Port de Montréal

Harper mêlé à des jeux de coulisses?

Ottawa, le milieu de la construction et la Ville voulaient un président favorable aux promoteurs immobiliers

L'affaire du Port de Montréal


Alec Castonguay - Dimitri Soudas a-t-il rencontré Tony Accurso ou Bernard Poulin en 2007 lorsqu'il a été question de la nomination au Port de Montréal? «Jamais», a-t-il dit. S'est-il fait promettre une somme d'argent pour nommer Robert Abdallah? «Jamais, jamais», a-t-il de nouveau répondu.
Le bureau du premier ministre Stephen Harper a-t-il été influencé par l'industrie de la construction en 2007, lorsqu'il a tenté d'imposer son candidat à la tête du Port de Montréal? Cette question a été au centre d'une journée de campagne électorale particulièrement chargée hier.
Selon les informations obtenues par Le Devoir, c'est avant tout pour transformer les terrains appartenant au Port de Montréal en vastes projets immobiliers, dans l'est de l'île, que la Ville de Montréal, l'industrie de la construction et le gouvernement Harper souhaitaient y nommer Robert Abdallah, même sous la pression. Un lucratif marché bloqué par l'ancien président du Port, Dominic Taddeo.
C'est le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, qui a d'abord lancé la bombe en début de journée, lorsqu'il a utilisé trois enregistrements compromettants mis en ligne sur YouTube dans la nuit de mercredi à hier. Le Bloc québécois affirme que son équipe de recherche a simplement «découvert» l'information sur le site Internet.
On peut y entendre deux hommes parler de la meilleure manière de nommer Robert Abdallah, un ancien directeur de la Ville de Montréal, à la présidence du Port de Montréal. L'un des deux hommes dans l'enregistrement est Bernard Poulin, le président de la firme de génie-conseil Groupe SM. Il a lui-même confirmé son identité en envoyant une mise en demeure à certains médias hier.
Selon le Bloc québécois, qui a identifié les voix, l'autre serait l'entrepreneur Tony Accurso, qui fait les manchettes depuis deux ans. Il est propriétaire entre autres des entreprises Simard-Beaudry et Louisbourg Construction, qui ont plaidé coupables à des accusations de fraude fiscale l'automne dernier.
Dans l'enregistrement abondamment cité par Gilles Duceppe en point de presse, il est notamment question de Dimitri Soudas, le directeur des communications du premier ministre Harper, et de Léo Housakos, sénateur conservateur depuis 2008 et collecteur de fonds.
Gilles Duceppe a déclaré: «On entend Bernard Poulin expliquer à Tony Accurso que: "Soudas, c'est le patron du Québec, c'est le vrai patron de Cannon. Il peut donner un ordre à Bruneau pour pousser un tel"», a récité le chef du Bloc.
Marc Bruneau était à ce moment le président du conseil d'administration du Port de Montréal, nommé par le gouvernement libéral fédéral en 2005. Lawrence Cannon était alors le ministre des Transports, responsable du Port de Montréal.
Le chef du Bloc a poursuivi en citant l'enregistrement, où Bernard Poulin dit vouloir faire appel à Léo Housakos pour convaincre son ami Dimitri Soudas. «Bernard Poulin explique que pour contacter Dimitri Soudas, il va passer par Léo Housakos: "Léo, il fait des affaires pour moi, il vient à 11h, je vais commencer à lui parler si tu veux, s'il est prêt à mettre son chum Soudas dans le coup. Son chum Soudas, il peut tordre pas mal plus fort que d'autres"», a dit Gilles Duceppe en citant la bande sonore.
À un certain moment, il est question d'une possible récompense pour M. Soudas s'il obtient les résultats escomptés et fait en sorte que Robert Abdallah prend la tête du Port de Montréal.
Dans un second enregistrement cité hier, on entend Tony Accurso et un dénommé «Frank». On affirme que le «big boss» a demandé à Lawrence Cannon de régler cette affaire, sans nommer le «boss» en question.
