Le Traité de Québec de 1864

Des promesses sans lendemain

Des garanties à interprétations variables

Chronique de Me Christian Néron

Les résolutions du 27 octobre 1864

LE TRAITÉ DE QUÉBEC DE 1864 (!)

Les principaux acteurs politiques de l’époque ont insisté pour que les résolutions de la Conférence de Québec soient qualifiées de « traité »

La conférence sur l’avenir constitutionnel du Canada, à laquelle ont participé les représentants de toutes les provinces de l’Amérique du Nord britannique, a eu lieu à Québec du 10 au 27 octobre 1864. C’est au cours de cette conférence qu’ont été adoptées les Soixante-douze résolutions qui allaient servir de base à la Constitution de 1867.

Compte tenu de la singularité de cet évènement, de nombreux constitutionnalistes n’ont cessé de se demander, par la suite, si la Confédération devait être interprétée comme une « loi » du Parlement de Westminster, ou comme un « traité » conclu par les représentants des provinces signataires. Pour aider le lecteur à s’en faire une idée à partir de la documentation originale, je lui propose de lire comment les membres du gouvernement d’alors, qui ont joué un rôle prédominant à la Conférence de Québec, ont qualifié les résolutions de cette conférence lors des Débats parlementaires sur la confédération tenus en février et mars 1865.

Le lecteur trouvera dans l’ordre les propos de Étienne-Pascal Taché, premier ministre, de John A. McDonald, procureur général du Haut-Canada, de George Brown, secrétaire du Conseil exécutif, et de George-Étienne Cartier.

Le lecteur constatera par lui-même qu’il n’y a là aucune matière à controverse : les résolutions de la Conférence de Québec ont bel et bien constitué un traité conclu entre ses signataires. La Confédération a été qualifiée de « traité » par nos représentants de l’époque et devrait donc être interprétée en ce sens. Lorsque vous aurez pris connaissance des déclarations qui suivent, vous n’aurez plus à vous demander ce que nos savants constitutionnalistes en pensent. Vous aurez une longueur d’avance sur eux !

DÉBATS PARLEMENTAIRES
SUR LA
QUESTION DE LA CONFÉDÉRATION DES PROVINCES DE
L’AMÉRIQUE BRITANNIQUE DU NORD


Troisième Session, Huitième Parlement de la Province du Canada, tenue en la Vingt-Huitième année du Règne de Sa Majesté la REINE VICTORIA.
CONSEIL LÉGISLATIF
Mercredi, 15 février 1865

À la page 243 des Débats,
L’Hon. Sir Étienne P. Taché, premier ministre : Ainsi, hons. Messieurs, ce qui vous est maintenant proposé ne l’est pas comme l’œuvre du gouvernement canadien (écoutez ! écoutez !), mais comme un travail collectif des délégués de toutes les provinces fait dans la forme d’un… traité ! Après les explications que je viens de donner, je ne crois pas que l’on puisse m’accuser d’inconséquence ni de cette inconstance qui porte l’homme à détruire le lendemain ce qu’il a édifié la veille. Non ! hons. Messieurs, je ne le crois pas.

Un peu plus loin un conseiller réplique,
L’Hon. James G. Currie, conseiller législatif : Voilà que ces hons. Messieurs nous disent qu’ils « ont soumis à la chambre un plan plus complet. » Et qui leur a demandé cela ? On a dit que la chambre ne fesait pas de différence entre les deux projets. Cependant, cette différence est considérable car, si les résolutions ne concernaient que le Haut et le Bas-Canada, la chambre aurait pu y faire des amendements. Mais non, les ministres ont pris les députés du peuple à la gorge en leur disant : « Voici un traité qu’il faut accepter ou rejeter entièrement ! » Ils les ont avertis, qu’en essayant de faire changer un mot à la constitution proposée, ils risquaient leur réputation, s’exposant à passer pour des « sécessionnistes » ou quelque chose de pis encore. […]

Le Canada demandait la mesure promise qui devait mettre fin aux difficultés entre les deux sections de la province. Mais la conférence de Québec a totalement changé notre position : on nous apporte un traité !... que nous devons adopter à priori sans rien y changer. Peu importent les détails, notre discussion n’est plus qu’une… comédie !

