Qu’est-ce qu’on attend ?

Et le français au Québec, bordel ! ...

De l'art de se tirer dans le pied

Chronique de Richard Le Hir


Tout à la satisfaction de prendre en défaut le bilinguisme institutionnel prétendu du gouvernement fédéral aux Jeux Olympiques de Vancouver, nous semblons perdre de vue la situation du français au Québec.
Observateur assidu de cette question depuis l’époque de la loi 22, puis de la loi 101 aux travaux préparatoires de laquelle j’ai d’ailleurs participé en témoignant devant la commission parlementaire chargée de l’étudier au nom de l’Association des conseils en francisation dont je faisais partie du conseil d’administration en qualité de représentant d’une grande multinationale visée par cette législation*, je ne peux que déplorer la dégradation d’une situation que ces deux lois étaient censées corriger, la première à la « sauce » libérale, et la seconde à la « sauce » péquiste.
Adoptée par le gouvernement libéral de Robert Bourassa, la loi 22 tentait de répondre à l’indignation qui s’était emparée des Québécois devant l’insuffisance de la loi 63, adoptée, elle, par le gouvernement de l’Union Nationale de Jean-Jacques Bertrand pour tenter de régler (très maladroitement) la question de la langue d’enseignement soulevée par les émeutes de St-Léonard. Jugée encore trop timide par une fraction importante de la population, elle allait contribuer à la défaite du Parie Libéral en 1976, et à l’avènement du Parti Québécois.
Comme on le sait, la loi 101 fut adoptée en 1977, et ce geste demeurera à jamais comme un des temps forts de l’émancipation du Québec. Mais ce que la plupart des Québécois savent beaucoup moins bien, c’est tout le charcutage que cette loi a subi aux mains des tribunaux, et notamment de la Cour suprême, son dernier jugement à ce sujet remontant au mois d’octobre 2009.
Voici ce qu’écrivait d’ailleurs Marie-Andrée Chouinard, éditorialiste au Devoir à ce sujet au lendemain de la décision de la Cour suprême :
« Dans un jugement cinglant pour le Québec, la Cour suprême du Canada a écorché une fois de plus la Charte de la langue française, jugeant inconstitutionnelle cette loi 104 imaginée en 2002 pour mettre fin au subterfuge des écoles-passerelles. En tout respect pour le plus haut tribunal du pays, dont le verdict fait d'autant plus mal qu'il est unanime, la lecture proposée par les juges non seulement néglige l'esprit de la loi 101, mais en plus minimise les risques réels associés à l'affaiblissement de la Charte.
Lorsqu'en 2002 le gouvernement de Bernard Landry a fait adopter la loi 104 — sous l'assentiment unanime de l'Assemblée nationale —, c'était pour colmater une brèche dans la loi 101, découverte à la faveur de la commission Larose sur le français. Un examen statistique des inscriptions dans les écoles privées non subventionnées de langue anglaise confirme alors que des parents utilisent cette voie pour accéder ensuite au réseau public anglophone.
«Une astuce pour contourner la loi 101», statuait la commission Larose, qui souligne la popularité grandissante de ce détour par l'école privée et insiste, avec raison, sur la nécessité de mettre fin à cet «effet pervers». Mais la Cour suprême estime que même si l'objectif du Québec est noble et sa volonté de solidifier sa Charte louable, «les moyens choisis ne sont pas proportionnels aux objectifs recherchés».
Cette dernière décision venait à la suite de bien d’autres, toutes ayant pour effet de réduire la portée de la loi 101, dite « Charte de la langue française », et d’en faire une peau de chagrin.
S’il est nécessaire d’imputer aux tribunaux leur juste part dans cette situation, il serait inconvenant et malhonnête de ne pas mentionner le rôle que le Gouvernement du Québec, tant sous les péquistes que les libéraux, a lui-même joué dans l’érosion de la Charte de la langue française.
Convaincu que le problème de la langue était confiné à Montréal, à la question des écoles et aux lieux de commerce et de travail, et qu’il avait enfin réglé le problème, le Parti Québécois n’a pas réalisé à quel point le comportement du gouvernement lui-même était susceptible d’avoir des répercussions dans l’usage du français. Il ne suffisait pas de décréter le français seule langue officielle, il fallait s’assurer que le gouvernement lui-même enverrait un message clair à tous ses administrés en pratiquant ce qu’il prêchait, ce que le PQ a négligé de faire, tant il subissait d’assauts pour le peu qu’il faisait.
