Éduquer pour mieux abrutir

Tribune libre


Les écoles sont comparables aux terres agricoles où l'on produit des légumes. Les enfants sont des semences que l'on place dans un rang, que l'on arrose avec divers liquides que sont les matières scolaires, la plante se développe à l'adolescence, cycle secondaire de sa culture, et au sortir du champ, ces élèves élevés pour produire et consommer seront consommés par le système qui les a produits.
Système qui de nos jours, nécessite de plus en plus de travailleurs restreints, de techniciens spécialisés, qui occuperont des emplois qui leur permettront d'acquérir une certaine promotion, sous la forme d'un salaire, qui dictera la place qu'ils occuperont dans l'hiérarchie des classes qui organise nos sociétés. Plus un travailleur est capable d'assimiler de l'information, de graduer dans la connaissance, plus le poste qu'il occupera sera haut dans l'échelle hiérarchique. Le geste répétitif, automatique, de l'ouvrier d'une chaîne de montage, nécessite moins d'informations abstraites que celui du médecin qui doit pratiquer une chirurgie; ce faisant, le médecin recevra un salaire plus élevé que le machiniste puisque son travail a nécessité une plus grande absorption d'informations pour l'accomplir. Notre société est professionnellement parcellisée. L'école réalise cette fonction superbe de produire des techniciens, des spécialistes, des travailleurs qui devront se contenter d'un seul domaine d'action, sans quoi ils se perdront dans les abîmes irraisonnables des fractions que commande cette société pour être fonctionnelle dans tous ses aspects. Du temps de Leonardo Da Vinci, il était possible, les techniques étant relativement concises et les champs d'action réduits, de pratiquer plusieurs métiers à la fois, histoire, géographie, astronomie, physique; or, de nos jours, les connaissances humaines étant extraordinairement avancées, profondes, il est impossible de pratiquer plusieurs domaines professionnels à la fois, le temps d'une vie étant trop court à absorber autant d'informations diverses.
Selon cette idée qu'un professeur transmet des connaissances humainement déjà acquises, alors qu'à notre époque, les machines, ordinateurs et programmes informatiques pourraient le faire à leur place, le seul élément congruent qu'un enseignant peut apporter à l'élève, c'est une méthode pour assimiler l'information qu'il lui professe, une structure ou une interaction dans l'apprentissage que l'élève aura de la société dans lequel il s'incorpore. Dans une société comme la nôtre, le seul apprentissage concevable est celui qui risque d'amener l'élève vers un travail; un enseignement technique, conformiste, qui imposera à l'enseigné une morale qui fera de lui un bon citoyen carriériste, dont la motivation sera de s'élever jusqu'à son niveau d'incompétence dans l'hiérarchie des classes sociales. À l'école sont dispensées des leçons, un savoir, qui ne se questionnent pas; rien à imaginer, rien à créer, il ne suffit que d'avaler ce qu'on enseigne et qui figurera dans les examens, quiz et autres tests de régurgitation des éléments appris. Ce qu'on enseigne dans les écoles, c'est des informations de base pour faire de bons spécialistes qui auront un cargo d'automatismes mentaux socialement acceptables pour faire leur vie bien rangée dans les champs labourés des dominants qui imposent, depuis la nuit des temps, leurs propres valeurs et leurs propres jugements aux générations suivantes, empêchant l'évolution humaine, grâce aux technologies, d'accéder à la connaissance universelle qui ferait de chaque Homme un être doué aux capacités inaltérables.
Les étudiants doivent apprendre que rien n'est dissociable. Ce n'est pas dans le contenu qu'il faut changer l'enseignement, c'est dans sa structure. Rien ne sert d'apprendre le plus de choses possible si l'on ne sait pas comment elles sont reliées entre elles. Chaque élément mémorisé n'a aucun intérêt s'il ne s'inscrit pas dans un cadre plus vaste, celui des ensembles. Il est curieux de voir que la vie, ce phénomène précis sans lequel rien de l'enseignement, de l'histoire, de la géographie, des mathématiques, de l'art, de la langue ne serait apprit, n'est pas enseignée dans les écoles. La biologie et la science ne sont que des « matières », mais la vie elle n'a qu'une seule finalité, et si cette finalité est ignorée, le système social est ouvert en grand aux spécialistes ignorant tout du travail qu'ils accomplissent autre que ces gestes qu'ils se conditionnent à exécuter sans se poser de questions.
Enfin, le jour où l'humanité se posera des questions, cherchant dans l'absolu des réponses, laissant ces automatismes aux machines qui feront les travaux manuels à sa place, le travail humain étant désormais intellectuel et créateur, les portes de l'évolution de l'espèce seront battantes. D'ici là, il faut intégrer dans la scolarité cette culture relativiste, scientifique, qui n'engendrera plus seulement que des travailleurs spécialisés aux oeillères d'argent, mais de véritables découvreurs qui feront avancer l'espèce dans la science et la sagesse de la compréhension universelle des ensembles auxquels ils appartiennent.
La connaissance doit offrir à l'espèce humaine de nouvelles perspectives, pendant qu'elle est encore disposée à survivre dans cette biosphère qui, menacée par la marchandisation des ressources naturelles, ne pourra tenir le coup encore plusieurs siècles. Les techniques permettent enfin à l'Homme d'être libéré des contraintes physiques de sa nutrition, or, l'essence de l'espèce est-elle le travail, ou la connaissance? Si c'est le travail, l'histoire est là pour annoncer de nouvelles guerres, envahissements et dominations économiques; si c'est la connaissance, l'histoire est là pour annoncer des avancées qui feront cheminer plus intelligemment l'espèce humaine dans son environnement, pour les siècles des siècles.
L'imaginaire, la création et la découverte, mèneront l'espèce humaine aux stades absolus de la connaissance universelle. Le Christ possédait une imagination débordante et c'est ce qui fit sa gloire; lorsqu'il fut crucifié, il lança ces paroles: « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font. » Au vingt et unième siècle, il serait grand temps de savoir ce que nous sommes et ce que nous voulons faire: travailler, ou bien connaître? S'aliéner dans un travail ou évoluer dans la connaissance?
« Don Quichotte avait raison, sa position est la seule défendable. Toute autorité imposée par la force est à combattre. Il faut la combattre et lui pardonner car elle ne sait pas ce qu'elle fait. »


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