Et Jean Charest, Mme Charbonneau?

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Si l'on veut vraiment aller au fond des choses...

Mes collègues Kathleen Lévesque et Daphné Cameron vous ont parlé de cette photo, le week-end dernier, dans leur grand portrait de Tony Accurso: le magnat de la construction faisant l'accolade à Jean Charest. La Commission l'a diffusée, hier.
Elle date de 2001. Jean Charest était chef de l'opposition officielle. C'était avant son élection comme premier ministre en 2003.
Si Tony Accurso est accusé au criminel dans plusieurs affaires de corruption, aucune n'implique l'ancien premier ministre. Mais elle symbolise tout de même une époque, celle où Jean Charest est arrivé à la tête du PLQ, celle où l'argent est devenu une valeur très importante au parti.
Ce n'est pas moi qui le dis. C'est Robert Benoit, président de PLQ (1985 à 1989) et député d'Orford (1989 à 2003), qui a raconté en juin à la Commission comment l'arrivée de Jean Charest au PLQ en 1998 a marqué un tournant inédit du parti vers l'argent et les gros bailleurs de fonds.
Le PLQ s'est éloigné d'activités de financement «plus populaires», comme les soupers spaghettis à contributions modestes, a raconté le témoin Benoit, pour organiser davantage d'activités ciblant de grands donateurs.
Au début de 2003, juste avant l'élection où il ne se représentera pas, M. Benoit se sent de plus en plus pressé d'amasser de l'argent: «Et là, il y a un nom qui commence à circuler, qui m'énerve, qui me fatigue, et c'est le nom de Marc Bibeau.»
Bibeau est le président de la Commission des finances du PLQ, en 2003. Il est apparu avec Jean Charest, a dit M. Benoit, qui n'avait jamais croisé M. Bibeau avant, au PLQ.
C'est M. Bibeau, haut dirigeant de Shokbéton, qui, en 2003, avant l'élection, rencontre les députés pour leur dire que l'argent, c'est important. «Si tu veux te présenter à la prochaine élection, il faut que tu ramasses de l'argent», dit M. Bibeau à M. Benoit, selon le témoignage de ce dernier.
Pour ce vieux routier du PLQ, cette demande était inédite, dans le parti qu'il avait servi depuis l'époque de Claude Ryan. Robert Benoit a relaté la suite de l'échange à la Commission:
- Je me présente pas à la prochaine élection.
- Oui, a alors répondu M. Bibeau, mais si tu veux qu'on te nomme quelque part...
- Si vous voulez me nommer quelque part, vous me nommerez, puis si vous voulez pas me nommer, vous me nommerez pas, a répondu M. Benoit, selon son témoignage.
Après 2003, M. Benoit a continué à côtoyer d'anciens collègues qui étaient désormais députés dans le gouvernement. À cause des objectifs de financement du PLQ, a-t-il témoigné, certains lui disaient qu'ils n'étaient pas certains d'avoir bien fait de se représenter.
Cette nouvelle culture de l'argent sous Jean Charest a poussé les députés et ministres libéraux à agir en quêteux. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Pierre Paradis, alors simple député de Jean Charest, lors d'une entrevue qu'il m'a accordée en 2011 aux Francs-tireurs. Sur l'obligation pour les ministres d'amasser 100 000$ par année pour le PLQ, M. Paradis m'avait dit ceci: «Comme ministre, quand tu dois te déguiser en quêteux, ça te pose dans une situation inconfortable.»
Je regarde la photo de MM. Accurso et Charest. Elle symbolise pour moi le début de cette époque où Jean Charest a demandé à ses députés et ministres - via Marc Bibeau - de devenir des quêteux. Cette quête, fatalement, les libéraux la faisaient auprès de donateurs qui avaient parfois beaucoup à gagner d'une décision gouvernementale favorable.
Que Jean Charest refuse de répondre en personne à des questions sur cette photo (il a fui ma collègue Kathleen Lévesque, avant-hier, au lancement d'un livre sur Brian Mulroney), c'est son droit.
Mais je ne comprends pas qu'une commission d'enquête qui a mis Rambo Gauthier sur le gril pendant des jours et des jours n'ait pas encore convoqué Jean Charest et Marc Bibeau pour les faire témoigner sous serment.
La commission Charbonneau explore les jeux de coulisse qu'on retrouve aux intersections créées par l'argent et le politique. Des années de reportages médiatiques, de dénonciations policières et de témoignages à la commission Charbonneau mènent à cette question: sous Jean Charest, le pouvoir de l'État était-il utilisé comme une carotte pour inciter des gens à faire de gros chèques au PLQ?
MM. Charest et Bibeau pourraient nous éclairer sur le pouvoir de l'argent au PLQ, de 1998 à 2012. Pourtant, Jean Charest et Marc Bibeau n'ont pas encore été convoqués. C'est absolument incompréhensible: ce sont eux qui ont favorisé ce climat de tout-au-fric décrit par Robert Benoit.
Le temps commence à manquer à la commission. Déjà que les questions des procureurs commencent à devenir synonymes de mièvrerie, s'il faut en plus que la Commission présidée par France Charbonneau ait peur d'inviter les vrais hommes de pouvoir à témoigner à sa barre, je me demande ce que le rapport final va nous apprendre que nous ne savions pas déjà depuis 2009, grâce aux reportages médiatiques.
La commission Gomery, en son temps, n'a pas hésité à convoquer un ancien premier ministre (Jean Chrétien) et un premier ministre en fonction (Paul Martin) pour qu'ils expliquent sous serment ce qu'ils savaient ou pas.
On peut même se demander pourquoi la CEIC n'a pas convoqué Claude Blanchet, homme d'affaires et mari de Pauline Marois, pour expliquer ce «deal» évoqué par Michel Arsenault, quand le président de la FTQ était sous écoute électronique.
Bref, je suis curieux, Mme Charbonneau: pourquoi ne pas viser aussi haut que John Gomery?


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