Et si le vote était très serré?

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Le lieutenant-gouverneur a un pouvoir démesuré

Les luttes s’annoncent très chaudes dans de nombreuses circonscriptions. Et si le vote était à ce point serré lundi que les deux meneurs, la Coalition avenir Québec (CAQ) et le Parti libéral du Québec (PLQ), obtenaient une égalité de sièges?


Un tel scénario ne s’est jamais vu au Québec, selon les données historiques de l’Assemblée nationale. Il faut remonter à l’élection de 1878 pour trouver un cas où un seul siège séparait les deux meneurs. Mais rien n’empêche que ce scénario d’élection très serrée, survenue au Nouveau-Brunswick la semaine dernière, ne se répète au Québec.


Si tel est le cas, c’est le gouvernement sortant du Parti libéral qui aurait la balle en main et qui devrait faire un premier choix. Soit il déciderait de gouverner en se sachant en situation de vulnérabilité, soit il laisserait son adversaire tenter l’expérience. 


«Dans un scénario d’égalité ou de quasi-égalité, il y aurait beaucoup de jeux de coulisses», explique Patrick Taillon, professeur de droit constitutionnel à l’Université Laval. Le PLQ pourrait s’allier avec d’autres partis ou tenter de convaincre des individus de passer dans son camp. Il pourrait garder le pouvoir tant et aussi longtemps que la chambre des députés lui accorde sa confiance. 


Au lendemain d’une élection, «il n’y a jamais de vide», soutient M. Taillon. C’est toujours le gouvernement sortant qui gouverne le Québec, jusqu’à ce qu’un nouveau conseil des ministres soit formé. «Si Philippe Couillard ne reconnaît pas sa défaite, on ne peut pas le forcer à partir», explique M. Taillon. Il faudrait attendre un premier vote à l’Assemblée nationale. 


Selon M. Taillon, les libéraux de Philippe Couillard auront «une décision tactique difficile à prendre» en cas d’égalité des sièges ou si la CAQ obtient seulement un ou deux sièges de plus qu’eux. S’ils s’accrochent au pouvoir, ils pourraient créer l’étincelle nécessaire pour que les partis d’opposition se liguent contre eux. 


Ils pourraient également s’incliner et laisser le pouvoir entre les mains de François Legault, qui devra tenter de gouverner avec un mandat minoritaire qui peut être périlleux. Selon M. Taillon, si les libéraux choisissent cette option, c’est qu’ils croient en leurs chances de mieux rebondir à la prochaine élection, qui pourrait être déclenchée au bout de 18 mois, par exemple. 


Lieutenant-gouverneur


Le lieutenant-gouverneur du Québec, J. Michel Doyon, pourrait aussi avoir un rôle à jouer en cas d’élection serrée, car techniquement, c’est à lui que revient le pouvoir de choisir le gouvernement. «Il y a un immense décalage entre ce que le droit formel prévoit et ce que les conventions d’usage préconisent», précise toutefois M. Taillon. 


Le Canada n’a jamais révisé sa constitution en profondeur, mais avec les années, des pratiques sont devenues la norme. Dans leur discours de fin de soirée électorale, ce sont les chefs de parti qui reconnaissent leur défaite ou leur victoire. «C’est pas du droit. Ce sont des règles politiques et ces règles-là ne sont pas codifiées», prévient M. Taillon. 


Si bien qu’entre constitutionnalistes, les avis sont nuancés sur la façon dont il faut agir en cas d’égalité des sièges. Les usages peuvent être interprétés de différentes façons. Pour M. Taillon toutefois, il serait mal vu que le lieutenant-gouverneur du Québec joue un rôle d’arbitre entre deux partis. «Il n’a pas intérêt à s’imposer, l’implication serait trop grande», juge-t-il.