Pour leur part, les libéraux, sous la pression de leur base électorale dont on sait qu’elle se compose d’une minorité de francophones, ont cherché par tous les moyens à atténuer les « irritants » que constituent pour leur clientèle l’obligation d’utiliser le français, et plus cette clientèle obtient de concessions, plus elle en demande, au point de revendiquer des droits qui n’existent même pas.
Aujourd’hui, il circule présentement sous le manteau une prolifération d’exemples où diverses administrations (telles la SAAQ, la RAMQ, la Direction de l’état civil, etc.) relevant de l’autorité du Gouvernement du Québec, et notamment celles qui ont la plus grande quantité de rapports avec les administrés, se comportent envers eux comme s’ils relevaient du gouvernement fédéral et qu’ils appliquaient la Loi fédérale sur les langues officielles plutôt que la Charte de la langue française.
On ne s’en surprendra guère, un grand nombre de Québécois, et une forte proportion des immigrants au Québec, ne savent même plus que le français est la seule langue officielle au Québec, s’ils l’ont jamais su.
Si jamais le statut du français au Québec a revêtu une importance critique, c’est bien maintenant, dans le contexte du débat sur l’intégration des immigrants. En effet, la connaissance du français, la capacité de l’utiliser, et la disposition à le faire, sont les seuls critères ne remettant pas en cause les droits de la personne qui nous permettent d’exercer un certain contrôle sur notre immigration, et de nous assurer que nous accueillons des personnes capables de s’intégrer à notre société sans remettre en question nos valeurs collectives, et au premier chef notre langue et notre culture.
On opposera à ce raisonnement le fait que ces critères ne nous mettent pas à l’abri d’une immigration provenant de pays francophones à traditions culturelles et religieuses fort différente des nôtres. C’est tout à fait juste. Cependant, dans ces cas-là, nous disposons de certains arguments très valables et d’une intégrité irréprochable pour endiguer les débordements.
Ainsi, s’agissant de la burqa, j’ai déjà eu l’occasion de citer dans un commentaire précédent le témoignage du philosophe et juriste Henri Peña Ruiz devant la Commission Gérin de l’Assemblée nationale française justement chargée d’étudier cette question. Intitulé « De l’aliénation voilée à l’enfermement communautariste : Pour une politique active d’émancipation » (Vigile, 15 janvier 2010), ce témoignage montre comment la burqa est un symbole d’aliénation :
« Le voile intégral n’est pas analysable d’abord comme un simple signe religieux. Il est tout à la fois un instrument et un symbole d’aliénation. Aliénation de la personne singulière à une communauté exclusive qui se retranche de l’ensemble du corps social en entendant imposer sa loi propre contre la loi commune. Et ce, paradoxalement, au nom même de la démocratie que rend possible cette loi commune ! Il est en même temps un instrument de soumission de la femme qu’il dessaisit de sa liberté, de sa visibilité assumée, de son égalité de principe avec l’homme. Aliénée à une tenue qui la cache, la femme ne peut plus exister comme sujet libre, se montrer en sa singularité. Se montrer, ce serait nécessairement provoquer l’homme, comme si c’était à elle d’éviter toute incitation et non à l’homme de savoir tenir et retenir son désir.
[...]
Le fait que certaines femmes, dit-on sans vraiment le savoir, consentent à leur aliénation ne légitime pas celle-ci. Il ne s’agit certes pas de forcer les femmes à s’émanciper. Mais au moins peut-on faire en sorte que les ressorts de l’aliénation ne soient plus consacrés par la puissance publique. On y reviendra. Quant à ceux qui refusent l’interprétation du voile intégral comme signe et instrument, et se réfugient derrière la pluralité supposée de ses sens, on ne peut admettre cet étrange relativisme qu’ils avancent pour laisser en l’état les ressorts de l’aliénation ».
La preuve est donc faite que le recours combiné à la langue et à certains arguments au caractère irréprochable peut assurer la primauté de notre culture, de nos traditions, et de nos valeurs sur notre territoire.
Qu’est-ce qu’on attend pour s’en prévaloir ?
* Imperial Oil Limited (Esso). Rebaptisée Imperial Oil Limited au moment de l’adoption de la loi 101 dans des circonstances que je relate dans un commentaire paru dans le Devoir du 21 avril 2008 sous le titre « Situation du français au Québec - Rien n’est acquis », et accessible sur Vigile à l’adresse http://www.vigile.net/Situation-du-francais-au-Quebec


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