Par André Parizeau (*)
Dimanche, la droite a été la grande gagnante des élections législatives en Espagne. Les grands médias d'ici ont martelé un et un seul message, soit que la population en Espagne a viré en masse à droite. Nul ne peut nier la percée des conservateurs du Parti populaire. Sauf qu'il n'y a pas que cela. Complètement à gauche, les communistes et les écologistes, qui étaient regroupés sous une mème étiquette, soit Izquierda Unida (IU), ont aussi fait une percée remarquable. Eux qui ne pouvaient compter que sur 2 députés au moment de la dissolution de la Chambre, en auront maintenant 11 ! Soit cinq fois plus !
Durant les élections, un des principaux slogans de cette coalition était : "Rebelle toi; c'est toi qui décide !".
Même si la droite peut effectivement pavoiser, une fois encore, et au moins pour le moment, peut-être sommes-nous enfin en train de vivre une remontée durable d'une véritable gauche politique, débarrassée du carcan trop longtemps imposé par le vieux Parti socialiste, lequel commence effectivement à être pas mal dépassé par les événements, autant que par la nécessité d'une politique pas mal plus radicale.
Dans un pays qui a jadis vécu de très dures luttes contre le fascisme et pour le triomphe d'une véritable démocratie pour le peuple, du temps de la République espagnole des années 30, voilà une excellente nouvelle.
Malgré un système électoral qui défavorise les plus petites formations politiques, présentant des candidats et des candidates à l'échelle de tout le pays, un peu comme ici, les communistes et les Verts, regroupés sous l'étiquette d’Izquierda Unida, auront désormais le statut de groupe parlementaire, ce qu'ils n'avaient pas jusqu'à là. Après des années d'efforts pour développer une alternative crédible face aux vieux partis, la patience semble enfin commencer à donner des résultats.,
"Nous n'allons pas devenir une institution. Nous allons continuer dans la rue", assurait dès le dimanche, Cayo Lara, le candidat d’IU à la présidence du gouvernement. Avec 700 000 voix en plus, par rapport aux précédentes législatives de 2008, Izquierda Unida qui comptait deux députés jusqu'à présent, a ainsi réussi à se frayer un chemin et occupera onze sièges au Congrès. "Vous ne pouvez pas imaginer comme cela fait plaisir que la joie entre, de temps en temps, dans la maison des pauvres", a ajouté Coyo Lara. Une percée qui fait écho au mouvement des Indignados, né il y a six mois en Espagne et sonne comme un avertissement aux grands partis dont la crédibilité s'effrite sous l'effet de la crise.
C'est aussi une percée qui fait écho à de multiples manifestations et grèves enclenchées par les syndicats au cours de la dernière année.
En nombre de voix, Izquierda Unida est maintenant la troisième formation espagnole en importance, juste derrière les socialistes et le Parti populaire qui vient de prendre le relais de ces derniers au pouvoir.
Sous l'effet des nouvelles mesures d'austérité qui se profilent, la mobilisation sociale pourrait gagner en ampleur, alors que le chômage reste à un niveau record (21,52%). "L'axe central du discours de campagne d'IU passait par une opposition frontale aux politiques du gouvernement et aux coupes budgétaires à venir", souligne le politologue Anton Losada. "La période qui s'ouvre va voir les syndicats et les partis politiques de gauche jouer un rôle très actif", ajoute-t-il.
"Après le 20 novembre, la lutte se poursuivra dans la rue", annonçait, comme en écho, une grande affiche placardée dès le dimanche soir, sur la Puerta del Sol, la place au centre de Madrid qui a vu naître le mouvement des "indignés" au printemps dernier et qui fut le point de départ de ce mouvement partout ailleurs, sur la planète. "Nous pouvons nous attendre à un grand mouvement social", assure Manolo Nolla, 64 ans, l'une des têtes les plus visibles de la commission économique des "indignés" madrilènes.
Les nouveaux députés d'Izquierda Unida sont maintenant mieux équipés que par le passé pour servir de haut parleurs à la lutte de la rue. Tout cela devrait favoriser celle-ci.
Notons au passage que malgré toutes les manchettes faisant étant dans tous les grands médias d'une percée majeure de la droite en Espagne, la majorité des Espagnols n'ont pas voté pour le Parti populaire. Seulement 44.6% des Espagnols ont voté pour Le Parti populaire; à cause de la manière dont fonctionne le système électoral espagnol, ce parti de droite pourra néanmoins compter sur une majorité de sièges au Parlement. Cela fait pensé quelque peu à ce qui a aussi tendance à se produire ici.
