« Écrasez-les ! »

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Madrid ne rigole pas avec la sécession catalane

La main lourde espagnole, mue par l’intransigeance dogmatique et le fétichisme judiciaire, est-elle en train de venir à bout de l’indépendantisme catalan, décrit à Madrid comme illégal parce qu’illégitime, et illégitime parce qu’illégal ?


Coup de massue après coup de massue, le gouvernement espagnol a réussi à étourdir les nationalistes de Barcelone et à semer le désarroi dans leurs rangs, même si ces derniers représentent toujours la moitié de l’opinion publique catalane.


Cette opinion s’est démocratiquement exprimée à de nombreuses reprises : la dernière fois, lors des élections régionales anticipées du 21 décembre 2017. Les trois partis pro-indépendance avaient alors obtenu environ 48 % des voix et un peu plus de la moitié des sièges au Parlement régional.


On verra ce que la justice allemande fera du détenu Carles Puigdemont, l’ex-président en exil arrêté hier dans le nord de l’Allemagne. Et s’il sera, oui ou non, extradé, comme l’exigent les autorités espagnoles. Il est possible que l’extrémisme judiciaire de Madrid, avec ses termes comme « sédition » et « rébellion », ne soit pas bien reçu dans toutes les cours d’Europe.


Mais la logique sous-jacente, elle, est impitoyable. Devant la menace séparatiste, il faut frapper, poursuivre, arrêter, discréditer, vilipender et frapper encore. (Et non pas, par exemple, faire un référendum et militer pour le « non ».)


Cette stratégie du pilonnage et du « mur » est très populaire chez les Espagnols non catalans, qui applaudissent et en redemandent : « Écrasez-les ! » Ces jours-ci, il suffit de lire, par exemple, l’auguste El País, « quotidien de référence » espagnol. Aujourd’hui complètement déchaîné, il fait un usage quasi pavlovien de mots comme « haine », « mensonge », « fuite », dès qu’il est question des leaders catalans…


Mais aussi, cette stratégie de l’assommoir est peut-être en train d’arriver à ses fins, au sein de troupes indépendantistes complètement sonnées, de plus en plus divisées et sans plan pour l’avenir.




 


La semaine dernière, après des mois de détention dite préventive — cinq mois sans procédures formelles ni accusations précises ! —, les responsables catalans emprisonnés (et d’autres sur le point de l’être) ont appris qu’ils auraient un procès pour leur tentative référendaire avortée du 1er octobre dernier.


Le juge du Tribunal suprême chargé de l’enquête sur la « tentative de sécession » a formellement inculpé, vendredi, 13 Catalans pour « rébellion » : « crime » passible en Espagne de 30 ans de prison.


Dans son texte de 70 pages, le juge Pablo Llarena, sorte de Torquemada antiséparatiste, a parlé d’une « attaque contre l’État d’une gravité sans comparaison dans les démocraties proches », d’un « soulèvement violent » (insurrección, levantamiento) au cours duquel le gouvernement de Barcelone se serait rendu coupable, notamment, d’avoir encouragé la résistance à la police.


Presque rien, cependant, sur la violence policière de ce fameux 1er octobre 2017 — avec ces images largement relayées d’une Guardia Civil matraquant des honnêtes gens qui essayaient de voter, et qui, dans bien des cas, ont réussi à le faire.


Cette violence-là, dans l’acte d’accusation, n’est qu’à peine évoquée, présentée comme la légitime défense d’un État central menacé par la subversion…


Peu avant son arrestation, Carles Puigdemont avait répondu à cet acte d’accusation : « On essaie de faire passer pour "violents" ceux qui ont organisé les manifestations les plus pacifiques et les plus massives de toute l’histoire récente de l’Europe. » Ce qui est factuellement exact.


Mais il est clair que le rouleau compresseur madrilène désorganise le mouvement indépendantiste. À Barcelone la semaine dernière, on a une nouvelle fois, en vain, tenté d’investir un président. Avec les absents, exilés ou emprisonnés (dont plusieurs sont aussi députés), la majorité était de 69 voix. Or, le candidat Jordi Turull n’en a obtenu que 64.


Convoquée vendredi par le juge Llarena, Marta Rovira, numéro deux du parti Gauche républicaine (ERC), a annoncé qu’elle quittait l’Espagne plutôt que de se rendre à la justice : « Je sens, a-t-elle dit, ma liberté d’expression censurée par des tribunaux qui intimident et appliquent sans vergogne des critères politiques. »


> La suite sur Le Devoir.



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