Guerre de Corée : après les tapis de bombes, les mensonges ; un historien US remet les pendules à l’heure

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La dégénérescence de l’hyperpuissance US

La Corée du Nord, à l’instar de Cuba, est un pays où le temps s’est arrêté, en marge de la modernité. Un endroit où la guerre froide ne s’est jamais arrêtée, où la paranoïa est entretenue au quotidien.

La guerre froide de Corée est en train de se réchauffer. Il y a quatre mois, un navire de guerre de Corée du Sud a été coulé. Une équipe internationale d’enquête dirigée par la Corée du Sud, a conclu que la Corée du Nord en était responsable. La semaine prochaine, les USA et la Corée du Sud entameront des manœuvres navaless à grande échelle au large des côtes de la péninsule coréenne et du Japon ; une véritable démonstration de force.
Le monde entier regardera, et voici un livre dont les décideurs US espèreront sans doute qu’il ne le lira pas : « La guerre de Corée », de Bruce Cumings, une puissante étude révisionniste de l’histoire de l’intervention US en Corée. Sous son titre anodin, le livre de M. Cumings est une attaque en règle et décoiffante contre le comportement moral des USA pendant la guerre de Corée, un conflit dont il dit qu’il est mal connu, quand il l’est. Ce livre contextualise l’anti-américanisme réflexif des dirigeants de la Corée du Nord en le remettant avec sympathie dans son contexte historique.
Bruce Cumings est le directeur du département d’histoire de l’université de Chicago, et l’auteur du livre « Les origines de la guerre de Corée », une enquête respectable en deux volumes. Dans son nouveau livre, un condensé de son érudition et de celles d’autres historiens, il balaie une série de mythes qui entourent cette guerre. Il commence par critiquer le travail de David Halberstam.
M. Cumings, qui admire les écrits d’Halberstam sur le Vietnam, vole dans les plumes de « L’hiver le plus froid », le livre d’Halberstam sur la guerre de Corée, publié en 2007. Ce livre, affirme-t-il, fait toutes les erreurs classiques des historiens populaires US à propos de cette guerre peu comprise.
Le livre d’Halberstam fait partie de ceux qui “ne font presque preuve d’aucune connaissance sur la Corée ou son histoire » et « ne citent que deux ou trois noms coréens », écrit Cumings. « Halberstam mentionne le gouvernement militaire US de 1945 à 1948, qui a fortement façonné l’histoire post-guerre de la Corée — dans une seule phrase », ajoute-t-il. « Il n’y a absolument rien sur les atroces massacres de cette guerre, ou sur les campagnes de bombardement incendiaire organisées par les USA ». Et vlan.
Les USAméricains doivent oublier l’idée, explique-t-il, selon laquelle la guerre de Corée a été une histoire “discrète, limitée”, qui a commencé en 1950, lorsque les USA sont intervenus pour aider à expulser le Nord communiste du Sud de la Corée, et qui a pris fin en 1953, lorsque la guerre s’est enfoncée dans une impasse. Les USA ont réussi dans leur stratégie d'endiguement (containment) en établissant la zone démilitarisée d'une largeur de 4 km qui coupe encore la Corée en deux, mais ont échoué lamentablement dans leur guerre contre la Corée du Nord, une tentative d'abattre le régime communiste
Bruce Cumings explique que la guerre de Corée a été une longue guerre civile, aux racines historiques profondes, dans laquelle les USA n’avaient pas à intervenir. Il souligne à quel point cette guerre a été « affreusement sale ». En termes de massacres de civils, il déclare que « notre allié officiellement démocratique a été le pire agresseur, ce qui contredit la propagande US qui dépeint les Coréens du Nord comme de diaboliques terroristes ».
Il compare le bombardement aveugle de la Corée du Nord par les USA à un génocide. Il écrit que les soldats US ont pris part, ou asssisté, à des atrocités civiles peu différentes de celles de My Lai. Une enquête officielle est nécessaire, ajoute-t-il, pour qu’une guérison puisse seulement débuter. (Il écrit aussi que cette guerre, durant laquelle environ 37 000 soldats US sont morts, mérite un monument aussi imposant et sérieux que le mémorial de Maya Lin pour le Vietnam).