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ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE

Vendredi, 3 février 1865
L’Hon. John A. McDonald, procureur général du Haut-Canada : En réponse au membre de Carleton (William F. Powell), le gouvernement dira qu’il présente le projet comme un tout et qu’il emploiera toute son influence pour le faire adopter sans changement pour une raison toute simple : c’est que le projet n’a pas été préparé par le gouvernement du Canada ou par le gouvernement de la Nouvelle-Écosse, mais c’est un traité !... entre les différentes colonies, dont chaque clause a été amplement discutée, et qui a été adopté au moyen de concessions mutuelles.
Sans doute, la chambre peut voter contre toute la mesure ou y introduire des amendements, mais si elle le fait, ce sera au gouvernement à voir s’il poursuivra davantage devant la chambre la considération du sujet.
Si le projet ne passe pas tel que présenté, il faudra recommencer la conférence, et je crois que, cette occasion manquée, nous n’en aurons pas d’autre dans le cours de ce siècle. L’entente actuelle est le fruit d’un heureux concours de circonstances qui ne pourra peut-être pas se renouveler de sitôt.
Ces résolutions ont le caractère d’un traité, et si elles ne sont pas adoptées dans leur entier, il faudra commencer les procédés de novo. Si chaque province entreprend de changer les détails du plan, il n’y aura plus de fin aux conférences et aux discussions. […]
Je ne puis dire quelle sera la politique du gouvernement impérial. Tout ce que je puis affirmer c’est que les délégués des divers gouvernements coloniaux, après que ce traité eût été passé, se sont engagés à faire adopter le projet dans son entier dans leurs législatures respectives, et de présenter des adresses analogues à Sa Majesté dans les législatures coloniales, demandant la passation d’un acte basé sur ces résolutions. Le gouvernement impérial et le parlement d’Angleterre agiront alors comme bon leur semblera.
Ce projet peut être considéré comme un traité passé entre les différentes provinces, et si on veut y faire aucune modification sérieuse, chacune des colonies se croira relevée de l’obligation implicite de le considérer comme un traité et pourra à son tour l’amender ad libitum au point de vue de ses propres intérêts ; tous nos travaux resteront sans résultat ; nous aurons à recommencer et à élaborer un nouveau traité ; nous devrons entrer de nouveau en négociations avec les diverses provinces, et refaire tout le projet !

Une dernière intervention de McDonald sur la question du traité à la page 653,
Nous ressentons qu’il est de notre devoir de remplir notre obligation et d’employer toute l’influence légitime du gouvernement auprès de cette législature afin qu’elle se prononce honorablement sur ces résolutions qui lui ont été soumises. (Écoutez ! Écoutez !) Vu les nouvelles qui nous sont venues du Nouveau-Brunswick, nous pensons plus que jamais qu’il importe que le projet soit adopté dans son entier, qu’il soit considéré comme un traité qui doit être accepté sans amendement ni modification. (Écoutez ! Écoutez !)

Ainsi que doit le comprendre tout député qui veut la confédération, il est aujourd’hui urgent que nous adoptions ce procédé afin qu’aucune autre province n’ait l’occasion de dire : « Même la législature du Canada n’approuve pas le projet arrêté par la convention. »


Mercredi, 8 février 1865
À la page 110,
L’Hon. George Brown, président du Conseil exécutif : Je puis affirmer à mon hon. ami (Christopher Dunkin) que, sous ce rapport, il n’a jamais été plus libre qu’aujourd’hui. (Rires !) Nous ne prétendons pas avoir lié la liberté de la chambre par aucun de nos actes ! Tout membre est libre de faire ses objections, mais je dis que nous avons reçu de la chambre l’autorisation d’ouvrir les négociations et c’est une triste prétention d’avancer le contraire. (Écoutez !) Nous n’avons rien fait qui ne l’ait été par tout gouvernement régi par une constitution anglaise. Nous avons fait un pacte… sujet à l’approbation du parlement.

