Et si un homme chantait "Dans la peau" ?

Tribune libre

J'aborderai aujourd’hui un sujet léger, mais évocateur d’une tendance aux deux poids, deux mesures selon le sexe, un phénomène si courant, dans notre société dite progressiste, qu’on pourrait ne plus y faire attention. Autopsie d’une chanson populaire.

C'est en 1989 que Marie Carmen envahissait la scène musicale avec la chanson et le vidéo clip intitulés Dans la peau. Refrain accrocheur, rythme syncopé, voix mordante, animale, interprète sémillante, aux mouvements de panthère, ce morceau avait tout pour devenir un hit et imposer l’artiste. Une part de son succès venait sans contredit du caractère affirmatif, très assumé, de cette amazone érogène, conquérante, déterminée à assiéger l’homme de ses désirs et à assouvir ses fantasmes les plus téméraires. Que de chemin parcouru depuis les Miladys minaudant Sugar Town !

Plus de vingt ans plus tard, j’écoutais Dans la peau à la radio. Était-ce le fait de ne pas être distrait, pourquoi pas séduit, par la sensualité de l’interprète à l’écran ? Ou le fait de savoir depuis le temps que la passion dévorante est rarement vécue avec sérénité, pour le sujet comme pour l’objet de cet état d’âme extrême ? Toujours est-il que la succession haletante des vers de ce classique du genre finit par me donner, comme il y était répété, « des frissons dans le dos ». Une question s’imposa aussitôt à moi : et si un homme chantait ça ? À la base de mes spéculations, j’ai retranscrit la chanson, en la masculinisant, bien sûr, mais en ne changeant rien d’autre.
Voyez ce que ça donne :

Dans la peau (Marie Carmen / Styve Tracy)
_ Paroles originales :

Tu peux toujours me tourner le dos
_ J’attendrai, j'ai tout le temps qu'il faut
_ Maintenant que je t'ai dans la peau
_ J'ai le droit d'avoir le dernier mot
_ Tout doux, je t'aurai
_ Partout je te suivrai
_ Comme un loup affamé
_ Je te fais prisonnière

Dans la peau oh oh oh
_ Je te promets des frissons dans la peau
_ Oh oh oh dans la peau
_ Je te donnerai ce que j'ai de plus beau

J'ai tatoué mon nom a ton dos
_ Je ferai de toi l'amoureuse la plus chaude
_ Maintenant que je t'ai dans la peau
_ Je serai le seul qu'il te faut
_ Partout je te suivrai, j'm’en fous, je t'aurai
_ Comme un loup affamé
_ Je te fais prisonnière

Dans la peau oh oh oh
_ Je te promets des frissons dans le dos
_ Oh oh oh dans la peau
_ Je te donnerai ce que j'ai de plus beau
_ Dans la peau oh oh oh
_ Je te promets des frissons dans le dos
_ Oh oh oh dans la peau
_ J'ai tatoué ton nom, j'ai tatoué ton nom

Remarquez, l’exercice aurait été pire avec Woman In Love, chantée par Barbara Streisand, mais restons francophones. Mesdames, aimeriez-vous vous sentir le centre – ou la proie - de pareilles assiduités ou ne vous sentiriez-vous pas plutôt enclines à vous inscrire à des cours d’autodéfense ? Imaginez-vous Mario Pelchat, Corneille ou mieux (façon de parler), Herbert Léonard, poussant une ritournelle aussi sulfureuse, pour ne pas dire combative ? Nos amies les féministes militantes ne trouveraient-elles pas dans chaque vers une incitation à la violence faite aux femmes, aux agressions sexuelles ? Poser la question…

Gare à la rectitude politique !

Bien qu’il ne se passe pas une semaine sans que les garçons, enfants comme adolescents, ne fassent la manchette non pas comme agresseurs, mais bien en tant que victimes d’agressions sexuelles, les femmes restent pratiquement considérées comme les seules cibles de ce fléau. Quarante ans de « sensibilisation », statistiques biaisées à l’appui démonisant l’homme, ne contribueraient possiblement pas à faire d’une version masculine de Dans la peau un numéro un au palmarès. Il est même à se demander si une chanson du même tonneau, avec une interprète féminine, pourrait aujourd’hui voir le jour, pas tant par respect pour les hommes que parce que leur reconnaître un quelconque pouvoir d’inspirer pareille passion passerait pour déplacé. En publicité, comme dans nos téléromans et télé séries, nous vivons à l’ère du faire valoir de service, insipide et dénué du plus élémentaire pouvoir de séduction.

