Faute de navires, les scientifiques « incapables d'aller en mer »

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Des contrats pour la Davie !


Des scientifiques pressent le fédéral de revoir sa stratégie pour renouveler la flotte de navires consacrés à la science. « Il faut en discuter de toute urgence », disent-ils, surtout dans le contexte de la lutte contre les changements climatiques.




La Norvège, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Chine, les États-Unis : nombreux sont les pays qui peuvent compter ou compteront sous peu sur des brise-glace de recherche modernes.


Grand absent de cette liste : le Canada, qui mène ses missions scientifiques à bord de deux navires vieillissants, et dont un seul est accessible aux chercheurs universitaires.


Le cas du NGCC Amundsen est sans doute le plus connu dans la région de Québec. Le brise-glace appartenant à la Garde côtière canadienne partage son temps entre la recherche et ses activités conventionnelles de déglaçage.


Cela laisse trop peu de temps aux scientifiques pour mener à bien leurs missions. Plus de 200 jours de recherche ont été annulés depuis 2015.


La demande est d’environ 250 jours de recherche par année, dont moins de la moitié pourra être honorée cette année, soutient Louis Fortier, directeur de projet chez Amundsen Science. « Si on va chercher 120 jours, ça va être beau. »



Qu'est-ce qu'on fait, nous autres? Qu'est-ce qu'on attend pour s'équiper d'une paire de brise-glace de recherche modernes?


Louis Fortier, responsable scientifique chez Amundsen Science


Le navire peut être réquisitionné à tout moment par la Garde côtière.



Pendant ce temps, des navires consacrés à 100 % à la recherche, comme le Polarstern (Allemagne), le RV Sikuliaq (Alaska) ou le Kronprins Haakon (Norvège), offrent 300 jours aux scientifiques.


Les gestionnaires de la Garde côtière ont également un mot à dire sur les activités du brise-glace.


En 2019, par exemple, le NGCC Amundsen devait participer à une importante mission autour du Groenland.


« On n'a pas pu le faire finalement, parce que les gestionnaires craignaient que le navire puisse être endommagé », explique M. Fortier, qui déplore un effritement du leadership canadien.


Le NGCC Amundsen.Le NGCC Amundsen Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot

À ce sujet, l'océanographe observe une perte d'expertise à la Garde côtière.


« On a perdu à la fois la mémoire corporative du projet Amundsen et, maintenant, les décisions sont prises par des gens qui ont très peu d'expérience en mer. »


« Vide de 15 à 20 ans »


Pour répondre à la demande, autant locale qu’internationale, la communauté scientifique estime qu’il faut trouver une solution rapidement.


Pas question d'attendre la mise en œuvre de la stratégie de construction navale pour le renouvellement des brise-glace.


Car, d'ici à la construction des bateaux, le Canada aura accumulé des années de retard en recherche.


« Ça crée un vide 15 à 20 ans [parce qu’on n']est plus capable d’aller en mer », ajoute M. Fortier, soulignant que les besoins en recherche se multiplient, notamment dans l'Arctique. « Le secteur privé est très inquiet. »


À son avis, le Canada, bordé par trois océans, « n'a pas le choix » de faire de la recherche. « Stratégiquement, on ne peut pas prendre les résultats de recherche des autres pays. »


Deux hommes regardent des plans. Les océanographes Louis Fortier, à gauche, et Alexandre Forest d’Amundsen Science regardent les plans du brise-glace de Fednav. Photo : Radio-Canada / Benoit Roussel

Construire à l'étranger


Le chercheur de l’Université Laval a déjà proposé de faire construire des navires à l’étranger en partenariat avec le secteur privé. Une façon de réduire les délais et les coûts, selon lui. Mais la proposition n'a pas reçu de réponse d'Ottawa, dit-il.


Même mutisme concernant la conversion du brise-glace de classe polaire Aiviq, suggéré par le chantier Davie dans le cadre de son projet Resolute.


Les scientifiques en sont donc à se mobiliser partout au pays pour faire pression sur le gouvernement fédéral.


Du côté de l’Atlantique, les universités n’ont accès à aucun navire de recherche et vivent des problèmes similaires à ceux des océanographes de l'Amundsen.


Le NGCC Hudson en mer, près de côtes.Le NGCC Hudson, un des navires de recherche de la Garde côtière canadienne, a été mis en service en 1964. Photo : @DFO_Science/Twitter / Pêches et Océans Canada

L’une des rares possibilités est de mener des missions d’opportunité à bord du CCGS Hudson, un navire construit en 1962.


Ce dernier devait être remplacé (Nouvelle fenêtre), mais la construction a été retardée et n'a toujours aucun échéancier.


Douglas Wallace, océanographe à l’Université Dalhousie, croit qu’il est grand temps que le gouvernement fédéral, le secteur privé et la communauté scientifique s’assoient ensemble pour discuter de cet enjeu.


« Il faut que ça se fasse au cours de la prochaine année », affirme-t-il.


Sans remettre en question le programme de renouvellement de la flotte de brise-glace, les scientifiques espèrent trouver un moyen de combler ce vide à court terme.


« Toutes les solutions doivent être étudiées », recommande M. Wallace. Acheter, construire à l'étranger, éplucher la flotte disponible au pays ou encore convertir un navire pour la recherche, rien ne doit être exclu.


Ouverture à Ottawa


À l'aube d'une année électorale, le gouvernement de Justin Trudeau se dit ouvert à la discussion proposée par les scientifiques.


C'est ce qu'a indiqué le cabinet de Jonathan Wilkinson, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, joint par Radio-Canada.


Son attachée de presse, Jocelyn Lubczuk, a rappelé la mise en place du Plan de protection des océans, assorti d'un budget de 1,5 milliard de dollars. Or, selon les chercheurs, il serait difficile de le déployer à son plein potentiel avec la flotte actuelle.


Mme Lubcuzk a concédé qu'aucun projet n'était prévu pour répondre aux demandes de la communauté scientifique à court terme.


 




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