Symboles canadiens

Écran de fumée

Créer un événement national en s’enflammant autour d’une anecdote est un art. L’art de détourner l’attention de l’essentiel.

Ottawa - le cirque du sommeil - Dormez, dormez, bonnes gens, tout va bien!


La convocation est tombée sur le fil de presse mercredi matin, provoquant quelques mines ahuries: James Moore, le ministre du Patrimoine canadien, allait dévoiler des mesures pour mieux protéger le droit des Canadiens de faire flotter le drapeau du pays. Aux mines ahuries se sont mêlés des regards interrogatifs: l'unifolié subissait les assauts furieux de propriétaires de condos enragés, d'un bout à l'autre du Canada, et nous ne l'aurions pas su?
Créer un événement national en s'enflammant autour d'une anecdote est un art. L'art de détourner l'attention de l'essentiel. Le gouvernement de Stephen Harper a choisi de s'attarder de manière démesurée à une poignée de plaintes venues de citoyens ayant été brimés dans leur droit de déployer les ailes de leur patriotisme. Il le fait à un très mauvais moment. Comme les esprits critiques l'ont fort bien noté, le front des urgences ne dérougit pas, ne serait-ce que dans la sphère économique... Le gouvernement n'a-t-il pas lui-même commandé des coupes draconiennes de 4 milliards? Le voilà qu'il se distrait avec une histoire de drapeau. Le boute-en-train!
L'essentiel était ailleurs qu'au bout d'un mât. Alors qu'on s'attardait à Ottawa sur la liste de réprimandes possibles pour toute violation au droit de déployer l'unifolié où et quand bon nous semble, le Conseil national du bien-être social publiait un rapport percutant sur la coûteuse inefficacité des filets tissés pour soutenir les pauvres au pays: une cible ratée qui coûte 25 milliards par année, alors qu'une moitié de cette facture permettrait de combattre la pauvreté.
Programme d'aide sociale inopérant, coûts sociaux démesurément élevés, le constat réitère l'évidence, à laquelle les gouvernements n'osent s'attaquer: lutter contre la pauvreté doit être considéré comme un investissement plutôt que comme une dépense.
On peut soupçonner après cela que les sommes et les énergies déployées autour de l'affichage des symboles canadiens laissent quelques Canadiens pantois; qu'il s'agisse de l'unifolié protégé par sa loi (une copie conforme du Freedom to Display the American Flag Act de 2005), ou de l'affichage troublant de la monarchie (passeport, vitrail installé aux portes du Sénat, portraits de la reine au ministère des Affaires étrangères, retour de la royauté dans la marine et l'aviation canadiennes), les conservateurs pratiquent le retour en arrière de manière acharnée!
Mais ces élans ne sont pas qu'écran de fumée masquant des enjeux prioritaires négligés. Ils permettent au passage de vérifier quelle nation ce gouvernement, gonflé de sa majorité, est en train de redessiner: tristement, nous assistons à une refonte du Canada en un modèle dépassé, où la justice ne rime plus avec équité ou démocratie, mais ressuscite en douce de tristes relents de monarchie. Plutôt que de s'affranchir, le Canada tire les chaînes qui l'entravent encore et s'en crée de nouvelles, en empruntant aux États-Unis de détestables élans de patriotisme et de répression.
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machouinard@ledevoir.com


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