Et puis Anticosti, est-ce que c’est rentable?

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Avec des «si», on mettrait Paris en bouteille





Sans trop faire de bruit, le gouvernement Couillard a rendu publics deux nouveaux rapports de synthèse de l’évaluation environnementale stratégique (EES) sur l’exploitation pétrolière et gazière au Québec. Le premier rapport porte sur l’ensemble de l’exploitation et la consommation des hydrocarbures. Le second est spécifique à l’exploitation d’hydrocarbures sur l’ile d’Anticosti. Sans me prononcer sur l’aspect des connaissances géologiques des documents, il m’apparaît que leurs conclusions supportent deux arguments assez surprenants d’un point de vue économique qui méritent réflexion.


Le pétrole de schiste exploitable et vert ?


L’objectif de l’évaluation générale sur les hydrocarbures est notamment de dresser un bilan de la connaissance actuelle, de circonscrire les impacts environnementaux, sociaux et économiques potentiels et d’établir les bonnes pratiques réglementaires de l’industrie. À cet égard, il est intéressant de voir que le rapport considère qu’aucun projet d’hydrocarbure n’est assez avancé pour envisager une « exploitation commerciale d’envergure » (p.V).


Cependant, si l’on se fie au même rapport, une exploitation des hydrocarbures sur l’ile d’Anticosti mènerait à une augmentation de 1,4 à 4 Mteqco2, ce qui représente entre 2 et 6 % de l’ensemble des GES que nous aurions le droit de produire selon nos objectifs environnementaux pour 2020 (p.94). Ce projet reviendrait à être l’équivalent du 2e plus grand pollueur au Québec, et c’est si l’industrie prend « tous les moyens nécessaires pour atténuer, voire éliminer les impacts sociaux et environnementaux négatifs que peuvent engendrer l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures » (p. VII).


Sinon, on peut penser que cela mènera à une hausse plus importante de nos émissions. C’est là que pour l’EES, le Système de plafonnement et d’échange de droits d’émission (SPEDE) entre en compte. Pour réussir à atteindre les objectifs gouvernementaux, l’industrie devra s’adapter au SPEDE et payer pour polluer plus. Pour ce faire, elle devra acheter des crédits à des entreprises qui auront diminué leurs productions de GES. Selon ce principe, l’ensemble de la pollution sur le territoire diminuerait et il y aurait une justification éthique à produire du pétrole. Ce qui ferait du pétrole québécois un pétrole plus « vert » que les autres. Rappelons tout de même qu’au même titre que les marchés financiers, le marché du carbone est sujet aux crises et n’est pas toujours synonyme de réussite.


Considérant que, bien que nous ne connaissions pas pour le moment le niveau de GES émis par le pétrole sur l’ile d’Anticosti, et que malheureusement l’EES ne peut pas nous le fournir, il reste un pétrole non conventionnel tel que le pétrole des sables bitumineux albertains qui est 67 % plus polluant que le pétrole importé au Québec (p.5). Sans avoir la proportion équivalente, il est évident que le pétrole conventionnel reste bien plus propre que d’exploiter du pétrole sale, peu importe la caution morale qu’on tente de se donner.


Anticosti permettrait-elle l’autosuffisance ?


Le second rapport considère qu’à l’année maximale, 2050, l’exploitation d’Anticosti pourrait subvenir à 113 % des besoins en gaz naturel pour le Québec et à 9% de la consommation en pétrole (p.V). Notons que cela serait possible uniquement au « peak » de la production d’hydrocarbures d’Anticosti, ce que l’on peut évaluer à moins de 3 ans. De plus, pour rendre crédible cette hypothèse, il faut que le Québec diminue sa demande en gaz et pétrole sur base constante pendant 34 ans. Considérant que les ventes de voitures ont bondi de 5,7 % au Québec en 2015, j’ai des doutes. Bref, on est loin de l’autosuffisance.


Basé sur les conclusions d’un rapport qui prétend que 80 % de l’exploitation sur Anticosti devrait être du gaz de schiste plutôt que du pétrole, cela pourrait créer autour de 2 389 emplois sur 75 ans (p. 75) dont 50 %, seraient au Québec (p.76). Rappelons que le constat sur lequel se base l’EES a déjà été sévèrement critiqué par un comité d’experts indépendants et que des évaluations du gouvernement fédéral allaient directement à l’opposé du rapport fourni à l’EES. Il n’est donc  pas étonnant que le document synthèse sur Anticosti de l’EES conclut sa part sur les retombées économiques en statuant qu’:


« Il est prématuré de se prononcer sur la rentabilité réelle du projet. Une fois la présence de ressources confirmée et lorsqu’elles auront pu être mesurées, des études de faisabilité et des études économiques permettront d’établir les réserves de pétrole ou de gaz naturel commercialement exploitable selon les conditions économiques, techniques et réglementaires qui prévaudront » (p. 81).


Bref, les deux rapports fournis font de grands cas d'éventuelles retombées économiques ou environnementales pour le Québec des hydrocarbures. Tous deux admettent cependant qu’il est trop tôt pour pouvoir minimalement espérer leur présence rentable. Sachant que d’ici 75 ans (horizons considérés pour Anticosti), on puisse s’attendre à une diminution massive des coûts en énergie alternative et qu’une augmentation de la restriction internationale sur la pollution est à prévoir, il semble peu avisé de se lancer dans cette exploitation. Déjà, chaque million de dollars investi dans l’énergie renouvelable ou l’efficacité énergétique crée autour de 15,1 emplois alors qu’au mieux, l’industrie pétrolière en crée 6,2, il y a des choix économiquement bien plus pertinents que le Québec peut entreprendre.


 


 


 




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