Détérioration des services aux personnes âgées : pourquoi ?

Tribune libre


par Jacques Fournier, responsable du dossier santé
Association québécoise de défense des droits des retraités (AQDR)
Paru dans le Devoir du 14 juillet 2011
http://www.ledevoir.com/societe/sante/327322/libre-opinion-deterioration-des-services-aux-personnes-agees
Depuis quelques mois, les média font état d’histoires d’horreur dans plusieurs résidences pour aînés : décès par ébouillantement, morts suspectes, manque d’hygiène, négligence dans les soins, nourriture de piètre qualité, personnel unilingue anglophone, etc. Comment en sommes-nous arrivés là ?
C’est essentiellement parce que le gouvernement Charest a décidé de privatiser par la porte d’en arrière certains services qui étaient autrefois offerts par les Centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Auparavant, il fallait deux heures, puis ensuite deux heures trente et maintenant ce sont trois heures de soins par jour qui sont requis pour être admis en CHSLD. Le gouvernement a tout simplement décrété ce changement de norme sans réel débat public. Les personnes ayant un profil de perte d’autonomie « moyenne » sont confiées maintenant à des ressources intermédiaires (RI), des entreprises privées qui existaient auparavant en petit nombre mais que le gouvernement a maintenant mis « à contrat » en grand nombre pour les personnes ayant besoin de deux heures trente à trois heures de soins par jour. L’Agence de Montréal avait décidé de limiter les RI à 40 lits chacune mais l’entreprise privée entendait offrir des bâtiments allant jusqu’à 90 lits : l’Agence a aussitôt accepté. Qui décide de l’organisation publique des soins au Québec ? L’entreprise privée ?
Le gouvernement favorise les RI parce qu’une place y coûte en moyenne 35 000 $ par an, comparativement à 60 000 $ pour une place en CHSLD. Cela est rendu possible par le fait que les employées des RI sont mal payées (à peine plus que le salaire minimum, souvent même sous le seuil de la pauvreté), elles sont souvent moins bien formées et en moins grand nombre que dans les CHSLD.
La politique néo-libérale du gouvernement Charest est claire : il encourage l’accroissement des écarts de revenus entre les riches et les moins nantis en favorisant la création d’emplois sous-payés. Tout cela sur un fond de discours catastrophiste : « Nous sommes en déficit, il y a de plus en plus de vieux, on n’a pas les moyens », alors que de nombreuses études, dont celles de l’Institut de recherche et d’information socio-économiques (IRIS), entre autres, montrent qu’une taxation appropriée générerait des fonds suffisants pour offrir des services publics de qualité à toutes et à tous.
Une recherche récente, menée par Margaret McGregor et Lisa Ronald de l'Institut de recherche en politiques publiques (IRPP), démontre qu’il y a davantage de chances d’avoir des services de moins bonne qualité dans les établissements privés de soins aux aînés, que dans les établissements publics.
Les RI constitueraient une formule appropriée pour les personnes en moyenne perte d’autonomie si elles gardaient une taille raisonnable (maximum de 40 lits) et si elles étaient des établissements publics, et non pas des PPP (partenariats public-privé).
Les PPP : plus cher pour des moins bons services
Une étude récente de la firme MCE Conseils a démontré que le CHSLD St-Lambert-sur-le-Golf, construit en PPP, va coûter 60 millions $ de plus au Trésor public que si ce CHSLD avait été construit en mode public, comme auparavant.
L'étude commandée par la CSN fait aussi valoir que les bas salaires (les préposés aux bénéficiaires sont payés 12 $ en moyenne, contre 18 $ au public) devront être rehaussés pour assurer la continuité des soins en cette période de pénurie de personnel qualifié. Depuis l'ouverture, on évalue le taux de roulement du personnel à 44 %. C'est plus du double de ce qu'on retrouve normalement.
Le gouvernement Charest planifie de construire encore quatre nouveaux CHSLD en PPP, trois en Montérégie, un à Laval. Il faut intensifier nos pressions pour mettre fin à cette formule coûteuse et inappropriée.
Une émission Enquête, diffusée à Radio-Canada, a illustré l’impact négatif de la formule PPP sur la quantité et la qualité des services offerts aux usagers de ce CHSLD. Lors de l’émission, Yvan Gendron, le pdg de l’Agence régionale de la Montérégie, dans une scène surréaliste, a déclaré qu’il n’y avait pas de problème. Il avait envoyé au CHSLD un employé qui a examiné les colonnes de chiffres. Ce dernier lui a dit que « les chiffres balançaient » et que c’était « conforme au contrat ». Comble du déni : l’Agence propose aux familles qui se plaignent de déménager une nouvelle fois leur parent hébergé.
La nouvelle gestion publique (NGP)
Les média rapportent aussi, avec raison, qu’il y a des problèmes dans la qualité des services dispensés dans les CHSLD publics. Quelles en sont les causes principales ? Le secteur public de la santé a adopté depuis une vingtaine d’années une nouvelle philosophie de gestion qu’on appelle la nouvelle gestion publique, la NGP. Ce type de gestion s’inspire de l’entreprise privée : augmenter la performance, revoir les processus d’organisation des services, etc. En théorie, c’est beau. En pratique, on ne gère pas des lits de CHSLD comme une usine de petits pois. Sur le terrain, les intervenantes, infirmières, travailleuses sociales, ont l’impression d’être pressées comme des citrons. Elles passent beaucoup de temps à remplir des statistiques au détriment des services à la clientèle. Le nombre de cadres augmente, le personnel soignant diminue.
En théorie, la NGP prévoit que le personnel est consulté et que ses suggestions sont prises en compte. Sur le terrain, ce n’est pas ce qu’on constate : le personnel a l’impression d’être consulté pour la frime. Les professeurs Claude Larivière de l’Université de Montréal et Angelo Soares de l’UQAM ont bien montré, chacun de leur côté, le fossé entre le discours de la NGP et les résultats observés sur le terrain. Le secteur public doit améliorer ses méthodes de gestion, bien sûr, mais en se basant sur l’éthique publique et non sur les logiques commerciales. Le gouvernement doit adopter une approche scientifique et non idéologique dans ce dossier.
Les solutions apportées par les ministres Blais et Vien (plus d’inspecteurs, plus de contrôles, etc.) ne s’attaquent pas au coeur du problème. Les problèmes sont structurels et viennent de la place plus grande faite au secteur privé, ainsi que de l’importation servile des méthodes de gestion du privé dans le secteur public.
Il n’est pas acceptable que l’on permette au secteur privé de faire de l’argent de façon abusive avec la maladie et la perte d’autonomie des gens. Pour l’AQDR, la maltraitance à l’égard des aînés, c’est inadmissible.