Il est de notoriété publique que le maire de Montréal, Gérald Tremblay, et le président du comité exécutif de l'époque, Frank Zampino, favorisaient la candidature de Robert Abdallah. Frank Zampino a déjà séjourné sur le luxueux yacht de Tony Accurso au moment où son entreprise, Simard-Beaudry, étant en lice pour l'obtention du contrat des compteurs d'eau. M. Abdallah travaillait jusqu'à récemment pour l'entreprise Gastier, qui appartient à Tony Accurso.
Pourquoi Abdallah?
Mercredi, une enquête de Radio-Canada et du Globe and Mail révélait qu'une véritable partie de bras de fer s'est jouée au Québec autour de la nomination du président du Port de Montréal, en 2007. Le Port est une agence fédérale autonome où les administrateurs sont libres de nommer le président de leur choix. Lorsque le président sortant, Dominic Taddeo, a annoncé sa retraite, trois membres du conseil d'administration devaient étudier les candidatures: Jeremy Bolger, Marc Bruneau et Diane Provost.
Au printemps 2007, ces trois administrateurs ont été convoqués par Dimitri Soudas au restaurant Le Muscadin, à Montréal. M. Soudas leur aurait alors clairement dit que Robert Abdallah était le choix du gouvernement fédéral.
La Ville de Montréal a de son côté mis beaucoup de pression sur Diane Provost, au point où elle a perdu son poste lorsqu'elle a refusé de nommer Abdallah. Elle a été réintégrée sans ses fonctions à la suite d'une bagarre judiciaire pour congédiement abusif. Après une levée de boucliers des membres du conseil d'administration, Robert Abdallah n'a pas été choisi.
Pourquoi Robert Abdallah était-il si populaire? Selon nos informations, l'industrie de la construction, la Ville de Montréal et le gouvernement Harper souhaitaient un homme favorable au développement immobilier sur les terrains du Port de Montréal, situés sur le bord de l'eau, dans l'est de la ville. Des terrains, une fois convertis en condos ou en immeubles, qui valent leur pesant d'or.
Selon nos sources, M. Abdallah était perçu comme étant plus favorable au transfert d'une partie des activités portuaires à Contrecoeur, sur la Rive-Sud, afin de vendre les terrains de l'île aux promoteurs et à l'industrie de la construction. Le président sortant, Dominic Taddeo, ne voulait pas céder un seul pied carré appartenant au Port.
Soudas nie en bloc
De passage à Terre-Neuve, la caravane conservatrice a été happée par la controverse. Stephen Harper a dit que «ces allégations sont tout à fait fausses». Dimitri Soudas a lui aussi rejeté les allégations et assuré que le bureau du premier ministre est totalement étanche aux influences extérieures. «La porte du bureau du premier ministre est fermée pour ceux qui tentent d'influencer le bureau du premier ministre», a-t-il dit.
Dimitri Soudas a-t-il rencontré Tony Accurso ou Bernard Poulin en 2007 lorsqu'il a été question de la nomination au Port de Montréal? «Jamais», a-t-il dit. S'est-il fait promettre une somme d'argent pour nommer Robert Abdallah? «Jamais, jamais», a-t-il de nouveau répondu. Il a ajouté: «Si qui que ce soit ne respecte pas la loi, je le réfère aux autorités.» Ces allégations ne sont, selon M. Soudas, que des attaques gratuites et désespérées de fin de campagne.
Le Bloc québécois a sommé Stephen Harper de dire si son bureau est perméable aux influences. «On pense que M. Soudas devrait être relevé de ses fonctions le temps de cette campagne tant que la lumière n'est pas faite», a dit Gilles Duceppe. De son côté, le chef du NPD, Jack Layton, a demandé une enquête, jugeant la situation «très inquiétante». Michael Ignatieff a demandé la démission de Dimitri Soudas. Le chef libéral a parlé de «corruption» et du fait que Soudas serait «la main droite de Harper». «On n'est plus capable de ça. C'est un mépris de la démocratie», a-t-il dit lors d'un point de presse à Outremont.
Bernard Poulin, Tony Accurso et Léo Housakos n'ont fait aucun commentaire hier.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->