Et si nous étions républicains?

F407c7e532b2f415d42eb38cf4c80854

Les Québécois sont républicains sans le savoir comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir

Les Québécois seraient-ils des républicains qui s’ignorent ? C’est la thèse que défend le philosophe et politologue Danic Parenteau, professeur au Collège militaire royal de Saint-Jean, dans son clair et éclairant Précis républicain à l’usage des Québécois. Nous aurions, écrit-il, une manière de concevoir la société et le rôle du peuple en démocratie qui « témoigne de la présence de repères symboliques typiques du modèle républicain », mais nous assumerions mal cette pratique parce que ce modèle demeure « une théorie étrangère au Québec ». Prendre conscience de cette situation, présume Parenteau, nous permettrait de mieux nous comprendre et de mieux nous déterminer.

La grande famille de la démocratie libérale, explique le philosophe, inclut deux manières principales de concevoir la société, le pouvoir politique et la liberté : le libéralisme anglo-saxon et le républicanisme. La tradition libérale provient surtout des pays de langue anglaise (Grande-Bretagne, États-Unis, Canada) et la tradition républicaine trouve sa source dans l’expérience française. La première, continue Parenteau, « met l’accent sur les libertés individuelles », alors que la seconde « donne plutôt la prépondérance à l’idéal de peuple et de Bien commun, garant de la liberté collective ». En matière de laïcité, de citoyenneté, d’identité nationale et de souveraineté populaire, le Québec moderne se distinguerait justement du Canada en étant républicain là où ce dernier est libéral.

Accommodements

Les Québécois se sont affranchis de l’influence du catholicisme lors de la Révolution tranquille et ont exclu, par étapes, la religion du domaine public ou étatique. Ils ont opté, ce faisant, plus ou moins consciemment, pour le modèle républicain de laïcité, qui repose sur une séparation stricte entre les domaines religieux et politique. Le modèle libéral de sécularisme, lui, accepte la cohabitation des deux dans la mesure où cette dernière « se fait dans le respect du principe de la neutralité de l’État par rapport à la religion ».

Aujourd’hui, une majorité de Québécois craignent les accommodements religieux, qu’ils perçoivent comme un retour du religieux dans l’espace public. Pour eux, explique Parenteau, la religion relève du libre choix individuel. Il revient donc au croyant, dans cette logique, d’adapter sa pratique religieuse « si cette dernière entre en conflit avec les règles de tous, et non l’inverse ». Les Québécois ne sont pas peureux ou intolérants, ils sont républicains, conclut le philosophe.

Ils le sont aussi quand ils conçoivent la citoyenneté comme une double exigence. La société d’accueil doit, selon eux, fournir aux nouveaux arrivants les moyens d’apprendre la langue nationale du Québec et ses codes culturels ; en retour, ces nouveaux venus doivent faire l’effort de développer un sentiment d’appartenance à leur nouvelle communauté.

Vivre et laisser vivre

Le multiculturalisme canadien, d’inspiration libérale, conçoit la culture canadienne comme une « mosaïque de diverses cultures » et la citoyenneté comme une « modalité administrative ». L’intégration républicaine exige l’adhésion à une culture nationale. Au « laisser-vivre » libéral et multiculturel canadien, l’approche républicaine québécoise oppose un « vivre-ensemble ».

Dans ce dernier modèle, il revient à l’État d’assumer la défense et la préservation de l’identité nationale, en évolution, mais fondée sur une histoire. À l’État gestionnaire qui assure le bon fonctionnement de cette « communauté de communautés » qu’est la nation canadienne, les Québécois opposent un État national perçu « comme l’incarnation institutionnelle de ce qu’ils sont comme peuple », un État qui défend une certaine conception substantielle du Bien commun.

En matière de souveraineté populaire, enfin, le républicanisme à la québécoise s’exprimerait par un refus du gouvernement des juges non élus dépositaires des chartes et par un refus du pouvoir réservé à l’élite. Au Canada, l’établissement de la Confédération et le rapatriement de la Constitution n’ont jamais été soumis à l’approbation du peuple. Au Québec, le projet de souveraineté a donné lieu à deux référendums.

Sortir de l’irrésolution

Les Québécois, illustre Parenteau, sont donc de tendance républicaine dans un Canada libéral et « foncièrement antirépublicain ». Faut-il faire l’indépendance pour résoudre cette incompatibilité ? Le philosophe suggère, d’une certaine façon, un nouvel étapisme. La question du statut politique du Québec et celle de son régime politique sont liées. Les Québécois, pour sortir de l’irrésolution collective qui les paralyse, doivent d’abord établir dans une constitution les modalités de leur républicanisme et de leur souveraineté populaire, une démarche qui leur permettrait de clarifier et de comprendre leur manière de concevoir leur société, leur nation, et qui ferait apparaître la nécessité d’un nouveau statut politique.

« La volonté d’instituer le républicanisme au Québec ne peut exister sans remettre en cause l’ordre constitutionnel canadien, explique Parenteau. Toute mesure conçue en essayant d’éviter le terrain constitutionnel sera fatalement vaine ou risque de n’avoir qu’une portée symbolique. Une telle mesure ne ferait en réalité que cautionner le cadre canadien, illégitime par rapport à la volonté populaire québécoise. »

Le Québec doit-il d’abord être souverain pour pouvoir être républicain ? C’est plutôt en prenant conscience de son caractère républicain que le Québec pourra enfin faire librement le choix de sa souveraineté, écrit Parenteau en conclusion de ce petit essai roboratif, que tous devraient lire d’ici l’élection du 7 avril.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->