisprudence.
Q Alors, pourquoi déposer un projet de loi?
R Il y a oeuvre pédagogique, ici. Toutes ces questions d'accommodement, de contrainte excessive qu'on retrouve comme juriste, peut-être que justement d'avoir codifié la jurisprudence en matière de charte, bien ça devient peut-être un peu plus clair pour les citoyens. [...] Des décisions de tribunaux, c'est au cas par cas. Et là, c'est comme si c'est une synthèse.
Q Est-ce que le projet de loi montre que le gouvernement Charest est plutôt en faveur d'une laïcité «ouverte»?
R Oui, on peut dire ça. Si on remarque l'article 4 : «tout accommodement doit respecter la charte québécoise, notamment le droit à l'égalité entre les hommes et les femmes et le principe de la neutralité religieuse de l'État». Ça, ça veut dire que l'État ne doit pas favoriser ni défavoriser une religion en particulier. Ça peut viser par exemple des subventions à des écoles. Mais on n'est pas entré directement dans la question de la laïcité, dans le sens où une personne qui travaille dans l'administration publique, on peut lui permettre de porter des symboles religieux. [...] On a interdit aux employés de l'État de se couvrir le visage, oui, mais on s'entend qu'il y a une panoplie d'autres symboles religieux.
Q Selon vous, est-ce que le projet de loi va assez loin?
R Il n'y a pas de prise de position de principe en ce qui a trait à la laïcité. C'est un petit pas, dans le sens où le politique réagit. Mais il réagit très timidement. [...] Il n'y a rien de réglé comme tel. Il doit y avoir encore un débat dans la sphère publique. Certains ont appelé à l'adoption d'une charte de la laïcité. Le politique ne s'est pas encore mouillé véritablement sur le fond quant à toutes ces questions-là.
Q Comment le gouvernement pourrait-il aller plus loin?
R En considérant qu'il y a certaines valeurs fondamentales de la société québécoise qui pourraient constituer des justifications à des refus de demandes d'accommodement. Par exemple, la valeur de l'égalité entre les hommes et les femmes et celle de la laïcité. Le projet de loi ne va pas jusque-là.
Q Est-ce que la loi pourrait être contestée?
R Étant donné que la loi ne fait essentiellement que reprendre l'état des décisions actuelles qui sont rendues en vertu de la charte québécoise - les décisions sont à peu près les mêmes au niveau de la charte canadienne -, je ne crois pas qu'on puisse raisonnablement dire que c'est un projet de loi qui puisse être contesté et mener à une invalidation en vertu des chartes. Il peut être contesté. Mais à mon avis, il est peu probable qu'un tribunal vienne à la conclusion que ce texte-là est incompatible avec la charte québécoise et la charte canadienne.


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