Vingt ans après son décès, nous sommes toujours nus, livrés en pâture à des élites qui se font un devoir de nous emmurer vivants dans leurs citadelles numériques.
Le poète Gaston Miron nous a quittés le 14 décembre 1996 en emportant avec lui ce désir de libération qui est un peu la marque de son œuvre. Que reste-t-il de cet héritage d’un poète qui se voulait proche du commun des mortels ?
Gaston Miron demeure présent parmi nous, les patriotes et les damnés d’une nation condamnée à une improbable naissance. Rejeton d’une lignée de portageurs et de braconniers, le poète appelle de ses vœux la renaissance d’une terre laissée en jachère par les puissances coloniales qui ont jeté leur dévolu sur le Québec. Véritable parturiente d’une conscience politique assumée, Miron a magnifié la langue parlée de nos ancêtres, les Canadiens français.
Qu’il nous soit permis de saluer ce camarade du verbe, grand marcheur devant l’éternel et visionnaire malgré son désir d’humilité :
« pays
toi qui apparais
par tous les chemins défoncés de ton histoire
aux hommes debout dans l’horizon de la justice
qui te saluent
salut à toi territoire de ma poésie
salut les hommes et les femmes
des pères et mères de l’aventure. »
C’est en 1970 qu’est édité L’Homme rapaillé, un volumineux recueil de poésie qui sera traduit en de nombreuses langues. Toutefois, avant de prétendre à l’universalité, la langue du poète s’est déliée pour que les colonisés prennent, enfin, la parole. Littérature du quotidien, témoignant des embâcles langagiers qui empêchaient le peuple d’exprimer son vécu et ses rêves, cette poésie est déchirée de part en part, désireuse de traduire la réalité d’un peuple illettré tout en s’efforçant de ciseler une langue enfin maîtrisée. À l’instar d’un Pablo Neruda, Gaston Miron tisse une immense tapisserie, sorte d’immortel chant des patriotes qui tente de faire le pont entre la tradition orale des ancêtres et une modernité qui efface tout sur son passage.
Vingt ans après son décès, nous sommes toujours nus, livrés en pâture à des élites qui se font un devoir de nous emmurer vivants dans leurs citadelles numériques. Pourtant, l’appel du large résonne à nouveau dans nos poumons et nos cœurs de citoyens en quête de devenir. Véritable best-seller, L’Homme rapaillé a été réédité un nombre incalculable de fois alors que des chansonniers et des conteurs publics s’emparent de cette parole du terroir pour réveiller les jeunes générations. Et, manifestement, le souffle passe, d’une bouche à l’autre, pour que l’urgence d’exprimer notre désir de libération ne soit point étouffée par cette indécente société de la consommation qui nous gouverne. Miron clame sa rage face à l’impuissance de l’actuelle postmodernité :
« devant les héros de la bonne conscience
les émancipés malingres
les insectes des belles manières
devant tous les commandeurs de ton exploitation. »
En 1970, durant cet automne glacial qui nous marque encore, Gaston Miron est arrêté par les forces de l’ordre qui, ayant profité de quelques attentats terroristes pour mettre en scène un « état d’urgence » factice, tenteront de calmer le jeu de la mouvance indépendantiste naissante. Miron en taule, notre paternel, Luc Perrier, entassera des tonnes de boîtes pleines d’exemplaires de la revue Liberté et d’une multitude de recueils de poèmes dans les tréfonds de la cave de la maison familiale. Il faut dire que les autorités, littéralement aveuglées par une sorte de délire paranoïaque et non satisfaites d’emprisonner une poignée d’intellectuels souverainistes, s’en prenaient même aux livres. François Truffaut, dans son film prémonitoire Fahrenheit 451, avait vu juste : la société du spectacle ne tolère plus que la mémoire collective soit irriguée par la littérature.
Il convient donc de réduire en cendres tout ce qui fondait cette passerelle intergénérationnelle si précieuse pour les peuples en devenir. Malgré tout, certains passeurs profitent du monde numérique pour attiser le feu endormi de nos désirs féconds. Parce que la littérature témoigne, toujours, de cette parole des terroirs qui constitue la substantifique moelle d’une mémoire collective qui fonde toute entreprise patriote digne de passer à l’Histoire.
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