Le gouvernement actuel est parfaitement lié au projet, mais les membres de la législature sont aussi libres que l’air. J’ai confiance que la chambre adoptera, presque unanimement, le projet dans son ensemble sans rien y changer aux détails, et comme le meilleur compromis qu’on puisse faire.

L’Hon. M. Holton, député de Chateauguay : Nous n’avons pas le pouvoir de conclure des traités !
L’Hon. M. Brown : J’ai souvenance d’un gouvernement formé de l’autre côté de cette chambre, et l’hon. membre pour Hochelaga (l’hon. A.A. Dorion) n’en a pas perdu le souvenir, et ce gouvernement fit un traité pour la construction du chemin de fer intercolonial. L’hon. membre pour Cornwall (Sandfield McDonald) était alors premier ministre, et il lui convient peu d’objecter à ce qu’il a fait à une autre époque, mais l’hon. monsieur a grandement tort de nous dénier le pouvoir de faire ce traité avec les provinces maritimes. Nous avions ce pouvoir !... et des instructions spéciales pour le conclure.
L’Hon. M. Holton : Le parlement de Westminster vous-a-t-il conféré ce pouvoir ?
L’Hon. M. Brown : Non, mais l’hon. monsieur ne doit pas ignorer que le pouvoir de conclure des traités est une prérogative royale. Or, la couronne nous a spécialement autorisés à conclure ce traité !... et a cordialement approuvé ce que nous avons fait. (Écoutez ! Écoutez !)

Mardi, 28 février 1865
À la page 545, George-Étienne Cartier s’immmisce dans un échange entre Thomas d’Arcee McGee et Christopher Dunkin,
L’Hon. Thomas d’Arcee McGee, ministre de l’Agriculture : Dans le discours du trône, Sa Majesté approuve la conférence qui a rédigé les termes de ce traité. La sanction royale ne suffit-elle pas ?
M. Dunkin, député de Brome : Les résolutions de la conférence de Québec ne forment pas un traité, mais une simple convention passée entre les délégués.
L’Hon. George-Étienne Cartier, procureur général du Bas-Canada : Oh oui ! C’est un traité !... et nous luttons pour le maintenir !
M. Dunkin : C’est un projet de traité, si vous voulez, mais ce n’est pas un traité ! Les plénipotentiaires qui concluent des traités ont pleins pouvoirs d’agir au nom de leurs pays.
L’Hon. George-Étienne Cartier : Ce traité est analogue à tous ceux qui ont été conclus sous le régime anglais. Le gouvernement en est responsable devant le parlement, et si vous ne l’approuvez pas, vous pouvez nous condamner par un vote de non-confiance.
M. Dunkin : L’hon. monsieur pourrait bientôt se trouver plus embarrassé qu’il ne le croit avant que cette affaire soit conclue.
L’Hon. George-Étienne Cartier : Très bien ! Nous sommes en mesure de faire face aux évènements. […]
Les messieurs qui l’ont conclu représentaient leurs gouvernements, et les gouvernements de toutes les provinces étaient représentés dans la conférence. C’est donc un traité !... entre les provinces, et ce traité sera valable à moins que le gouvernement ne soit renversé par un vote de la chambre.

Mardi, 7 mars 1865
Suite à ces prises de position tranchées quant à la qualification juridique des Résolutions de la Conférence de Québec, un député d’arrière-banc, John McDonald, se lève pour rappeler à ses collègues du Haut-Canada qu’ils ne pouvaient entretenir l’idée d’éluder la lettre et l’esprit de ce traité.

