Des prêtres inquiets du bilinguisme de l'Église

Le français — la dynamique du déclin


Alec Castonguay - A Montréal, la plupart des communications de l'Église catholique sont maintenant bilingues, ce qui inquiète plusieurs prêtres qui ont récemment écrit au cardinal Turcotte pour lui demander de freiner l'expansion de l'anglais dans le diocèse. Selon plusieurs prêtres, ce laxisme en matière de langue contribue clairement à l'anglicisation des immigrants, souvent très croyants, qui fréquentent l'Église dès leur arrivée au Québec.
La lettre envoyée au cardinal Turcotte le 14 octobre dernier, et dont Le Devoir a obtenu copie, ne laisse aucun doute. Elle est signée par quatre prêtres et un agent pastoral qui disent représenter l'opinion de dizaines d'autres membres du diocèse de Montréal inquiets de la situation.
À la suite de cette plainte, le conseil presbytéral, qui est en quelque sorte le conseil des prêtres de Montréal, a été saisi de l'affaire et a tenu des rencontres pour «réfléchir» à la situation.
Le glissement vers l'anglais est en effet bien réel, soutiennent les prêtres, preuves à l'appui. Par exemple, le courriel hebdomadaire envoyé dans tout le diocèse est complètement bilingue. La revue diocésaine, Haute Fidélité, traduit tous ses textes dans la langue de Shakspeare. Plusieurs grandes réunions de fidèles sont maintenant dans les deux langues, comme le rassemblement diocésain du 7 octobre dernier à l'Oratoire Saint-Joseph. À la cathédrale de Montréal, les liturgies sont de plus en plus bilingues, tout comme les affiches du diocèse.
Pourtant, seulement 37 paroisses du diocèse, sur 220, sont anglophones. Selon Statistique Canada, à peine 8 % des catholiques de la grande région de Montréal sont anglophones, la vaste majorité étant soit protestante ou anglicane.
Dans la lettre des prêtres, on peut lire: «La langue officielle au Québec, c'est la langue française. Elle est la langue commune de tous les Québécois. L'Église, comme institution publique, n'a-t-elle pas à s'inscrire tout naturellement dans cette voie? Une pratique systématique du bilinguisme est discriminatoire à long terme pour la population francophone.»
Les auteurs affirment que l'Église est en train de tomber dans un piège. «Les stratégies autour du multiculturalisme tendent à vouloir marginaliser le français en traitant ce dernier comme une simple langue régionale. La base du multiculturalisme, c'est l'anglais comme seule langue de référence. Cette tendance ignore manifestement l'histoire et les luttes du Québec depuis l'Acte de Québec, en 1774. Si l'Église qui est à Montréal se prête à ce jeu-là, on peut s'attendre à des débats très difficiles dans la communauté francophone», peut-on lire.
L'Église, très fréquentée par les nouveaux arrivants, doit jouer son rôle, estiment les cinq signataires. «Est-ce que notre Église, ici à Montréal, va vouloir travailler à l'intégration des membres des différentes communautés culturelles? Nous ne croyons pas qu'en laissant le bilinguisme grandir nous allons travailler à unir les gens et les communautés.»
Anglicisation
Selon les informations obtenues par Le Devoir, l'un des malaises les plus persistants provient du programme «Faith First» utilisé dans plusieurs des 40 paroisses du diocèse identifiées comme étant des communautés culturelles.
Le programme de catéchèse «Faith First» provient des États-Unis et il est enseigné en anglais aux jeunes d'âge primaire et secondaire de la plupart des paroisses ethniques de Montréal. «L'Église de Montréal est un facteur important d'anglicisation, a expliqué au Devoir un prêtre qui a demandé l'anonymat. Tous les programmes de catéchèse des communautés culturelles, sauf pour les Vietnamiens, sont en anglais. C'est inadmissible.» Ce «libre choix» offert aux immigrants est d'ailleurs dénoncé dans la lettre envoyée au cardinal Turcotte.
Selon Statistique Canada, 280 000 immigrants se déclaraient catholiques dans la grande région de Montréal en 2001, soit au moment du dernier recensement qui comportait des questions sur la religion.
Joint par Le Devoir, l'un des signataires de la lettre, le prêtre André Anctil, de la paroisse Saint-Denis, n'a pas caché sa frustration. «On remarque une bilinguisation galopante de l'Église depuis quelques années en ce qui a trait aux communications et aux célébrations liturgiques. On est contre ça», dit-il.
Selon lui, le message envoyé par l'Église aux immigrants va à l'encontre des objectifs du gouvernement du Québec. «Les anglophones, c'est la minorité historique, soit 7 ou 8 % de la population du Québec. Les nouveaux immigrants, dont beaucoup sont catholiques, doivent s'intégrer à la majorité francophone. Là, on envoie le message que les immigrants ont le choix entre l'anglais et le français au Québec. À mon avis, ce n'est pas acceptable», dit André Anctil.
Un autre signataire de la lettre, le prêtre François Baril — qui pratique dans cinq paroisses de l'est de Montréal — affirme qu'il faut être «vigilant» dans le contexte nord-américain du Québec. «Le bilinguisme, ça peut devenir l'unilinguisme anglophone assez rapidement en raison de la précarité de la langue française», a-t-il dit au Devoir.
Le curé Baril est toutefois d'avis que le message a été entendu en haut lieu et que «l'écoute» dont fait preuve l'archevêché depuis la réunion du conseil presbytéral pourrait amener des changements au diocèse. «C'est une inquiétude et, jusqu'à présent, ç'a été reçu comme quelque chose qui doit être traité correctement», dit-il, ajoutant que l'Église n'est pas en proie à un «conflit majeur sur le sujet. On dit seulement de faire attention au glissement».
Réaction du diocèse
Le vicaire général du diocèse de Montréal, Jean Fortier, affirme qu'il n'y a pas de politique de bilinguisme. «Ce n'est pas la volonté du diocèse de Montréal de devenir bilingue. La volonté du diocèse est d'être une Église au Québec, qui reconnaît que la langue première, c'est le français. Mais, en même temps, on ne veut pas déroger non plus de la mission de l'Église, qui est de faire l'unité parmi ses adhérents. Et c'est un défi», dit-il.
Le bras droit du cardinal Turcotte reconnaît que l'anglais prend beaucoup de place avec les immigrants. «On voudrait que tout le monde soit en mesure de parler français, mais, dans la réalité, ce n'est pas le cas. Il faut donc prendre leur langue. Ça peut laisser l'impression d'un laisser-aller et qu'on va vers le bilinguisme. Mais les jeunes parlent souvent plus d'une langue et, pour eux, ce n'est pas un problème, alors que les plus vieux voient ça comme un laisser-aller et un danger pour la langue française», dit monseigneur Jean Fortier.
Le diocèse a demandé à la revue Haute Fidélité de «porter attention» au bilinguisme des textes, sans pour autant exiger un changement. C'est pour l'instant la seule réponse du diocèse à l'inquiétude des prêtres et des agents pastorales.
Le vicaire général affirme que la lettre a «provoqué une forme de dialogue et une réflexion», ce qui est bien. Il ajoute toutefois que peu de choses vont changer: «Il n'y a pas de pistes d'actions très importantes, sinon d'être plus alerte.»
Jean Fortier reconnaît que le geste des quatre prêtres (André Anctil, François Baril, André Beauchamp et Paul Delorme) et de l'agent pastoral (André Lantaigne) ne témoigne pas d'une frustration isolée au sein de l'Église à Montréal. Selon lui, il faut donc trouver le «bon dosage» dans les communications du diocèse.


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