Depuis la publication de leurs étonnantes « normes de vie », les édiles municipaux de la petite localité de Hérouxville, en Mauricie, font face à deux types de réactions.
Les premières, venues d’en haut, réprimandent avec hauteur ces malheureux qui ne savent rien de la ville, du multiculturalisme, de la tolérance et de la pensée correcte. Tous les qualificatifs ont en effet été employés pour décrire ces ruraux titulaires d’une « pensée inadéquate » (Première chaîne de Radio-Canada), négative, brutale, naïve, « surréaliste, grotesque, ubuesque » (La Presse).
Les secondes réactions, venues d’en bas, matérialisées sous la forme de milliers de courriels reçus à Hérouxville et dans les médias, saluent le franc-parler de ces braves gens.
Il est exact qu’on compte assez peu de talibans à Hérouxville. Ce qu’on y trouve, par contre, c’est l’inquiétude – fut-elle vécue par procuration loin des tours montréalaises – face à des changements qui, à tort ou à raison, sont perçus comme menaçants.
On peut en rire, mais ce n’est pas une bonne idée.
Le Québec expérimente, aujourd’hui, ce que d’autres nations ont expérimenté, hier. C’est-à-dire l’accueil d’une immigration qui n’est pas de souche européenne et judéo-chrétienne, porteuse d’un bagage culturel distinct se fondant avec difficulté dans le décor – et dans le décor géopolitique, de surcroît. Il y a aussi le nombre, ou même le nombre virtuel : l’espace psychologique, juridique, médiatique, que cette immigration semble occuper, parfois malgré elle.
Or, à partir d’une certaine masse critique de fibres nouvelles, le tissu social se met à craquer : c’est une fatalité qu’il est futile et dangereux de nier.
En France, notamment, la géographie et le passé colonial ont fait en sorte que le pays a expérimenté le phénomène bien avant nous. Au départ, les élites, y compris les politiciens traditionnels, ont réagi de la même façon qu’ici : en grondant ceux que les changements effraient ou en les ignorant. (Il faut revoir le film La crise, de Coline Serreau, qui, en 1992, dressait le portrait grinçant d’une certaine aristocratie nantie de la pensée adéquate et donneuse de leçons…)
Ce n’était pas une bonne idée.
Cela allait pousser Jean-Marie Le Pen au deuxième tour des élections présidentielles de 2004, puisque lui, non seulement ne négligeait pas l’affaire, mais l’exploitait cyniquement. Cela allait amener le réveil brutal sonné par les émeutes de la banlieue, en 2005. Cela allait pérenniser le problème : hier, justement, le Haut Conseil de l’intégration déposait une Charte de la laïcité vue par Le Monde comme « un échec du vivre ensemble, (cette) fracture civique qu’une charte ne suffira pas à réduire ».
Le Québec ne possède pas le cadre laïque qui devrait pourtant permettre à la France de bien gérer ces frictions. Par contre, nous n’affrontons pas non plus des problèmes de la même ampleur.
Bref, il n’y a pas encore de drame. Mais il faut porter attention.
La dernière ritournelle à la mode de chez nous, création d’un policier de Montréal et disponible sur Internet, fait monter d’un cran, de façon terriblement malsaine, l’expression de l’inquiétude populaire. «Y’a des limites à s’faire chier dessus / Par une minorité de trous de c…», entend-on notamment.
Pour que ne se multiplient pas de tels poèmes, l’opinion dite éclairée serait bien inspirée de ne pas snober les préoccupations des prolétaires de Hérouxville et de sa vaste banlieue.
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