À la page 768,
M. John McDonald, député de Toronto Ouest : À l’égard du projet, ou plutôt de ses dispositions qui sont désavantageuses au Haut-Canada et à ses intérêts, les députés Haut-Canadiens nous disent : « Laissons s’établir la confédération, et plus tard nous remédierons à toutes ces choses ! » Éh bien ! je dis à ces hon. membres que, s’ils adhèrent à ce traité… avec l’intention d’en éluder plus tard la lettre et l’esprit !... ils manquent à ce qu’ils doivent aux deux Canadas et aux provinces soeurs. (Écoutez ! Écoutez !)
Je ne veux pas participer à un traité avec l’intention de ne pas m’y soumettre dans un certain temps, et c’est parce que je veux faire ce qui est bien que j’indique toutes les dispositions du projet que je crois vicieuses et qui, si elles ne sont pas modifiées, m’empêcheront de voter pour la mesure. (Écoutez ! Écoutez !)

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Bref, à moins de vouloir à tout prix contredire l’évidence, la Confédération est bel et bien le résultat d’un traité. Mais ceci dit, une question demeure : Quelle est la qualification juridique d’un traité modifié… unilatéralement ! Quelqu’un peut-il oser une suggestion ?


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    1 novembre 2014

    Me Néron,
    Je ne saurais répondre à votre question. Par contre, il y a des points qui me semblent importants de souligner.
    Sur la base des propos que vous citez, il est plus que vraisemblable qu'il y eut un traité, qui, point majeur, fut ratifié par la Grande-Bretagne, ce qui en fit un document engageant pour le gouvernement d'Union, une colonie, et les autres colonies ayant été associées à sa rédaction.
    Il faut se rappeler que ces colonies relèvent toutes de la Grande-Bretagne. Lorsqu'elle donne son aval, parce qu'il y a deux signataires, dont un avec deux voies, la Grande-Bretagne, qui est l'autorité sur ces colonies, dit que c'est suffisant, car, fondamentalement, elle est désireuse de créer un tampon entre elle et les États-Unis, qui, en guerre de sécession, sont vexés du support de la Grande-Bretagne aux Sudistes et entendent charger en conséquence.
    Pour arriver à ce résultat, la Grande-Bretagne estima que les élus du Bas-Canada devaient se prononcer en faveur de ce traité, ce qui fut le cas même si ces élus n'avaient aucun mandat à cet effet. En régime parlementaire britannique, les mandats ne sont pas nécessaires, les élus ayant les pouvoirs pour procéder dans le cadre de leurs fonctions.
    Alors, ce vote étant, la Grande-Bretagne donna son aval. Du coup, il devenait irrecevable pour ces mêmes élus de ternir un référendum comme le demandait Dorion. Sa majesté avait parlé. Ses sujets n'avaient rien à redire.
    Les incidences de cet aval se répercutèrent aussi dans les provinces maritimes. Elles ne purent s'extraire du traité selon l'avis donné par le Conseil privé de sa majesté, mais purent faire entendre leurs désaccords sur certains articles du traité, d'ailleurs corrigés à Londres en 1867. Puis elles se sont ralliées.
    Les nouvelles provinces du Canada ont accepté ce traité et en sont devenues des signataires en acceptant d'être une province du Canada.
    Il demeurait néanmoins un problème pour rapatrier la constitution et la modifier.
    C'est là qu'est entrée en jeu la cour suprême. Comme il n'y avait plus de colonie du Bas-Canada au moment du traité, il n'était pas nécessaire que le Québec donne son aval à la modification. C'est ce que les juges ont décrété, reproduisant tout simplement ce qui s'est passé en 1864-67, et ce qui s'était passé en 1840.
    La Grande-Bretagne ne refusa pas d'approuver le tout, car il y avait rapatriement et modification selon les règles canadiennes décrétées par les juges. L'eut-elle fait que le gouvernement du Canada aurait choisi alors de faire ratifier son coup de force auprès des Canadiens. C'est du moins ce que Pierre-Elliott Trudeau a laissé entendre.