Semaine 1

Élection québécoise 2012 (7)

Tribune libre

*Le fédéral s'invite dans la campagne

Les initiés savent qu'il y a le discours fédéral et la réalité fédérale. Et, nous avons récemment eu droit à un exemple typique de cet aspect peu louable de la machine ottavienne lorsque le gouvernement conservateur a annoncé qu'il n'entendait pas intervenir dans la campagne en cours. Était-il besoin de le dire? Il est rare en effet que le gouvernement central dise vouloir intervenir officiellement dans les campagnes électorales provinciales. Les interventions occultes, par contre, ne se comptent plus. Quoiqu'il en soit, les députés conservateurs auraient été laissés libres d'appuyer qui ils voulaient au niveau local. Du côté du NPD, on s'est dit plus ou moins contraint à la discrétion, la gauche provinciale étant souverainiste. Les libéraux, eux, n'ont pas vraiment pris position, mais l'organisation de Justin Trudeau s'est dite intéressée à coopérer avec le candidat libéral de la circonscription, Gerry Sklavounos (D-2-8-12, p., A-4).

Le premier ministre Harper a même saisi l'occasion pour se faire péquiste d'occasion. Il en a en effet ajouté, affirmant qu'il appartenait...aux Québécois de choisir leur propre gouvernement (D-3-8-12,p., A-3). L'indépendance, «kossa donne»?

À tout événement, une semaine plus tard, c'est le coup de théâtre. Voilà que Radio-Canada révèle que Jean Charest aurait donné l'ordre à la Sûreté du Québec de cesser la filature d'un vieux pote à lui, Eddy Brandone, qu'il connaîtrait depuis 1993. Brandone, un ex-cadre de la FTQ-Construction, serait en outre lié au monde interlope. L'affaire se serait déroulée à la suite d'une rencontre entre le premier ministre et M. Brandone au Courtyard Marriott, à Dorval, le 6 mars 2009, à l'occasion d'un événement au cours duquel M. Charest était l'invité d'un groupe de représentants de la communauté inuite. Eddy Brandone aurait profité de l'opportunité pour glisser quelques mots au premier ministre. Et, c'est dans la foulée de cette conversation que la filature aurait été interrompue. Radio-Canada cite quatre sources policières à l'appui de ses allégations. L'intéressé, lui, nie formellement avoir ordonné la cessation de la filature de Brandone. En fait, il s'interroge sur les motifs à l'origine de l'intrusion de la société d'État dans la campagne:

«Comment se fait-il que ça sort aujourd'hui? Très bonne question. Après une semaine de campagne électorale, pour une affaire qui s'est passée en 2009, soudainement, c'est aujourd'hui dans les nouvelles.» (D-9-8-12, p., A1)

Alors, y-a-t-il eu complot pour nuire à sa campagne? «...disons que le "timing" est choisi: on est en campagne électorale», répondra le premier ministre, cachant à peine un accord tacite avec ce que suggérait le journaliste (D-10-8-12,p., A-3). Les adversaires de M. Charest montreront cependant une réserve étonnamment peu électorale face à la porte que venait de leur ouvrir Radio-Canada. Initialement, donc, Mme Marois jugera le cas «très inquiétant» et sommera M. Charest de s'expliquer. Elle finira cependant par mettre un peu d'eau dans l'acide de sa première réaction, consirérant finalement que l'incident «avait des odeurs de scandale». À la CAQ, François Legault se dira «troublé» par la situation, avant d'ajouter qu'il fallait «faire confiance» au chef libéral lorsqu'il affirmait n'avoir jamais ordonné la cessation de la filature de Brandone ou de toute autre filature. Mais, le chef caquiste exprimera néanmois le désir d'en savoir plus (D-9-8-12, p., A-1; D-10-8-12,p., A-3).

Il a raison. L'affaire ne sent pas bon. Et, il devrait peut-être mettre le limier Duchesneau sur la piste. Les habitués de la scène politique admettront d'emblée que Radio-Canada n'aurait jamais sorti...un lapin vieux de 2009 dans une campagne électorale se déroulant trois ans plus tard sans avoir reçu l'assentiment des autorités politiques pour agir de la sorte. En fait, la société d'État en a probablement reçu l'ordre. On se souviendra ici de la récente directive conservatrice aux sociétés d'État fédérales leur rappelant qu'il était de leur devoir d'aider le gouvernement à mettre ses politiques en oeuvre. Et, cela incluait Radio-Canada. À l'époque, les journalistes de la société d'État avaient protesté contre cette sombre tentative de les transformer en propagandistes du régime conservateur. Mais, il semble bien que ces derniers aient décidé de s'animer de meilleurs sentiments. Et, il faut se demander si leur soudaine conversion n'est pas due à l'arrivée d'un conservateur notoire à la présidence de Radio-Canada, Rémi Racine (D-26-6-12, p., A-3).

Le limier Duchesneau voudra probablement aussi se pencher sur rencontre entre le premier ministre Harper et l'ex-premier ministre Brian Mulroney dans une chambre d'hôtel de Montréal en juin dernier. Hautement préoccupés par la possibilité que les péquistes prennent le pouvoir lors de l'élection qui était alors imminente, les deux patriotes voulaient apparemment élaborer une stratégie préventive (D-24-6-12,p., A-4). Leur ordre du jour était fort probablement moins noble.

