Il n’a plus de majorité et pourrait être forcé de repousser le Brexit: le premier ministre britannique Boris Johnson s’est pris une série de gifles mercredi à la Chambre des Communes, échouant même dans son projet de la dissoudre pour se sortir de l’impasse.
Les députés ont rejeté mercredi soir la motion qu’il avait soumise à leur vote, destinée à organiser des élections anticipées le 15 octobre, au terme d’une journée catastrophique pour le chef du gouvernement. Et sa tentative d’obtenir une nouvelle majorité pour soutenir sa stratégie sur le Brexit avant le conseil européen des 17 et 18 octobre a été jugée « cynique » par le chef du Labour, le principal parti d’opposition, Jeremy Corbyn.
Auparavant les députés avaient fait dérailler ses plans de sortir de l’Union européenne le 31 octobre avec ou sans accord avec Bruxelles, en votant à une majorité de 28 voix une proposition de loi le contraignant à demander un report de trois mois du Brexit sauf si un accord de sortie est conclu.
La veille, la journée avait déjà été désastreuse pour le chef du gouvernement qui avait perdu la majorité absolue à la Chambre : un député a fait défection et 21 autres ont été exclus de son parti conservateur pour avoir voté avec l’opposition en vue de lui forcer la main sur le Brexit.
Pour que des élections anticipées soient organisées, la motion présentée par Boris Johnson devait recueillir deux tiers des voix des députés, mais les travaillistes se sont abstenus, préférant d’abord s’assurer que la proposition de loi destinée à repousser le Brexit soit entérinée par la chambre des Lords.
Un choix fustigé par Boris Johnson, qui a affirmé que Jeremy Corbyn était « le premier chef de l’opposition dans l’histoire démocratique de notre pays à refuser de participer à une élection ». « La conclusion que je tire est qu’il ne pense pas pouvoir gagner », a-t-il raillé.
Au tour des Lords
La proposition de loi doit maintenant être examinée jeudi à la Chambre des Lords, la chambre haute du Parlement, qui n’aura que quelques jours pour l’approuver puisque Boris Johnson a décidé de suspendre le Parlement la semaine prochaine pour cinq semaines.
Toute demande de délai devra encore être approuvée à l’unanimité des 27 autres États membres de l’UE.
Sans majorité et défié par les députés, Boris Johnson semblait en bien mauvaise posture mercredi.
Pas de quoi inquiéter le président américain Donald Trump: « Il sait comment gagner. Ne vous inquiétez pas, ça va aller », a déclaré M. Trump, évoquant son « ami » Boris Johnson depuis la Maison-Blanche.
Pendant que les députés votaient, quelques centaines de manifestants hostiles au Brexit se sont rassemblés en fin d’après-midi aux abords du Parlement, drapeaux européens à la main.
« Une sortie sans accord est tout à fait inacceptable », a dit à l’AFP Jack Hargreaves, 34 ans, tenant une pancarte réclamant un second référendum sur le Brexit.
Tandis que le gouvernement se prépare à l’éventualité de ces élections, le ministre des Finances Sajid Javid a proclamé « la fin de l’austérité » à la Chambre des Communes, annonçant une hausse des dépenses dans les services publics et les infrastructures.
Il a aussi confirmé avoir débloqué deux milliards de livres de plus pour assurer la mise en place du Brexit l’an prochain, via le recrutement de douaniers, l’aménagement des ports ou encore le soutien aux entreprises.
Le gouverneur de la Banque d’Angleterre Mark Carney a quant à lui jugé que l’impact d’un Brexit sans accord serait « moins grave » qu’il ne le prévoyait l’an dernier, dans une lettre publiée sur le site du Parlement.
L’institution a ramené de moins 8 % à moins 5 % son estimation de recul du produit intérieur brut en cas de « no deal », notamment grâce aux « améliorations dans la préparation ».
Risque « accru » de « no deal »
Affichant son optimisme contre vents et marées, Boris Johnson a assuré faire d’ » importants progrès » dans les négociations avec l’UE.
Mais le chef de la diplomatie irlandaise Simon Coveney a affirmé qu’il n’y avait « aucune proposition du gouvernement britannique qui puisse servir de base à une discussion et à une négociation », sur la télévision RTE.
Le risque que le Royaume-Uni quitte l’UE sans accord s’est accru, a constaté la Commission européenne.
Face à cette éventualité, l’Union européenne est prête à mobiliser 780 millions d’euros d’assistance financière d’urgence pour les États membres les plus touchés par des répercussions économiques.
Le sort du Brexit suspendu au Parlement
Après l’adoption par le Parlement britannique d’un texte de loi réclamant le report du Brexit de trois mois et le rejet des élections générales convoquées par le premier ministre conservateur Boris Johnson le 15 octobre, voici les scénarios possibles pour la sortie de l’UE.
Nouveau report
Prévu initialement le 29 mars 2019, le Brexit a été déjà reporté à deux reprises, faute d’unanimité du Parlement sur les formes qu’il doit prendre.
La loi votée mercredi par les députés contraint Boris Johnson, qui y est farouchement opposé, à demander à l’UE un report de trois mois, jusqu’à la fin janvier 2020. Une « capitulation » à ses yeux.
Boris Johnson a aussi affirmé haut et fort qu’en « aucune circonstance » il ne demanderait un tel report, et compte sur des élections anticipées pour le sortir de ce mauvais pas.
Élections anticipées
Même après le rejet du projet de Boris Johnson, elles apparaissent comme une option probable pour sortir de l’impasse.
L’opposition travailliste ne voulait pas de la date du 15 octobre, car elle craignait que le premier ministre, usant de ses prérogatives, ne les repousse après le 31 octobre, ouvrant ainsi la possibilité d’une sortie de l’UE sans accord.
Mais en fait, les travaillistes sont en faveur de la tenue d’élections une fois leur loi sur un report du Brexit entérinée par la chambre des Lords.
Elles sont aussi dans l’intérêt de Boris Johnson, qui a perdu mardi sa majorité au Parlement. Le scrutin sera dans tous les cas un pari risqué pour les deux grands partis de gouvernement, qui ne sont pas assurés d’une majorité absolue, dans un paysage politique bouleversé par les clivages sur le Brexit.
Brexit sans accord
Les discussions engagées entre Londres et Bruxelles n’aboutissent pas et Bruxelles, à bout de patience, refuse de reporter une troisième fois le Brexit. Le Royaume-Uni quitte l’Union européenne sans accord de retrait le 31 octobre.
Ce scénario est particulièrement redouté par les milieux économiques, qui craignent une dégringolade de la livre, une envolée de l’inflation, voire une récession, avec le rétablissement de droits de douane et le spectre de pénuries de produits alimentaires, d’essence et de médicaments.
Le gouvernement de Boris Johnson se prépare activement à ce scénario et multiplie les annonces de milliards destinés à encaisser le choc du Brexit.
Même après une sortie sans accord, il devra retourner à la table des négociations avec les Européens pour définir leurs futures relations.
Brexit avec accord
Un scénario très improbable en l’état.
Londres et Bruxelles parviennent à décrocher un accord et à s’entendre sur la question cruciale du filet de sécurité irlandais, ou « backstop », mécanisme visant à éviter le retour d’une frontière en Irlande entre la province britannique du Nord et la république membre de l’UE au sud.
Londres devait présenter de nouvelles propositions pour remplacer le « backstop » mais, selon le chef de la diplomatie irlandaise Simon Coveney, n’en a rien fait.
L’UE a d’ailleurs souligné mercredi que le « risque » d’un « no deal » s’était accru et qu’elle ne croyait pas à un accord avec Londres d’ici le 31 octobre.