Plusieurs partis nationalistes, en Catalogne, en Galicie, notamment, ont aussi fait élire de petits groupes de députés.
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"La tâche d’un parti de gauche est de canaliser la colère de la rue, en pointant les responsables, mais également les solutions"
Alberto Garzon était candidat d’Izquierda Unida à Malaga. C'est un économiste de vingt-six ans; il est aussi l’une des figures du mouvement des Indignés.Ce qui suit est extrait d'une entrevue faite avec lui, juste avant les élections; l'entrevue fut faite par le journal communiste français, l'Humanité.
Q.: Cible des marchés financiers, l’Espagne échappera-t-elle
à une intervention économique étrangère ?
Alberto Garzon. Techniquement, on peut dire qu’elle est déjà l’objet d’un «sauvetage». La Banque centrale européenne (BCE) est en train d’acheter de la dette et, de ce fait, impose des mesures comme l’introduction de la «règle d’or» pour garantir le remboursement de la dette publique. Cela peut encore empirer si l’on persiste à appliquer la politique d’austérité recommandée par l’UE et contenue dans les programmes du Parti populaire (PP) et du Parti socialiste (PSOE). À l’inverse, nous pensons qu’il faut restructurer le système économique, en nationalisant, par exemple, des banques et les entreprises de service public. Il faut également une réforme fiscale qui impose davantage d’impôts à ceux qui ont le plus de revenus.
Q. : Les Espagnols votent
donc sous pression ?
Alberto Garzon. Oui. Les États ont abandonné leur souveraineté aux marchés qui ont désormais le pouvoir de renverser des gouvernements démocratiques. On leur a permis de développer des opérations spéculatives tout en privatisant les entreprises. Or, un État n’est rien sans entreprises publiques, et sans banque publique. Le paradoxe est que personne ne vote pour les marchés. La situation révèle l’essence d’un système politique occulté, c’est celui d’une dictature des marchés.
Q.: Il existe de fortes mobilisations contre l’austérité. Comment expliquez-vous la victoire annoncée de la droite alors qu’elle a fait de la rigueur
son étendard ?
Alberto Garzon. La société a été dés-idéologisée. Le mouvement des Indignés, les luttes pour la défense de la santé et de l’éducation publiques sont importantes mais pas représentatives de la globalité de la population. Celle-ci a une grille de lecture plus «simpliste» à travers le prisme du bipartisme. Autre facteur, les gens, souvent de gauche, sont désenchantés du vote en soi. Mais il convient de rappeler que lors des municipales de mai, si la droite a gagné 400 000 votes, Izquierda Unida en a gagné 200 000.
Q.: Vous êtes une figure des Indignés
à Malaga. Quel est le devenir de ce mouvement ?
Alberto Garzon. Ce mouvement a mûri : du vote blanc ou nul, il demande aujourd’hui le vote pour un troisième parti, afin d’en finir avec le bipartisme. Les assemblées se sont décentralisées vers les quartiers, là où le mouvement peut tisser des réseaux sociaux. La caractéristique du mouvement du 15 mai est de repolitiser la société, même s’il souffre encore d’un manque de représentants et de ligne stratégique.
Q.: Comment appréciez-vous la remontée électorale annoncée d’IU ?
Alberto Garzon. C’est une bonne nouvelle ! Mais n’oublions pas que la loi électorale est viciée. Une variation de 1% peut nous faire passer de 6 à 14 députés, ou l’inverse, en raison du montage des circonscriptions. Les remontées électorales sont un aboutissement de trajectoires de fond. Cela fait longtemps qu’IU tisse des réseaux avec des syndicalistes, des mouvements sociaux. Nous allons vivre des moments très durs, avec des explosions sociales. La tâche d’un parti de gauche est de canaliser tout cela, en pointant les responsables mais également les solutions. Et cela ne peut se faire exclusivement depuis les institutions.
(*) André Parizeau est le chef du Parti communiste du Québec (PCQ); pour plus de détails sur le PCQ, référez-vous à son site Internet : www.pcq.qc.ca.
Ce que les grands médias d'ici ne vous ont pas dit ...
Elections en Espagne: la majorité des gens n'ont pas voté à droite
Crise du capitalisme - novembre décembre 2011
André Parizeau39 articles
Chef du Parti communiste du Québec (PCQ), membre fondateur de Québec solidaire, membre du Bloc québécois, et membre de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal (SSJBM)
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