Et si c'était arrivé en France?

DSK à New York


Les élites françaises, mais aussi les Français moyens, ont réagi avec stupeur et indignation au traitement que les autorités policières et judiciaires américaines ont réservé à Dominique Strauss-Kahn. Cela a révélé l'existence d'un gouffre culturel entre la France et les États-Unis.
Mais cet écart culturel n'est pas nécessairement où l'on pense. Voici un petit exercice qui permet de voir où il se situe. Il suffit de se demander ce qui se serait produit si c'était en France, plutôt qu'aux États-Unis, qu'une femme de chambre avait accusé le directeur général du FMI de l'avoir agressée. Qu'est-ce qui serait arrivé? Probablement rien.
Une travailleuse immigrée, africaine, musulmane de surcroît, qui se dit victime des écarts de comportement d'un poids lourd de la politique nationale? Ses camarades de travail lui auraient conseillé de tenir ça mort. Ses patrons du Sofitel, une chaîne d'hôtels française, l'auraient enjoint de se taire. Et au commissariat, on lui aurait demandé de circuler si elle ne voulait pas avoir de problèmes. Est-ce que j'exagère? Probablement pas.
Ce petit exercice de justice-fiction permet surtout de démontrer que la grande différence entre la France et les États-Unis, dans ce dossier précis, ce n'est pas la tolérance des Français à l'égard des habitudes sexuelles des politiciens versus le puritanisme américain, puisque ce qui est en jeu, ce n'est pas du libertinage, mais un crime sexuel. Ce n'est pas, pour la même raison, la complaisance des médias français et leur respect de la vie privée. Ce n'est pas davantage des conceptions différentes de la présomption d'innocence.
Tous ces facteurs jouent. Mais la différence la plus fondamentale, qui contribue le plus à expliquer l'indignation et l'incrédulité des Français, c'est la façon dont les systèmes de justice des deux pays traitent leurs élites.
Avec toutes les nuances qui s'imposent, il y a, aux États-Unis, une culture véritablement républicaine, qui repose sur le principe que tous les citoyens sont égaux. Un principe que l'on retrouve aussi dans la culture canadienne. Dans le système de justice américain, cela mène à vouloir traiter les puissants de ce monde comme de simples citoyens, parfois même avec une évidente lourdeur.
Le traitement réservé à M. Strauss-Kahn s'inscrit dans la même logique qui a mené le milliardaire Conrad Black en prison, qui envoie des vedettes californiennes derrière les barreaux, qui a soumis le président Clinton à un véritable tribunal d'inquisition.
L'autre république, même si sa devise prône l'égalité, n'a pas complètement rompu avec ses pratiques prérépublicaines, et reste une société de castes et de privilèges où les élites politiques ont droit, dans bien des sphères de leur vie, à un traitement de faveur, qui peut d'ailleurs les conforter dans l'idée qu'ils sont au-dessus des lois.
La stupeur qui a accueilli l'arrestation de DSK, au-delà de son impact politique, repose en grande partie sur l'étonnement à voir un VIP, un présidentiable, être traité comme un vulgaire mécréant. Derrière les appels pieux à la présomption d'innocence des politiques français, toutes couleurs confondues, se cache l'indignation que l'on n'ait pas manifesté le respect dû à son rang à un membre de leur caste.
Et tout cela se joue sur la toile de fond des difficiles rapports franco-américains. On a pu sentir une pointe de francophobie dans la couverture de certains médias américains ou dans le refus initial d'accorder un cautionnement à M. Strauss-Kahn. Et l'on perçoit un sursaut d'orgueil national dans la réaction des Français qui semblent prendre comme un affront collectif le traitement que les Américains ont réservé à l'un de leurs politiciens les plus éminents.


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