Rêvons en couleurs et imaginons que des bonnes fées, pétries des meilleures intentions, s’indigneraient du caractère soi-disant agressant de la chanson envers les hommes. Faudrait-il aller jusqu’à la dénoncer ou pire, la bannir ? Il s’agirait là d’une alternative bien dogmatique. Dans la peau représentait en 1989 un signe des temps, reflet d’une époque où des artistes féminines affichaient le droit des femmes de vivre à fond leur sensualité sans complexes.

À notre époque où une version « épurée » du mot nigger de Tom Sawyer, de Mark Twain, vient de paraître aux États-Unis et où l’on songe à mettre Tintin au Congo à l’index pour racisme en Belgique, il ne faudrait pas en rajouter au nom de la rectitude politique. Ces œuvres étaient représentatives de la société du temps où elles furent créées. Autant bannir les films de Sergio Leone parce que Clint Eastwood y mâchouille son sempiternel cigarillo. Ces longs-métrages pourraient cependant finir par connaître pareil sort à cause de leur fort indice de testostérone ou parce que le regard assuré et frondeur d’Eastwood représenterait, aux yeux de certaines, une menace à l’identité féminine. Faudrait-il que son nom devienne personne afin de les rassurer ?

Qui osera ?

N’empêche que je n’ai toujours pas de réponse à ma question : et si un homme interprétait Dans la peau ? Un débutant verrait peut-être sa première chanson devenir la dernière. Seul un interprète populaire mais atypique pourrait faire passer la pilule. Un Éric Lapointe délinquant ? Les Trois Accords, spécialistes de l’autodérision ? Des rappeurs ? Comment réagiraient nos féministes ? À part une marche aux dix ans et une gaffe médiatique occasionnelle, la FFQ reste muette. Après un début de présidence fracassant, le Conseil du statut de la femme évite judicieusement de laisser sortir Christiane Pelchat en plein jour. Sans doute le Conseil émettrait-il un nouvel avis dénonçant l’antiféminisme de la chanson, associée à une mouvance d’extrême droite incarnée par le Tea Party. En attendant, le défi lancé aux interprètes masculins de tenter cette chanson mériterait d’être relevé, tant pour ses qualités intrinsèques que pour le pied de nez à la rectitude politique.
Alors, qui osera ?


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3 commentaires

  • Olivier Kaestlé Répondre

    17 février 2011

    En passant, je suis l'auteur de cet article. Je viens de m'apercevoir que mon nom n'apparaît pas. Je suis Olivier Kaestlé et mon adresse de courriel est : olivier.kaestle@cgocable.ca. Ce texte est également publié dans mon blog : http://olivierkaestle.blogspot.com/

  • Olivier Kaestlé Répondre

    17 février 2011

    Sans doute les hommes devront-ils se réapproprier le droit de définir eux-mêmes leurs propres balises, sans se soumettre aux diktats de la rectitude politique, comme si un réel respect des femmes se pouvait sans se respecter soi-même. Impossible. Je crois que les femmes, comme les hommes d'ailleurs, sont sensibles - et même séduites - par les hommes qui se définissent selon leurs propres bases, qui se sont trouvés. Quand ces derniers auront compris ça, alors sans doute leurs rapports avec la gent féminine seront-ils plus signifiants. Et sans doute plus authentiques...

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    16 février 2011

    «Comment réagiraient nos féministes ?»
    Si elles réagissaient, je crois que ce serait de façon assez négative.
    En fait, je pense que le féminisme québécois ne s'est pas toujours attaqué aux bonnes cibles. Et qu'aujourd'hui, de façon conséquente, beaucoup de jeunes hommes québécois ne savent pas vraiment comment se comporter en hommes dignes de ce nom, parce que la femme québécoise, depuis 20 quelques années, ne tolère pas qu'un homme québécois se comporte en homme. Enfin, sauf sous la forme de comportements à la fois cons, et stéréotypés, du genre jouer au fan de hockey qui s'énerve devant un match télévisé, avec «ses chums». Peut-êre que pour certains esprits peu développés, c'est cela qu'être un homme; remarquez que ça n'implique pas grand chose...
    Notez que, je parle ici de d'hommes ou de jeunes hommes québécois, car il arrive que la femme québécoise, cherchant un mâle plus «typique», se tourne vers l'immigrant fraîchement arrivé du Tiers Monde. Pourquoi? Pour rechercher auprès de lui, le même genre de comportements qu'elle condamnerait sans équivoque, venant d'un homme d'ici.
    Que l'on ne tente pas de me faire dire que je crois que la place de la femme est au foyer, ou autre bêtise du genre; je dis simplement, qu'au niveau culturel, il y a possiblement un nouvel équilibre à atteindre, dans notre société.