M. Harper est rancunier. Or, M. Charest lui a donné plusieurs motifs de lui chercher noise. Il l'a fait, par exemple, dans le cadre du dossier environnementtal lorsqu'il a déclaré que le Québec était seul habilité à mettre en oeuvre les ententes internationales visant ses champs de compétence. L'incident s'était d'ailleurs déroulé lors d'une rencontre internationale à laquelle assistait le premier ministre fédéral. M. Charest avait alors déclaré qu'il défendrait les intérêts du Québec, même si cela devait déplaire à quelqu'un. Le discours de M. Charest relevait de l'enflure verbale, mais il a quand même déplu à M. Harper. En 2007, le premier ministre Charest a utilisé les 700 millions $ du «déséquilibre fiscal» pour accorder les diminutions d'impôt qu'il avait promises en campagne électorale cette année-là. À Ottawa, on chuchote que M. Harper n'a pas vraiment apprécié. En 2008, lors de la campagne électorale fédérale, M. Charest apris la plume pour adresser 14 demandes aux chefs qui se disputaient l'élection. M. Harper aurait été particulièrement courroucé par l'initiative de M. Charest. Finalement, lors de la campagne fédérale de 2011, l'Assemblée nationale avait dénoncé l'aide du gouvernement central au dernier projet hydroélectrique de Terre-Neuve, ce qui avait pour effet d'aider cette province à concurrencer Hydro-Québec. La coupe était pleine.

M. Charest est au PLQ, mais cela n'en fait pas pour autant un libéral...pur laine. Il a en effet vécu ses premières années en politique dans la famille conservatrice, sous le bras protecteur du premier ministre Mulroney. On dit que ce dernier n'aurait pas perdu toute l'affection qu'il éprouvait à cette époque pour le jeune prodige de Sherbrooke. Alors, il aurait probablement été délicat pour M. Harper de servir une râclée à M. Charest sans le fiat préalable de M. Mulroney. Malheureusement pour le premier ministre provincial, il arrive parfois que l'affection s'évanouisse devant les intérêts concrets. M. Charest méritait donc une correction. N'avait-il pas nui à M. Harper dans le cadre de deux campagnes électorales, alors que celui-ci avait aidé M. charest à se faire élire en 2007 avec un chèque de 700 millions $? Oui, mais, est-ce que cela ne risque pas de conduire à l'élection du PQ , aura alors demandé M. Mulroney, dans un effort désespéré pour sauver la peau de son protégé de jadis?

Espérons-le, espérons-le, aura répondu, M. Harper se frottant les mains. Il faut bien comprendre, en effet, que le premier ministre ne détesterait pas pouvoir accrocher un panache «sépàràtiiste» sur un mur, quelque part au 24 Sussex. Car, il ne les aime pas, les «sépàràtiistes», monsieur Harper. Et, il suffit de visionner les vieux clips de nouvelles datant de l'époque de la prorogation pour s'en convaincre. Le scénario, donc, serait le suivant: Faire élire le PQ, provoquer la tenue d'un référendum et se débarrasser à jamais du mouvement indépendantiste. Et, en prime, les conservateurs pourraient même avoir la peau du Parti libéral du Canada. En effet, si le PLQ devait imploser suite à une défaite électorale, une possibilité, les libéraux fédéraux perdraient leur base au Québec. Fiction? Pas vraiment. Au Canada anglais, il y a plusieurs chroniqueurs pour affirmer que l'abolition du financement public des partis politiques visait justement à faire disparaître le PLC et le Bloc. Alors, comme le dit si bien M. Charest, si ça ressemble à un canard et que ça marche comme un canard...D'ailleurs, il semble bien que le premier ministre se doutait que quelque chose se tramait. Il avait été particulièrement dithyrambique à l'égard de la gestion économique de M. Harper en début de campagne:

«Je ne connais pas une période où le Canada a eu une réputation économique comme nous avons aujourd'hui. Sortant de la crise économique, le Canada est vu comme une des lumières scintillantes de l'économie mondiale» (D-2-8-12, p., A-1).

Quoiqu'il en soit, fin juillet, la souveraineté faisait 9 % dans l'échelle des priorités de l'électorat. Et, le leadership indépendantiste n'a jamais été aussi faible. Gilles Duceppe aurait en effet intérêt à se faire plutôt discret lors d'une campagne référendaire. Est-il besoin d'élaborer? Mme Marois serait-elle capable de porter seule le projet indépendantiste? Elle pourrait devoir son élection au gouvernement fédéral. Que les référendistes au PQ le comprennent bien. Stephen Harper a goûté au sang le 2 mai 2011 et il en veut plus. M. Harper veut l'élection du PQ. Et, Radio-Canada l'a prouvé récemment avec sa sortie contre Jacques Duchesneau (D-23-8-12, p.,B-8). Le Québec ne peut pas se permettre un troisième référendum négatif.

À tout événement, l'affaire Brandone fait partie de ce que nous appellerions la macrostratégie électorale. Fondamentalement, il s'agit des manoeuvres visant à influencer généralement l'humeur de l'électorat, par opposition aux démarches plus spécifiques, comme les promesses, qui, elles, touchent plutôt le portefeuille et les intérêts particuliers de l'électeur. La campagne en cours est en fait assez riche en efforts macrostratégiques, surtout du côté de la CAQ. Regardons-y de plus près.

À suivre...


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    10 décembre 2016

    «Harper se préparait à un troisième référendum»...Il se préparait en 2012, aussi.
    Je pourrais continuer, mais à quoi bon...
    Louis Côté