La longue animosité entre la Corée et le Japon fait partie des choses les plus importantes à comprendre à propos du comportement de la Corée du Nord, passé comme présent. Le Japon a colonisé la Corée en 1910, avec la bénédiction des USA, et a remplacé la langue coréenne par le japonais. Le Japon a humilié et brutalisé la Corée de multiples façons. (Durant la seconde Guerre Mondiale, l’armée japonaise a utilisé des dizaines de milliers de femmes coréennes comme esclaves sexuelles, appelées « femmes de confort »). À propos de cette histoire, Bruce Cumings écrit : « Ni la Corée ni le Japon ne s’en sont jamais remis ».
La Corée du Nord, virulemment anti-Japon, demeure amère et craintive vis-à-vis de ce pays, comme vis-à-vis des USA. Elle fera tout ce qu’elle peut pour rester hors des pattes de la Corée du Sud, dont les dirigeants ont des relations historiques de longue date avec le Japon.
Dans “La guerre de Corée”, Bruce Cumings détaille les atrocités commises par la Corée du Nord, et reconnait que “les pratiques politiques actuelles de la Corée du Nord sont condamnables”. Mais il explique que nous considérons ce pays avec les lunettes de « l’intolérance orientaliste », ne voulant voir que ses qualités morbides. Nous qualifions à tort ce pays de stalinien, affirme-t-il. « Rien ne prouve que la Corée du Nord fasse preuve d’une violence de masse contre des classes entières de gens, ou qu’elle commette des « purges » de masse si caractéristiques du stalinisme », écrit-il.
La partie la plus éclairante de “La guerre de Corée” décrit le bombardement à saturation de la Corée du Nord par les USA. « Ce que presque aucun USAméricain ne sait ou ne se rappelle », écrit Bruce Cumings, « c’est que nous avons bombardé le Nord en tapis pendant trois ans, sans pratiquement aucun égard pour les pertes civiles ». Les USA ont largué plus de bombes sur la Corée (635 000 tonnes, ainsi que 32 557 tonnes de napalm) que durant toute la guerre du Pacifique. Notre logique semblait être, explique-t-il, que « ce sont des sauvages, et qu’ainsi, nous avons le droit de faire pleuvoir du napalm sur des innocents ».
“La guerre de Corée” comporte son lot de phrases maladroites, et M. Cumings commet au moins une erreur en parlant de l’essai de Michael Herr intitulé “Dispatches”, publié en 1977, comme d’un roman.
Mais ce petit livre pourra rappeler à certains lecteurs le livre “Wartime” de Paul Fussell, une attaque acerbe de certains mythes rassurants qui entourent la seconde Guerre Mondiale. La prose de Bruce Cumings, dans ses meilleurs passages, rappelle le style aiguisé de Fussell.
Témoin du carnage, ce passage du début du livre “la guerre de Corée”: “Nous assistions à une guerre du Vietnam avant même de connaître le Vietnam —des niaks, du napalm, des viols, des prostituées, un allié non fiable, un ennemi vicieux, des GI essentiellement non préparés qui combattaient dans une guerre que leurs généraux ne comprenaient qu’à peine, des fraggings* d’officiers, un mépris pour les civils qui-ne-savient-rien au pays, des batailles diaboliques indescriptibles même pour les proches, des communiqués de presses publiés par le QG du Général Douglas MacArthur apparemment rédigés par des comiques ou des fous furieux, la prétention d’apporter la liberté à une dictature sordide dirigée par des laquais de l’impérialisme japonais ».
Cette année (2010) correspond au 60ème anniversaire du début officiel de la guerre de Corée. Même avec tout ce recul, écrit Bruce Cumings, il y a toujours de nombreux faits déplaisants que les USAméricains n’ont pas appris sur cette guerre, « des vérités que la plupart des USAméricains ignorent et ne veulent peut-être pas savoir, des vérités parfois si choquantes qu’elles sont dures à digérer pour l’ego US ». Son livre est une pilule amère, un rectificatif qui donne à réfléchir.


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