Au lendemain du référendum écossais, notre barde national Gilles Vigneault a dit trouver dommage que le verbe avoir l’emporte une fois de plus sur le verbe être.
Les Écossais ont en effet tourné dans un genre de film que nous connaissons trop bien ici. Une volonté populaire de libération, portée par les forces vives d’un peuple, qui vient frapper le mur de l’incertitude de lendemains dont les possédants ont prédit péremptoirement qu’ils seraient douloureux si par malheur l’emportait cet espoir, normal somme toute, de respirer par soi-même.
Nul besoin d’être grand clerc patenté pour comprendre que ce sera toujours une coalition de riches – financiers, banquiers, grandes entreprises – qui défendra avec une mauvaise foi sans borne un statu quo qui les sert terriblement bien.
Les Écossais, comme les Québécois, ont entendu leurs Claude Garcia, leurs Charles Bronfman, leurs Laurent Beaudoin de Bombardier, leurs Banque Royale et tous les Stéphane Dion de ce monde prédire l’apocalypse si on ne les écoutait pas. Et les Écossais, comme les Québécois, ont entendu tous les Pierre Elliott Trudeau de leur monde promettre solennellement qu’un NON serait un OUI pour que change l’ordre des choses.
Tant qu’on n’est pas indépendant, on est dépendant, clamait Gaston Miron.
Un sondage conduit auprès de 2407 répondants quelques heures après que les résultats du référendum soient connus a fourni un éclairage auquel nous sommes habitués : 47 pour cent des personnes ayant voté NON l’ont fait par peur des conséquences, advenant le cas où le OUI aurait obtenu une majorité.
Je connais une vieille dame qui a voté NON au référendum de 1980 après que le député libéral du coin l’ait convaincue qu’elle perdrait son chèque de pension de vieillesse si le Québec se séparait. Le fait que les douze enfants de cette dame allaient voter OUI n’avait pas suffi à éloigner ses craintes et ses peurs.
Daniel Cohn-Bendit, leader du mouvement de Mai-68, avait constaté quelques années après les évènements que ce qui motivait les citoyennes et les citoyens, c’était « la crainte des troubles et la peur du changement ».
Fin juin 1968, un mois après que des millions de Français soient descendus dans la rue pour dénoncer le régime, les partis de gauche étaient laminés et la droite était réélue avec pas moins de 73% des voix.
Fin octobre 1970, le maire de Montréal, Jean Drapeau, était réélu avec 92% des suffrages, une majorité comme il les aimait, disait-il. C’était quelques jours après les évènements d’octobre.
Le drame
Il y a plus qu’un drame dans tout cela. Bien sûr, on peut se désoler que des hommes et des femmes soient à ce point sensibles aux objurgations de ces Bonhommes sept heures qu’on voit apparaitre dès que l’ordre établi est remis en question sous une forme ou sous une autre.
Mais le vrai drame, c’est que des personnes de pouvoir se prêtent sciemment à des opérations aussi abjectes.
C’est le député qui fait peur aux personnes âgées dans un CHSLD. C’est Jean Charest brandissant ce passeport canadien qui nous échapperait si le Québec se disait OUI. C’est Jean Chrétien réduisant l’indépendance à un « flag sul’ hood ».
En un mot, ce sont tous ces oiseaux d’un malheur qu’ils ont eux-mêmes programmé, qui prédisent que les vaches ne donneraient plus que du lait en poudre si jamais si le peuple refusait d’aller dans le sens de leurs intérêts à eux.
C’est une forme de mépris, finalement, qu’une certaine élite politique pratique sans vergogne sous toutes les latitudes. Nous avons eu Jean Lesage, qui parlait avec hauteur des « non-instruits » et qui affirmait avec superbe que « la Reine ne négocie pas avec ses sujets ». Ces derniers étant les fonctionnaires qui voulaient négocier leurs conditions de travail.
Les Français en produisent eux aussi, comme Michel Sapin, ministre des Finances. « En Bretagne, j’ai discuté avec des gars de Gad. Pas facile. Certains sont illettrés… », a-t-il déploré. Pour ne pas être en reste, le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, disait de son côté : « Il y a dans cette usine une majorité de femmes. Il y en a qui sont, pour beaucoup, illettrées… »
Mais, quand on a un président qui traite les pauvres de « sans-dents… »
Avant de faire son constat affligeant sur les craintes et les peurs, Cohn-Bendit, le 4 mai 1968, avait brandi fièrement cette forme d’espérance : « Nous voulons tous un monde nouveau et original. Nous refusons un monde où la certitude de ne pas mourir de faim s’échange contre le risque de périr d’ennui ».
Cornélien, le dilemme.
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