Une décennie, on le voit par le dossier que vous présente Le Devoir aujourd'hui, offre trop de facettes pour se raconter en quelques mots. Mais nul ne niera que ce XXIe siècle naissant ne ressemble plus à ce qui l'a précédé. Les problèmes sont immenses, rêver mieux est difficile. Et pourtant, l'espoir demeure.
Ce début de siècle aura été celui des attentats. Rien n'aura autant marqué la façon d'appréhender le monde — du positionnement identitaire à l'implication guerrière, de l'imaginaire aux déplacements concrets — que ce spectaculaire 11 septembre 2001. Les bombes de Londres et de Madrid, les morts en Irak et en Afghanistan, sont venus en écho, et la décennie se boucle avec cet attentat raté dans un avion à Noël.
Une vague d'attentats en sol européen avait aussi caractérisé le début du siècle précédent. L'impatience politicienne transforma le dernier, celui de 1914, en déclencheur de la Première Guerre mondiale. Preuve qu'alors comme aujourd'hui, l'ampleur de nos drames collectifs dépend au final des réactions politiques. Hélas, le XXIe siècle aura eu le malheur de débuter sous l'autorité de George W. Bush — va-t-en-guerre qui n'aura su que répondre par le mensonge et la confrontation aux provocations de l'intégrisme musulman. L'effet Bush reste pour le moment plus fort que la main tendue d'Obama. Mais c'est à lui, heureusement, que l'avenir appartient.
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Ces premiers dix ans auront aussi été ceux de l'environnement: des constats alarmants, une prise de conscience quasi généralisée, une mobilisation réelle — de la part du simple citoyen comme dans les hautes sphères politiques et dont Copenhague, en dépit des résultats mitigés de la conférence, a été le reflet.
Les décennies qui viennent ne pourront qu'accentuer la nécessité de l'action, donc nous confronter à nos paradoxes. Recycler, réutiliser font maintenant partie de gestes quotidiens qui étaient marginaux il y a dix ans. Mais la consommation, que symbolisent les foules du Boxing Day, bat toujours son plein et reste le moteur de nos économies.
Il faudra aussi sortir de l'incohérence politique, au Québec notamment où le gouvernement Charest réglemente les émissions de GES des véhicules automobiles, mais appuie le projet Rabaska, terminal méthanier en face de l'île d'Orléans, est laxiste dans la surveillance des mines ou l'enfouissement des déchets, timide dans son investissement éolien... Quant au gouvernement Harper, il n'est toujours pas arrivé sur la planète Terre en danger. Qui nous extirpera des sables de l'Alberta?
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Cette décennie écoulée aura encore été celle de la communication, universelle, globale, déclinée sous toutes les formes, dans tous les réseaux. Le monde au bout des touches dans toute sa splendeur et sa bêtise, qui permet de suivre les manifestions censurées en Iran comme le quotidien de l'idole du jour (durée moyenne du vedettariat contemporain) ou du simple quidam qui ne cache plus rien à ses amis virtuels.
La planète est maintenant un vaste terrain de jeux, de découvertes, d'expérimentation: jamais les gens — les jeunes particulièrement — ne se sont autant déplacés; jamais, sur tous les continents, n'a-t-on eu autant de possibilités d'échanger — certes des banalités d'abord, puisqu'ainsi va la vie, mais aussi de faire circuler savoirs, informations, réflexions. Pour démêler le bon grain de l'ivraie, l'outil reste toutefois le même: la formation, la scolarisation, éternels grands défis des siècles qui se succèdent.
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Ces dix ans passés n'auront pas été ceux des pauvres gens. Les vrais pauvres d'abord, ceux qui n'arrivent pas à bien se nourrir, se loger, se vêtir, et dont on ne parle plus qu'au moment des guignolées. Ici même, au Québec, 15 % des enfants vivent dans le besoin, un pourcentage qui grimpe à 25 % chez les jeunes autochtones, alors qu'il n'atteint pas 5 % dans les pays scandinaves. Les gouvernements, on l'a maintenant compris, n'ouvrent leurs goussets que lorsque les banques crient famine, pas pour les démunis.
À cette liste il faut ajouter les victimes de mises à pied ou de fraudes dont la vie a connu de terribles retournements à cause de l'éclatement de bulles, d'industries — forestières, médiatiques — en crise, de voleurs à cravate et d'investisseurs sans scrupule, qui ont eux aussi marqué la décennie.
Les pauvres gens, ce sont encore les oubliés des médias, comme ces civils tués en Afghanistan (2000 pour cette seule année) qui n'ont jamais droit à des funérailles officielles. Qui osera croire que ce nouveau siècle finira par voir s'apaiser la faim, la peur, la violence autour du monde?
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Cette dernière décennie n'aura pas été celle du Québec, en panne d'inspiration politique au moment où il est aux prises avec de délicats questionnements identitaires, cristallisés par la tenue de la commission Bouchard-Taylor. Bien d'autres pays sont plongés dans la même tourmente, mais le cas du Québec, à cause de son histoire fondée sur la survivance, reste à part. Le Québec n'est toujours pas libre de ses choix, même pour affirmer ses valeurs les plus fondamentales, obligé en matière de langue comme «d'accommodements» de bricoler des solutions qui lui conviennent mal mais qui pourront recevoir l'aval de la fédérale Cour suprême.
En dix ans, la souveraineté du Québec est devenue un mot murmuré, l'indépendance un tabou, comme s'il fallait se contenter de la reconnaissance de la nation québécoise aux Communes, et des quelques éclats de voix qu'ose le premier ministre Jean Charest à l'endroit du fédéral quand il est à l'étranger. Pourtant, le Québec, économiquement viable, linguistiquement et culturellement différent, socialement progressiste, a tous les atouts pour devenir un pays d'avenir du XXIe siècle, si ce n'est le courage de collectivement l'accepter.
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Ce XXIe siècle définitivement entamé aura finalement pour assises l'incertitude et l'accélération. Les bilans dressés en cette fin 2009 sont étourdissants: nous ne vivons plus aujourd'hui comme il y a dix ans. Prendre l'avion est devenu une épreuve; l'ordinateur est aussi répandu dans les maisons qu'autrefois la télévision; le mot «twitter», inconnu il y a quelques mois, est maintenant passé dans les moeurs; nos amis ou collègues gais sont mariés; Saguenay est une ville; nous connaissons les nouveaux mots qui font peur — SRAS, H1N1 —, mais ne savons toujours pas arrêter le cancer... Aurons-nous un jour de nouveaux repères?
Nous, dans les médias, sommes particulièrement ébranlés dans notre monopole de transmission de l'information et chacun se demande qui survivra à ce grand remue-ménage. Belle coïncidence, la décennie qui vient s'ouvre avec notre centenaire: tant d'espoirs et de craintes en un siècle quant à la survie de ce journal!
Cent ans ont passé, nous sommes toujours là. Preuve que le temps finit par apaiser bien des incertitudes. Bonne année 2010 à tous.
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jboileau@ledevoir.com
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