L’élection présidentielle, puis les législatives (hier et dimanche prochain) en France mettent en exergue les insuffisances et les périls de la démocratie représentative au XXIe siècle.
Quelle est, demande-t-on souvent, la légitimité d’un parti politique qui a obtenu au premier tour le quart des voix — ce qui est la vraie mesure des appuis à un candidat ou à une formation — si, par surcroît, plus de la moitié des électeurs inscrits (environ 51 % hier) ne se sont pas donné la peine d’aller voter ?
C’est le cas des deux formations arrivées en tête et au coude-à-coude au premier tour d’hier : le parti présidentiel Ensemble ! et la gauche coalisée derrière Jean-Luc Mélenchon sous l’acronyme NUPES. Cela signifie concrètement que l’un et l’autre ont obtenu l’appui d’un huitième des électeurs inscrits.
Ce fait — avec l’égalité quasi parfaite des deux scores — n’a pas empêché le leader de la France insoumise de parler d’un adversaire « battu et défait », tandis que la gauche aurait le vent dans les voiles et qu’elle va « déferler » au second tour… Pensée magique et discours politicien.
Il y a la distorsion du vote uninominal à deux tours. Il y a l’émiettement de la société et de sa représentation. Et il y a le cri de rage d’une bonne partie de la population qui vote « contre » et n’arrive plus à se rassembler, de façon positive, autour de quelque projet que ce soit.
Le système à deux tours, étendu en France aux élections législatives (mais avec, pour le second tour, la bizarre règle des « 12,5 % des inscrits »), était censé régler ce problème en créant du consensus, de la clarté et de la légitimité.
Si cela a déjà été vrai par le passé… ça ne l’est plus aujourd’hui.
Emmanuel Macron, apparemment réélu « haut la main » le 24 avril (avec 59 % des suffrages exprimés et 43 % des inscrits), souffre de toutes ces tendances combinées.
Son score du second tour à la présidentielle, très honorable si on ne regarde que les chiffres, ne reflète pas ses véritables appuis d’adhésion (28 % au premier tour… chiffre tombé, hier, à 26 % pour son parti). Nombre des gens qui l’ont appuyé au second tour votaient « contre » Marine Le Pen… pas « pour » lui.
Ce vote de dépit s’accompagnait, dans le for intérieur de nombreux électeurs, d’une rage contre celui pour lequel on était en train de voter par défaut.
Non, ce n’était vraiment pas ça, l’idée du système français à deux tours !
Ajoutons que la distorsion entre députation et pourcentage des voix, bien connue dans le système uninominal à un tour (où on a déjà vu des majorités avec 36 % des suffrages — au Canada, au Royaume-Uni), peut être égale, voire pire, avec deux tours.
En 2017, le parti La République en marche (LREM) d’Emmanuel Macron avait obtenu 28 % des suffrages au premier tour… et récolté 54 % des sièges à lui seul au second tour ! Et encore, il était en deçà des projections qui, à l’époque, lui avaient prédit jusqu’aux deux tiers des députés.
Avec ce système, un paysage politique avec trois pôles très clairs (un centre libéral à 26-28 %, une gauche à dominante radicale avec grosso modo le même score, plus une droite ultranationaliste à 23 % — Rassemblement national + Reconquête), qui laisse sur le bas-côté la droite traditionnelle à 12-14 %…, ce système n’a de place, aujourd’hui, que pour les deux premiers.
Le camp arrivé deuxième à la présidentielle (droite ultranationaliste, Le Pen + Zemmour = 30 %) est complètement largué aux législatives. Comble d’ironie, le « révolutionnaire » Mélenchon, qui veut changer le système électoral (et beaucoup d’autres choses en France), profite à fond de ces distorsions du vieux système. Ce qui permet à un camp — qui, ne l’oublions pas, plafonne à 30 % dans l’opinion publique — de jouer aujourd’hui pour la victoire !
Voilà pourquoi cette grande et vieille démocratie, fondatrice de la nation moderne, incarne si bien la distance qui s’est creusée au fil des ans entre le peuple et sa représentation politique.
François Brousseau est chroniqueur d’affaires internationales à Ici Radio-Canada. francobrousso@hotmail.com