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1 commentaire

  • Pierre Cloutier Répondre

    18 juillet 2011

    [1] Solution? Une constituante citoyenne et une constitution rédigée par et pour les citoyens du Québec en fonction de leurs besoins.
    [2] Voyez les articles suivants en matière de santé, dans la constitution vénézuelienne, la plus progressiste du monde.
    Article 83. La santé est un droit social fondamental, obligation de l’État, qui le garantit comme partie du droit à la vie. L’État initiera et développera des politiques orientées de nature à élever la qualité de la vie, le bien-être collectif et l’accès aux services. Toutes les personnes ont droit à la protection de la santé, ainsi que le devoir de participer activement à sa promotion et à sa défense, et celui de satisfaire les mesures sanitaires et d’assainissement que la loi établit, en conformité avec les traités et conventions internationales souscrits et ratifiés par la République.
    Article 84. Pour garantir le droit à la santé, l’État créera et exercera l’action Directrice et gérera un système public national de santé, de caractère intersectoriel, décentralisé et participatif intégré au système de la sécurité sociale, régi par les principes de la gratuité universelle, l’intégrité, l’équité, l’intégration sociale et la solidarité. Le système public de santé donnera priorité à la promotion de la santé et à la prévention des maladies, garantissant les traitements adéquats et de réhabilitation de la qualité. Les biens des services publics de santé sont propriété de l’État et ne pourront pas être privatisés. La communauté organisée a le droit et le devoir de participer dans la prise de décision sur la planification, l’exécution et le contrôle de la politique spécifique dans les institutions publiques de santé. (Traduction non officielle)
    Article 85. Le financement du système public de santé est une obligation de l’État, qui reçoit les ressources fiscales, les cotisations obligatoires de la sécurité sociale et n'importe quel autre service de financement que déterminera la loi. L’État garantira un budget pour la santé qui permette de remplir les objectifs de la politique sanitaire. En coordination avec les Universités et les centres de recherche on initiera et développera une politique nationale de formation de professionnels, techniciens ou techniciennes et une industrie nationale de production de produits pour la santé. L’État réglementera les institutions publiques et privées de la santé.